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Vinesh Sewsurn : président de la FCSOU : « L’augmentation salariale, une aberration ! »

Le Dr Vinesh Sewsurn, président de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU), n’est pas convaincu par le calcul qui a abouti aux 5% d’augmentation dans le salaire de base des fonctionnaires. Encore moins dans le discours du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui se targuait de la bonne forme économique du pays. Médecin dans la santé publique et également président de la Medical and Health Officers Association, Vinesh Sewsurn ramène le ministre Padayachy, et en passant sa collègue du Commerce, Dorine Chukowry, à la réalité difficile des ménages qui peinent à remplir leur caddie.

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Est-ce que les 5% d’augmentation dans le salaire de base des fonctionnaires rétablissent la justice salariale attendue ?
C’est une aberration ! Cet exercice n’a pas adressé les attentes de nos fonctionnaires. Ce qui est plus ahurissant, c’est que cette correction ne sera appliquée qu’à partir de juillet 2024, alors que le salaire minimum de Rs 15000 excluant la compensation salariale est en vigueur depuis janvier 2024. Est-ce que le gouvernement a intentionnellement décalé cette annonce de six mois ? Et ces six mois équivalent à combien en termes de fonds ? Est-ce une coïncidence ? Encore une zone d’ombre.
Le gouvernement avait le devoir fondamental de traiter tous les travailleurs équitablement, et les fonctionnaires ont le sentiment d’être les grands oubliés de cet exercice de réajustement salarial, alors qu’ils sont les poumons du pays. Ce sont eux qui assurent, de la conception à la mise en exécution des différents projets gouvernementaux.
On aurait, bien que difficilement, pu comprendre si la révision à 5% n’avait pas de limite. Mais là, avec la barre à Rs 2 000, cela change tout. Par exemple, pour un employé qui débutait avec un salaire de Rs 10 250, il aura Rs 15 513, et donc une augmentation de 51,3%. Il n’y a pas eu d’explications sur la révision du salaire de ceux qui touchent environ Rs 15 000. Il y a une grande confusion ici, car le temps de service n’a pas été pris en considération. Par ailleurs, un fonctionnaire qui perçoit Rs 39 000 aura Rs 1 950 supplémentaires. Et Rs 2 000 à celui qui touche Rs 40 000. Avec une telle révision, la relativité entre les différents salaires est automatiquement bafouée. Donc, c’est extrêmement difficile de comprendre la recommandation du PRB par rapport à la révision à 5%.

Qu’en est-il du timing de cette annonce ?
Ils ont pris presque huit mois pour faire un calcul arithmétique qu’un élève du primaire aurait complété en quelques minutes ! Malheureusement, cette mesure arrive dans une période préélectorale et donc, on devait s’attendre à des discours purement politiques et démagogiques, comme au budget. La fédération a dû constamment faire pression auprès des autorités pour que le rapport du réajustement soit rendu public et appliqué au plus tôt. Compte tenu des récents développements à l’Assemblée nationale, c’est une annonce qui pourrait indiquer que la dissolution du Parlement et que les élections générales se tiendraient très bientôt. Mais attendons voir comment la population, y compris les fonctionnaires, accueille ce réajustement salarial pour se faire une meilleure idée à ce sujet.

Comme vous l’avez entendu, vendredi, le ministre des Finances a parlé de la croissance économique d’un  « pei ki pe al bien », de l’augmentation de 89% du revenu d’un ménage moyen… Tout va pour le mieux pour Renganaden Padayachy. Votre avis ?
Nous n’avons pas pris connaissance des rapports qui soutiennent les mots du ministre des Finances. Dans la réalité, au quotidien, les consommateurs vivent une histoire différente, voire plus sombre. Chaque fin de mois demeure un calvaire pour les ménages. On arrive difficilement à faire ses courses au supermarché. L’augmentation constante du salaire minimum et les différentes compensations salariales sur les dix dernières années ont été évoquées durant la conférence de presse de vendredi, mais ce qu’on a omis intentionnellement d’évoquer, c’est que la roupie a perdu de sa valeur face au dollar américain d’au moins 45% durant cette même période. On ne peut pas comparer les salaires sans prendre en considération cette perte de valeur de la roupie. Et là, je n’ai même pas pris en considération l’inflation.

Enfonçons le couteau dans la plaie. La ministre du Commerce, Dorine Chukowry, elle, trouve que les Mauriciens vivent bien. Non ?
Vous ne pouvez émettre un jugement sur la stabilité financière d’un foyer par le simple fait que vous avez visité un centre commercial ! Ceux qui sont au bas de l’échelle n’ont même pas l’occasion de mettre les pieds dans un centre commercial. Rien que le transport pour s’y rendre coûte cher. La fréquentation d’un centre commercial n’est pas un indicateur de bien-être. Cette observation, qui a suscité une vague de frustration parmi ceux qui se sont sentis les plus touchés, est un manque de considération à leur égard. La ministre aurait dû faire preuve de plus de retenue. En même temps que nous parlons de la cherté de la vie, il y a un discours avec des contre-arguments affirmant que les allocations sociales ont augmenté. Le discours des autorités tend à se pencher sur une augmentation du salaire minimum, des prestations sociales, etc. Mais il faut éviter de faire l’amalgame entre la quantité et la valeur de l’argent. La roupie a déprécié de plus de 40% durant ces dix dernières années, et l’inflation a grimpé pour atteindre 13,7%. Donc, on ne peut pas dire que les Mauriciens vivent bien. Les dépenses du Mauricien ne se limitent pas à son caddie ; il a des crédits. N’oublions pas que le repo rate avait diminué pendant la période du Covid pour inciter les Mauriciens à emprunter. Ce même repo rate a depuis augmenté, obligeant le Mauricien à réduire son budget de Rs 4 000 à Rs 5 000 mensuellement. La dépréciation de la roupie a provoqué une hausse significative du coût du fret. Moi qui suis dans le domaine de la santé, je suis témoin de l’impact sur le coût des médicaments les plus basiques, mais aussi les plus utilisés. Dans un contexte où la situation économique est assez compliquée pour la population, il aurait été plus juste de comprendre sa souffrance et de proposer des solutions à long terme pour la soulager, et de faire preuve de retenue dans ses propos.

Donc, selon vous, le réajustement salarial ne viendra pas rétablir le niveau de vie des Mauriciens. C’est cela ?
Le réajustement salarial va apporter un surplus d’argent dans les foyers. Avec cette disponibilité financière, oui, la relativité salariale va aussi rétablir le niveau de vie des Mauriciens… à court terme, parce qu’ils pourront mieux assurer certaines dépenses. Mais à moyen terme, le fait que l’argent circulera davantage dans le circuit monétaire fera que le cycle infernal de l’inflation reprendra aussitôt. Et les prix augmenteront ! D’ailleurs, on l’a bien vu avec la révision à la hausse des allocations au dernier budget. Peu de temps après, le prix des commodités a augmenté. Les autorités devraient plutôt se pencher sur la politique monétaire du pays et rendre la roupie plus forte.

S’agissant toujours de la santé économique et du travail, le ministre Padayachy a évoqué une baisse du chômage et le recrutement (des étrangers) nécessaire que cela entraîne. Même si la FCSOU n’est pas concernée, que pensez-vous de l’abolition du quota des travailleurs étrangers dans certains secteurs ?
Narendranath Gopee participait à cette manifestation en tant que président de la National Trade Union Confederation. À ce stade, la fédération n’est pas directement concernée par cette mesure. Cependant, je ne pense pas que celle-ci pourrait être appliquée. Si elle l’est, cela voudra dire que là où il n’y aura pas forcément lieu d’importer la main-d’oeuvre, les étrangers auront la préséance sur les Mauriciens, ce qui pourrait être considéré comme une discrimination à leur encontre. L’Equal Opportunities Act ne le permettrait pas. Par contre, je voudrais dire que la fonction publique a besoin d’une transformation drastique et doit se mettre à l’ère digitale pour attirer les jeunes. Le brain drain ne concerne pas uniquement nos jeunes diplômés qui quittent le pays. Mais aussi des fonctionnaires qui quittent le secteur public pour le privé ! Il était question d’un changement stratégique jusqu’en 2030. Nous arrivons à mi-chemin et c’est toujours compliqué d’attirer des ressources dans la fonction publique par la méritocratie et la compétence. On a malheureusement tendance à croire que seuls les protégés d’un régime sont recrutés dans la fonction publique. Cette perception ne fait que ternir l’image de notre secteur.

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