À Maurice, la distribution gratuite de produits périodiques à usage unique aux femmes et hommes transgenres, sur leurs lieux de travail – ou dans des espaces publics – ne semble pas prête à rentrer dans les normes. Perçues comme “une affaire de femme” relevant de l’ordre privé, les règles sont, donc, un sujet tabou. Toutefois, à l’instar du papier toilette et du savon, faciliter l’accès aux produits menstruels au personnel féminin devrait être une évidence ! De plus, toute femme est susceptible d’éprouver une difficulté à avoir accès à des produits menstruels, dû à l’imprévisibilité des périodes ou pour des raisons économiques.
Le groupe AVA à Ebène a mis en place la Period Positive Workplace, initiative qui pourrait inaugurer la tendance vers la distribution de produits périodiques aux salariées. Plus de 500 employées du groupe reçoivent des serviettes hygiéniques chaque trois mois. Ainsi, en une année, 4,500 paquets de serviettes à usage unique leur ont été distribuées.
Dans toute entreprise, le papier toilette et le savon sont mis à la disposition des employés. Depuis l’application de ces mesures d’hygiène sur le lieu du travail, l’accès à ces facilités est considéré normal. En revanche, l’accès aux serviettes ou tampons hygiéniques pour des employées ayant leurs règles au travail est une pratique qui n’est pas encore rentrée dans la norme. Pourtant, les produits menstruels sont tout autant essentiels que le papier toilette et le savon dans le milieu du travail, d’autant que les règles peuvent survenir en avance et, donc, embarrasser l’employée qui n’aurait pas pris ses dispositions ou qui n’aurait pas de moyens financiers pour acheter des serviettes hygiéniques. À l’ère de l’intelligence artificielle dans le monde du travail, on n’installera toujours pas un distributeur de protections comme on le ferait pour un distributeur de café ! Pour cause, à Maurice et ailleurs, les règles sont encore taboues.
« Les règles sont toujours un sujet très tabou à Maurice, surtout dans le monde du travail. Pourtant, de nombreuses femmes doivent faire face à davantage de difficultés et de défis lorsqu’elles ont leurs règles. Beaucoup d’entre elles souffrent en silence”, observe Lovena Armoogum, Senior HR Manager d’AVA Group.
“Un sujet tabou dans le monde du travail à Maurice”
Les entreprises mauriciennes qui ont décidé de déstigmatiser la question ne sont pas légion. Même que Djemillah Mourade-Peerbux, l’initiatrice de The Ripple Project (organisation qui sensibilise et milite contre la précarité menstruelle), n’a pas mis longtemps à compter le nombre de compagnies qui ont changé les… règles pour s’assurer que leurs employées aient accès à des protections sur leur lieu de travail. “Je n’en connais qu’une pour le moment !”, nous dit Djemillah Mourade-Peerbux, après une très courte réflexion. Ce qui en fait deux après l’initiative d’AVA Group. Cela fait sept ans que cette dernière sillonne le pays pour mener son combat. Si plusieurs entreprises proposaient les produits menstruels à leur personnel féminin, elle l’aurait su !
Avoir ses règles et à l’aise au travail
C’est en août 2022 qu’AVA Group lance son projet AVA Period Positive Workplace. Le projet fait partie des initiatives qui visent à améliorer le cadre du travail pour tous au sein des entreprises (Natec Medical, Xtruline, Abiolabs, AVA Technopark, AVA Realty, Tobili Investment, Maeva Center…) du groupe. Dans un communiqué que le groupe a publié il y a peu pour parler de son programme, Lovena Armoogum explique que celui-ci souhaite que ses entreprises soient “des lieux où les femmes qui ont leurs règles se sentent à l’aise, comprises et soutenues.” Employées du groupe, 500 femmes bénéficient de ce programme. Et en presque un an, 4 500 paquets de serviettes hygiéniques de jour et de nuit ont été distribués au personnel féminin. Chaque employée reçoit trois paquets de serviettes hygiéniques sur une base trimestrielle.
Soutien économique
Une femme qui a ses règles dépense au minimum entre Rs 60 et Rs 100 (selon la marque du produit) en achat de serviettes menstruelles jetables. “Un paquet de serviette coûte, au minimum, Rs 30 à Rs 35. Et selon les femmes, un paquet ne suffira pas. Des femmes qui ont des difficultés financières dépenseront cet argent autrement, en transport ou nourriture, par exemple, que de s’acheter des serviettes hygiéniques. Elles trouveront d’autres alternatives aux serviettes et comme cela ne se verra pas, elles ne vont pas hésiter à se sacrifier”, fait remarquer Djemillah Mourade-Peerbux. En donnant accès aux protections périodiques à leurs employées, des entreprises apporteraient d’une certaine manière leur soutien à celles qui affrontent des problèmes économiques.
Le distributeur, une stratégie efficace
D’autre part, en fournissant des protections menstruelles à ses employées, une entreprise ne fait pas uniquement montre d’humanisme, elle gagne aussi en productivité. Les employeurs participent, certes, au bien-être de leurs salariées, mais gagnent aussi en terme de satisfaction. En effet, quand les règles débarquent, elles sont souvent accompagnées de multiples inconforts et si, en sus de cela, l’employée n’a aucune protection à portée de main, son niveau de stress grimpera et impactera sa productivité.
C’est pour cette raison que Djemillah Mourade-Peerbux dit favoriser l’installation de distributeurs gratuits de protection hygiénique comme méthode de distribution. Par ailleurs, ajoute-t-elle, ce dispositif devrait être envisagé dans des lieux publics, à l’instar des hôpitaux.
Reconnaître la pertinence de l’accès aux protections périodiques dans le milieu professionnel est un pas vers la reconnaissance des problématiques de santé (dont l’endométriose) liées aux règles, lesquelles rejaillissent, encore une fois, sur la productivité. S’invite, alors, au débat la fameuse question de congé menstruel.
Offrir le meilleur confort possible, une logistique ergonomique, un temps de repos, à l’employée sont autant de mesures qui peuvent lui faciliter le travail pendant ses règles, mais lorsque les douleurs sont insupportables, les tâches professionnelles sont impossibles à réaliser.
Congé menstruel, un invité au débat
Cependant, le congé menstruel peut potentiellement renforcer le sentiment d’inégalités femmes-hommes. Certains en seront contre au nom de l’égalité dans le traitement des genres au travail. Mais pour Djemillah Mourade-Peerbux, il faut contextualiser le débat. Le cycle menstruel est une caractéristique du corps féminin. Et, c’est seule que la femme est appelée à gérer ses douleurs menstruelles. Ainsi, en préambule à l’instauration d’un congé menstruel, la question demande en premier lieu une meilleure compréhension, par tous, des problèmes intrinsèques aux périodes. Il faut, ensuite, définir les modalités qui accompagneront une loi sur la création d’un congé menstruel. Entretemps, explique Djemillah Mourade-Peerbux, des alternatives au congé pour règles douloureuses sont plausibles. L’employeur peut convenir d’un arrangement, dit-elle, avec l’employée concernée, tel, par exemple, télétravailler lorsque c’est possible.
Congé menstruel
Tour des pays pionniers
l Alors que le congé menstruel est encore à l’étude dans beaucoup de pays occidentaux, et que l’Espagne vient tout juste de légiférer sa création, le Japon a devancé tous les États du monde sur ce plan. Mais si le premier pays à adopter un congé menstruel, peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale, est l’Empire nippon, au fil du temps, de moins en moins de Japonaises ont été enclines à prendre des congés.
l En Indonésie, la loi, initialement mise en place en 1948, prévoit un ou deux jours de congés payés en début de cycle menstruel et en cas de règles douloureuses.
l En 2001, la Corée du Sud instaure à son tour le congé menstruel. Les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, qui n’est pas payé. Les entreprises qui ne respectent pas la loi sont passibles d’une amende d’environ Rs 200,000.
l Le premier pays africain à mettre en place ce dispositif est la Zambie. Le pays a adopté en 2015 une loi accordant aux femmes le droit à un congé menstruel appelé “fête des mères”, par pudeur. Les Zambiennes peuvent prendre un jour de congé par mois, sans préavis ni certificat médical, en cas de règles douloureuses.