Sous la pression des nationalistes indépendantistes, le Groenland en quête d'une coalition

Au lendemain de la victoire surprise du centre droit, talonné par les nationalistes indépendantistes, aux élections législatives, le Groenland cherche un gouvernement de coalition capable de déterminer la marche vers l'indépendance, pour contrer les appétits de Donald Trump sur ce territoire autonome danois.
Force la plus activement engagée pour que cette immense île arctique rompe ses liens restants avec Copenhague, les nationalistes de Naleraq sont arrivés en deuxième position, ce qui pourrait leur donner un ticket d'entrée dans un futur gouvernement.
"Nous allons parler avec chaque parti. Nous ne savons pas avec qui nous allons coopérer, mais nous sommes prêts à discuter", a déclaré mercredi à l'AFP Anna Wangenheim, la numéro deux du parti Démocrates (centre droit), grand vainqueur du scrutin.

Ces discussions, sans exclusive, vont se tenir "dans les prochains jours", a-t-elle précisé.
Les législatives mardi au Groenland ont eu un retentissement international inhabituel du fait des convoitises du président américain qui se dit convaincu de pouvoir faire main basse sur l'île arctique "d'une manière ou d'une autre".
Formation autoproclamée "sociale-libérale", Démocrates (Demokraatit), dirigée par Jens-Fredrik Nielsen, a remporté 29,9% des suffrages, plus du triple qu'au précédent scrutin de 2021, et 10 sièges sur 31 à l'Inatsisartut, le Parlement groenlandais.
Juste derrière, les nationalistes de Naleraq ont doublé leur score, à 24,5%, et décroché huit mandats.
Ces deux partis ont balayé la coalition sortante composée d'Inuit Ataqatigiit (IA, gauche écologiste) de l'actuel Premier ministre Mute Egede et de Siumut (sociaux-démocrates), les deux forces politiques dominantes depuis que le Groenland a gagné son autonomie en 1979.
Favorable à une marche graduelle vers l'indépendance passant d'abord par plus d'autonomie économique, le parti Démocrates va maintenant mener les négociations pour déterminer une plateforme gouvernementale.
- Quelle coalition? -
Deux choix principaux s'offrent à lui: faire alliance avec Naleraq ou avec IA qui, malgré son cuisant revers électoral, conserve sept sièges, soit assez pour constituer une majorité.
"S'ils choisissent de former un gouvernement avec Naleraq, ils devront accélérer le programme sur l'indépendance et la formation de l'État", a estimé auprès de l'AFP Lill Rastad Bjørst, maître de conférence à l'Université de Copenhague.
Fort de son bon résultat, Naleraq devrait continuer à oeuvrer pour la mise en place d'une séparation formelle avec le Danemark qui continue d'exercer les fonctions régaliennes (défense, affaires étrangères, politique monétaire) sur l'île peuplée de 57.000 habitants.

Lors de la soirée électorale, le chef du parti, Pele Broberg, a fait valoir que la sortie du Groenland de l'Union européenne en 1985 et le Brexit avaient tous deux pris trois ans.
"Pourquoi prendre plus de temps?", a-t-il dit à l'AFP.
Mais Naleraq semble être prêt à des concessions.
"Nous ne pouvons pas avoir l'indépendance immédiatement mais nous aimerions commencer le processus officiel", a affirmé à l'AFP un de ses cadres, Kuno Fencker, en disant relever beaucoup de similarités entre sa formation et Démocrates.
Rencontré à Nuuk, la capitale, mercredi, John Madsen compare le parti à une girouette.
"Ils veulent l'indépendance mais ils ne nous disent pas comment", explique ce gardien d'école de 64 ans. "Un instant le vent souffle par ici, puis il souffle par là le moment d'après".
"Le chemin vers l'indépendance sera une chose sur laquelle les partis travailleront étape par étape", décrypte Maria Ackrén, politologue à l'université du Groenland. "Il faudra donc du temps avant que nous voyions l'indépendance du Groenland".
Une indépendance rapide, redoutent certains, risquerait d'attiser l'insatiabilité américaine et de jeter l'île dans l'escarcelle de Donald Trump.
"C'est important, mais je ne pense pas que cela va se produire maintenant, surtout dans l'état actuel du monde", confiait mercredi Nanna Jensen, une jeune femme de 23 ans. "Si nous devenons indépendants maintenant, l'Amérique va prendre le contrôle".

Lors d'un débat télévisé mardi soir, le jeune chef de Demokraatit, Jens Frederik Nielsen, 33 ans, a rappelé deux fondamentaux de sa campagne: "une approche calme face aux Etats-Unis" et la construction d'une "fondation" préalable à la formation d'un Etat groenlandais.
Aujourd'hui, le Groenland dépend encore fortement de la pêche, qui constitue près de la totalité de ses exportations, et des subventions danoises annuelles représentant un cinquième de son PIB.
Face à Donald Trump, le futur gouvernement groenlandais devrait chercher à se focaliser sur la coopération économique avec les Etats-Unis, estime Ulrik Pram Gad, chercheur à l'Institut danois pour les études internationales, qui précise que l'Union européenne pourrait aussi jouer un rôle important.