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Sean Rungen (directeur d’Action Familiale) : « J’aime l’idée d’être un jeune qui défend des valeurs »

Sean Rungen a 27 ans. L’organisation non-gouvernementale Action Familiale, qu’il dirige depuis une année, en a 60 et a été placée pendant très longtemps sous la responsabilité d’une femme, Jacqueline Leblanc. Le jeune successeur de cette dernière est l’exemple même que la planification familiale, les valeurs qui y sont attachées, la sexualité… ne sont pas « une affaire » de femme ! Son arrivée a aussi donné un coup de jeune à l’ONG. Il explique comment.  Détenteur d’un Master en Occupational Psychology de l’université de Coventry, Angleterre, Sean Rungen est aussi lecturer à temps partiel à l’université de Maurice.

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Un jeune de 27 ans au poste de directeur de l’Action Familiale. Comment avez-vous atterri là ?

Comme pour tout poste, mon historique académique et mon parcours professionnel ont été jaugés. J’ai fait des études en psychologie à Maurice et en Angleterre. Je suis psychologue du travail. J’ai travaillé dans le marketing, les ressources humaines, participé à un projet pilote par la National Social Inclusion Foundation dans le secteur éducatif… Et actuellement, j’enseigne la psychologie du travail à l’université de Maurice. Hormis mon antécédent professionnel, je pense aussi que mon background dans le social a interpellé. J’ai grandi dans ce milieu, j’ai évolué avec le Groupe A de Cassis et Lakaz A. Quand j’ai appris que le poste que j’occupe était vacant, j’ai envoyé ma candidature. Dans le corporate, c’était bien et je gagnais bien ma vie. Mais je savais qu’à un moment cette partie sociale allait me manquer dans la sphère corporate. J’ai toujours aimé faire la différence, apporter ma pierre à l’édifice. Et cette opportunité d’emploi ici était parfaite, elle me permet de concilier mes compétences professionnelles et sociales pour faire la différence dans la vie des familles. Le conseil d’administration m’a fait confiance et je pense que cela a dû être un challenge pour celui-ci de faire confiance à un jeune. De nos jours, il n’y a pas beaucoup de jeunes qui occupent des postes de responsabilité. Si je suis là, c’est grâce aux membres du conseil d’administration qui ont cru en un jeune pour être à la tête d’une organisation qui a 60 ans.

Votre position vient donner tort à la plupart des discours à tendance négative sur la jeunesse, notamment qu’on ne peut faire confiance aux jeunes…

Oui ! Dans nos trois départements, y compris les finances, il y a au moins un jeune de moins de 25 ans. On nous a fait confiance et nous sommes en train de démontrer qu’on a eu raison de le faire. La synergie se complète avec l’expérience de ceux qui sont là depuis longtemps. Avoir un jeune à la tête de l’organisation encourage certainement les autres jeunes de nos départements à mettre en place des projets dynamiques. Toutefois, pour une ONG qui recrute des jeunes, la difficulté est de trouver ceux qui veulent un emploi pour faire la différence.  Une ONG, pour des raisons financières, ne pourra sans doute pas s’aligner sur les salaires proposés par une entreprise privée ou dans le secteur public. Des jeunes viennent et partent aussitôt pour de meilleures offres. Mais les ONG qui veulent maximiser sur leur communication ont conscience de l’apport des jeunes. À l’Action Familiale, nous sommes appelés à travailler avec les enfants et les jeunes couples et notre image, nos ressources  doivent être en ligne avec notre mission.

Votre présence doit sans doute surprendre…

Il est toujours surprenant de voir un jeune directeur. Encore plus ici, car à l’esprit, Action Familiale rime avec « vieux ». Mais j’aime bien l’idée d’être un jeune qui défend des valeurs qui sont toujours d’actualité, peut-être même plus que jamais, et auxquelles il faut penser à intégrer l’écologie humaine. Si on veut vivre pleinement ce concept, il faut connaître son corps et vivre avec ce que notre santé et horloge biologique nous permettent de faire. On est surpris de me voir là, d’autant que mes collègues sont des femmes en majorité. Avoir une meilleure compréhension de la femme aide à mieux travailler avec elle.

En tant que jeune directeur, que faites-vous pour rendre dynamique une ONG qui compte 60 ans d’existence ?

Nous sommes en phase de transition digitale. Qui dit 60 ans, dit des années de papier, de procédures administratives assez lourdes. Nous nous appliquons à alléger celles-ci grâce à la digitalisation. Et à répondre à la demande d’une population qui est plus encline à l’utilisation des applications, dont celle en guise de contraception. À ce sujet, il y a beaucoup de jeunes femmes qui ont recours à ce genre d’application, et se croient safe. Ce qui n’est pas forcément le cas. Action Familiale n’a pas encore mis en place son application, mais cela doit venir, car dans le contexte actuel, on ne pourra plus demander aux femmes de continuer à écrire des données relatives à leur température, leur cycle sur des fichiers. Les discussions de la méthode naturelle se font déjà par WhatsApp. On a besoin de passer par la transition technologique. Cela coûte cher, mais c’est nécessaire. Nous devons être dans l’air du temps, mais tout en gardant nos valeurs. Avec une telle longévité, Action familiale a pendant longtemps été associée qu’à la méthode de contraception naturelle et renvoyé l’image d’une organisation vieux jeu. Mais la méthode a été améliorée de manière scientifique au fil des années. En tant que jeune, venir dire l’importance de la méthode naturelle, son caractéristique écologique, ses valeurs, c’est relativement difficile, parce que je suis de la génération qui a été exposée à d’autres méthodes plus populaires. Mais Action Familiale, ce n’est pas qu’une méthode de contraception naturelle ! Elle a pour vocation l’intérêt de la famille, cela va du couple – où les deux partenaires doivent se comprendre et que la méthode prônée encourage la communication, de plus l’homme est appelé à comprendre le fonctionnement du corps de la femme – aux enfants… Nous avons aussi introduit de nouveaux programmes de proximité et réactualisé d’autres qui étaient déjà en place. Et depuis que je suis là, nous avons recruté des jeunes, notamment de nouvelles éducatrices, pour renforcer nos équipes. Notre staff sur le terrain est vieillissant, il faut assurer la relève. C’est pour cela que nous sommes en train de recruter des jeunes, utilisatrices de la méthode naturelle, qui ont la connaissance suffisante dans la pratique pour informer et expliquer sur celle-ci.

 

Quelle est votre stratégie pour renverser la mentalité qui veut que la contraception soit une affaire de femme ?

La meilleure stratégie est de faire comprendre aux hommes leur propre sexualité. Que l’acte sexuel n’est pas la sexualité. Lui dire que la sexualité englobe tout ce qui construit la relation entre l’homme et la femme. Qu’il a le droit de montrer ses émotions. Mais comme on a toujours associé les émotions aux femmes et que la majorité des actions qui sont liées à la famille sont adressées aux femmes, les hommes s’efforcent à refouler leurs sentiments. Et cette réaction rend difficile notre tâche. On peut penser qu’en touchant les collégiens, nous ciblons un public facile puisque l’école en tant que plateforme est accessible, mais c’est important d’y être présent. Malheureusement, nous ne touchons pas toutes les écoles. Et dans celles où nous sommes présents, nous constatons qu’il est très difficile pour les garçons d’exprimer leurs émotions sur la sexualité ! Cela reste important pour nous de leur dire que la sexualité implique la responsabilité. Mais ce n’est pas évident de changer une mentalité qui est finalement le fruit d’une société qui demande plus de sensibilisation et d’actions pour les hommes. Pour ces derniers, ne pas comprendre leur sexualité ou ne pas être compris par leur partenaire est aussi une grande souffrance.

Vous parlez d’une société mauricienne qui est encore patriarcale ?

Oui et non. Oui, parce que c’est en partie une réalité et que, dire que la société mauricienne est patriarcale n’est pas un discours féministe. Les disparités salariales basées sur le genre à la défaveur de la femme sont toujours d’actualité.  Non, la société mauricienne n’est pas totalement patriarcale, parce qu’il y a eu beaucoup de changements qui ont conduit au progrès, à l’épanouissement et à l’ascension de la femme. Aujourd’hui, des femmes sont à être à la tête des sociétés, elles sont à la fois chefs d’entreprise, mères et vivent pleinement leur féminité. Mais la quête de l’égalité ne devrait pas à mon sens faire de l’ombre à la complémentarité homme-femme. Et vivre l’égalité des genres, c’est accepter les différences physiologiques et psychologiques de l’autre.

À quel moment est-ce que Action Familiale arrive à atteindre les hommes ?

Arriver à toucher les hommes reste une problématique pour toutes les ONG. La plupart de nos actions se font pendant les heures où l’homme est au travail. Nous pouvons leur parler quand il y a des formations pour les couples et que nous abordons la méthode contraceptive naturelle. Il faut reconnaître que lorsqu’on fait une causerie, l’audience est composée majoritairement de femmes. Toutefois, certains hommes sont de plus en plus conscients que connaître leurs responsabilités aussi bien que le corps de la femme, cela les aide dans leur vie familiale. Cela me touche particulièrement quand j’entends des témoignages d’hommes qui confient que mieux connaître le fonctionnement du corps de leur femme est une découverte qui va leur servir de guide dans la sexualité du couple. Quand c’est ainsi, la femme, elle, ne va pas se sentir seule dans ce processus dont la responsabilité lui est souvent attribuée. Un homme qui comprend le corps de sa femme sera, par exemple, plus attentif lorsqu’elle va vivre l’étape de la ménopause.  Comprendre la sexualité, planifier une vie familiale, la grossesse précoce, mère célibataire…les hommes aussi ont leur responsabilité dans ces cas de figure. Si tout ce que nous faisons va cibler uniquement les femmes, nos actions seront caduques.

Sur le terrain, il y a des réalités qui font que la sexualité ne marche pas toujours avec la communication, mais avec la contrainte. Ou la découverte quand il s’agit des adolescents, par exemple. Ne devriez-vous pas ajuster votre approche sur la contraception, voire les moyens de protection ?

Avant même de parler de méthode naturelle au couple, nous abordons le thème de la gestion des conflits. Avec notamment la violence. Nous expliquons ce qu’est la violence, ses causes, etc. Nous avons ici une approche préventive pour éviter que la sexualité ne soit pas accompagnée de communication dans le couple. Cela étant dit, si nous sommes pour la méthode naturelle, ce n’est pas parce que nous sommes contre les autres méthodes. Mais nous ne voulons pas de solutions quick fix. Nous voulons des changements en profondeur. Nous comprenons parfaitement les problèmes mentionnés, mais nous restons convaincus des valeurs de notre méthode et de son impact dans la famille. Nos positions sur cette question vont dans le sens de ce que j’ai dit auparavant à propos de la perception des hommes sur la sexualité, de l’éducation à faire pour changer leur regard réducteur sur le sujet, qu’il faut les responsabiliser et encourager à exprimer leurs émotions. Et aussi penser à introduire l’éducation à la sexualité dans le programme scolaire. Quant aux adolescents qui vivent la découverte de leur corps et celui de l’autre, nous leur disons que la sexualité ne se limite pas à l’acte sexuel. On a trop commis l’erreur d’amalgamer les deux. Il faut apprendre à connaître l’autre et comprendre l’affectivité. C’est pour cela que, oui, nous prônons l’abstinence avant de vivre pleinement la sexualité.

Quelles sont aujourd’hui les positions de l’Action Familiale sur les relations sexuelles protégées en cas d’infections sexuellement transmissibles ?

Nous sommes avant tout pour la protection de la vie. Une personne qui a une IST doit se protéger pour protéger sa partenaire. En aucun cas elle ne doit la mettre en danger. Ce sont des problèmes spécifiques que nous devons adresser. When it is a health issue, it demands a different approach. 

On associe encore Action Familiale à la religion catholique. Qu’en est-il ? 

Action Familiale est une ONG à part entière. Apolitique et laïque, et ce, même si nous avons été créés par le Cardinal Jean Margéot. Au moment de sa création, la fondation de l’ONG a été basée sur des valeurs proches des valeurs chrétiennes, qui sont aussi universelles. Notre mission s’adresse aux familles de Maurice et de Rodrigues, et non à l’Église. Aujourd’hui, nos ressources humaines sont pour la plupart des personnes de foi hindoue, islamique et bien moins sont de confession catholique et chrétienne. Par ailleurs, les utilisatrices de la méthode (Ndlr : Ogino) prônée par Action Familiale sont de toutes les communautés et nous intervenons dans toutes les régions auprès de toutes les confessions issues de la diversité mauricienne. C’est vrai de dire que nous sommes proches de l’Église catholique, mais c’est parce qu’elle fait appel à nous pour des formations. Tout comme nous répondons aussi positivement à tous ceux qui ont besoin de nos services.

Quel est le plus grand défi que vous pensez relever avec Action Familiale ?

C’est de nager à contre-courant… C’est tellement plus simple de proposer une panoplie de méthodes ! Si on prend la méthode naturelle que nous préconisons en isolation, on ne comprendra jamais notre mission. Ce n’est qu’une fois qu’on nous regarde de manière holistique qu’on voit la pertinence de nos actions.  La méthode est un moyen, nos actions et nos services sont diversifiés. C’est dans cette optique qu’il est important de réactualiser l’image de l’Action Familiale. Nous préconisons la méthode naturelle, certes, mais le discours a changé. Nous allons plus en profondeur dans la réalité des couples mauriciens.

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