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DANIEL BERNASCONI (AGRONOME D’AGRIBIO LTD): « Pas de contrôle ni de traçabilité concernant les pesticides dans les légumes »

Agronome de formation, Daniel Bernasconi s’est orienté vers la viticulture et l’oenologie alors qu’il était encore en France, son pays natal. À Maurice depuis 18 ans, il s’est reconverti dans l’agronomie et, avec son épouse Meeta, il est propriétaire d’une ferme agricole à Bambous. Agriobio Ltd propose des légumes et des fruits bio. Ayant obtenu la certification d’Ecocert France depuis mai 2013, Agribio Ltd souhaiterait élargir sa ferme afin de répondre à une plus grande demande du marché mauricien et baisser ses prix, mais les démarches en ce sens n’ont jusqu’ici pu aboutir. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’agronome déplore le manque de prévention et de contrôle concernant l’utilisation des pesticides à Maurice.
Quel est l’intérêt de manger bio ?
La santé. Car ce sont des légumes garantis sans pesticides.
Quels sont les critères pour obtenir la certification légumes bio ?
Pour que ce soit vraiment garanti bio, il faut avoir une certification internationale. Comme c’est le cas pour nous depuis mai 2013, grâce à un certificat décerné par Ecocert France, qui est reconnu par le Japon, les États-Unis, le Canada, etc. C’est un organisme très professionnel, dont toutes les directives sont votées au Parlement européen. Un audit non ponctuel – c’est-à-dire qu’on vous prévient 48 heures à l’avance — est effectué tous les ans par une antenne basée à Antananarivo, à Madagascar. Il y a des directives et des contrôles très pointus, que ce soit au niveau du contrôle de l’amendement des terrains avec du compost naturel, jusqu’au contrôle de la production, de la vente et de la semence. Des prélèvements des produits sont acheminés en Europe pour être étudiés en laboratoire. Parmi les critères, il faut des terrains qui ont déjà subi des plantations et trois ans de conversion avant que ce soit certifié bio. Si le terrain est approuvé par un audit Ecocert, avec prélèvement de terre, celui-ci est catégorisé comme bio l’année suivante. Bien évidemment, on n’a pas le droit d’utiliser des semences traitées, ni d’organismes génétiquement modifiés (OGM).
Vous cultivez sur combien d’arpents ?
On est sur 3 arpents 96 en surface, dont 3 arpents pour les légumes, le reste étant pour des manguiers et figuiers.
Quel est votre constat de la qualité des légumes consommés par les Mauriciens ?
Il n’y a qu’à voir le nombre de patients dans les hôpitaux. C’est regrettable. Il faut une alimentation plus saine. Je pense qu’il y aurait moins de problèmes s’il y avait une utilisation moins exagérée de pesticides. Il n’y a pas de contrôle à Maurice.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans la culture bio ?
J’adore manger des légumes. J’ai eu la chance d’avoir goûté à de bons légumes étant jeune et rien que le fait de savoir que les légumes sont maintenant traités avec des pesticides, insecticides et fongicides, c’était un malheur… Puisqu’il n’y a pas de traçabilité, le planteur peut très bien asperger le légume un jour pour le mettre en vente le lendemain. Le problème est là. Il n’y a pas de contrôle ni de traçabilité. Éduquer les planteurs à changer de méthode est possible, mais pour cela, il faut une aide gouvernementale pour une orientation vers moins de pesticides. Or, il y a très peu de prévention.
La méthode bio, cela comprend quoi comme connaissances ?
Dans la méthode bio, la gestion de la terre est l’aspect primordial. Par exemple, là, on est sur trois arpents de légumes, mais seulement deux arpents et demi sous production. J’ai un demi-arpent qui se repose tous les six mois, en rotation. Outre la gestion de la terre, il y a aussi la gestion de l’eau. Tout notre système est sous goutte-à-goutte. C’est très coûteux, mais on gaspille moins d’eau, car c’est ciblé. Certains légumes nécessitent plus d’eau que d’autres. On est dans un endroit où la pluviométrie est acceptable. Il ne faut pas d’endroits trop humide. Depuis trois ans, nous avons fait une demande d’extension de 12 arpents juste à côté de notre plantation auprès du ministère de l’Agro-industrie pour répondre à la demande en légumes bio, qui n’est pas encore suffisante.
La demande est-elle si grande ?
Indéniablement ! L’avantage d’augmenter la production, c’est que cela ferait baisser les prix. Après une première réponse négative du ministère, nous avons introduit une autre demande. Je ne connais toutefois pas encore la politique du nouveau gouvernement…
Vous qui êtes agronome, dites-nous les méfaits des pesticides sur l’organisme.
Ces effets sont très sournois et peuvent se déclencher à long terme comme à court terme. Sur le long terme, cela peut prendre la forme d’un cancer et, sur le court terme, cela peut se manifester par des problèmes d’estomac. C’est incroyable le nombre de mûrisseurs qui sont utilisés pour la pomme d’amour, la banane et l’ananas. On trempe les fruits dans cette solution et deux ou trois jours après, ils prennent de la couleur. Cependant, les informations au niveau des matières actives sont inconnues pour le consommateur. Il ne sait qui distribue les produits et quelles sont les matières actives utilisées. Il ne faut pas mettre l’appât du gain en tête, mais produire sain et propre. Nous nous démarquons des faux bio avec notre certification. Les faux bio, c’est l’absence de la preuve de qualité qu’on met en avant.
Comment situez-vous Maurice par rapport aux autres pays en termes d’utilisation de pesticides ?
C’est énorme. Trop de personnes ont des problèmes de santé à Maurice. Cela vient bien de quelque chose.
Y a-t-il un moyen de distinguer visuellement des légumes ayant beaucoup de pesticides ?
Il ne faut jamais se fier aux légumes qui sont trop beaux. Les OGM existent depuis longtemps à Maurice, mais on ne le sait pas. Chez nous, une carotte met trois mois à pousser parce que ça ne pousse qu’avec du fertilisant. Lors de précipitations de pluies, nous sommes quatre à cinq fois moins affectés que les plantations ordinaires, car nous avons travaillé le sol et l’eau ne stagne pas. On ne met pas de sel, donc ça ne brûle pas. Le meilleur fertilisant est apporté par le ver de terre. Les défections de vers de terre sont les meilleurs engrais du monde. Mais pour cela, encore faut-il des vers de terre. Car pour avoir des vers, il ne faut ni insecticides, ni pesticides. Le désavantage, pour nous, qui avons une petite surface, c’est le coût du désherbage manuel (dépense N° 1 de la compagnie et qui coûte le plus cher). Pour cela, dix personnes travaillent à temps plein et un “contracteur” avec vingt personnes une fois par semaine.
Manger bio, c’est peut-être sain, mais ce n’est pas à la portée de toutes les bourses.
C’est cher, c’est vrai. Surtout parce que c’est rare. À Maurice, il y a un microclimat et on ne peut faire du bio partout, sur les hauts plateaux par exemple. Il faut idéalement se situer à environ 150 m par rapport au niveau de la mer. Malheureusement, là où il y a de la possibilité de faire du bio, c’est remplacé par du bitume.
Que suggériez-vous pour plus de légumes bio sur le marché ?
S’il est encore temps, trouver des sites propices au bio et amener le maximum de planteurs sérieux vers ce mode de culture. Après certifications, augmenter la production bio de façon à ce que ces produits soient beaucoup plus accessibles, car pour cela, il faut beaucoup plus de volume et, surtout, beaucoup de crédibilité au niveau des planteurs. J’ai voulu inculquer ce mode de culture, mais je n’en ai pas encore rencontré de sérieux pour le faire.
Peut-on diminuer le taux de pesticides dans les légumes en les lavant ou en les laissant tremper dans l’eau ?
Une partie, mais pas la totalité, parce que le problème est de ne pas savoir quelles matières actives ont été utilisées et quelle est leur rémanence. Si un planteur a traité ses légumes le lundi et que son produit actif a une rémanence de 15 jours, il ne peut pas le vendre avant. Mais croyez-vous que le planteur attendra ce délai ? Nous ne vendons pas avec les commerçants parce qu’ils nous achètent 5 kg de carottes, mais revendent 10 kg de carottes bio. Nous avons des livres de traçabilité, avec un cahier de récolte et un cahier des ventes. Sur nos factures, il est indiqué sur quelle parcelle de terre les produits ont été récoltés. En cas de problème, on peut les retracer au mètre carré près. C’est ça la traçabilité demandée par Ecocert. L’utilisation du compost est également contrôlée, car il ne faut pas surcharger en compost. On dresse un état mensuel, ensuite annuel, des récoltes pour voir si le potentiel nutritionnel du sol n’est pas exagéré et si les récoltes sont cohérentes par rapport à la surface. Un cahier de plantation regroupe aussi la traçabilité des semences.
La demande est donc là pour des produits bio, mais vous n’avez pas suffisamment de terres…
C’est cela. Nous allons relancer notre demande pour une extension d’au moins 12 arpents. Mon neveu, que je suis en train de former, pourra prendre la relève plus tard.
Planter dans son jardin, est-ce une option réalisable ?
C’est possible, mais pas partout.
Du basilic, du romarin, du thym…
Ah, ça oui, c’est même conseillé. Il faut que le Mauricien soit autonome et qu’il ait son petit jardin d’épices.
Et pour les autres légumes ?
Quand on travaille, il est difficile de trouver du temps pour cela…
Un message à faire passer ?
Une revendication plutôt. Au nom de tous les planteurs de la région de La Ferme, je dis au nouveau gouvernement qu’il serait souhaitable de revoir à la baisse la tarification d’eau d’irrigation. L’augmentation de septembre 2013 a été de l’ordre de 500%. De 26 sous, on est passé à Rs 150 le mètre cube. De Rs 650 par mois, je paie maintenant Rs 7 000 à Rs 8 000. Certains planteurs ont cessé leurs activités pour cette raison. Je suis d’accord que le gouvernement augmente la tarification, mais qu’il le fasse raisonnablement.

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