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Regards sur la situation socio-économique : La République de Maurice est à un nouveau tournant de son évolution socio-économique

En 1960, soit huit ans avant l’accession à l’Indépendance, deux puissants cyclones dévastateurs, ALIX et CAROL, détruisent les champs de cannes à sucre sur l’île principale, avec pour conséquence que l’unique industrie digne de ce nom est mise à plat. Grace aux recommandations du célèbre Professeur Meade, les autorités décident que l’économie doit être diversifiée et que les Å“ufs ne doivent plus être placés dans un seul et même panier. Cette politique de diversification commencera à prendre forme au début des années ’70, grâce particulièrement à la vision de quelques Mauriciens qui avaient compris que l’avenir reposait sur la diversification de l’économie. Des noms méritent d’être cités : Amédée Maingard pour l’hôtellerie, José Poncini et le Professeur Lim Fat pour des opérations manufacturières légères et à forte intensité de main-d’œuvre, ainsi que deux hauts fonctionnaires, Benoit Arouff et Yves Appasamy.

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Mais la décennie ’70 est catastrophique à Maurice :

– Un gouvernement affaibli et acculé,

– Une opposition forte, experte en démonstrations et en grèves, notamment au port et dans le transport public, et

– Une économie en perte de vitesse, le prix mondial du roi sucre ayant chuté en deuxième partie de la décennie, alors qu’il avait flambé en1975, ce qui avait incité les autorités fiscales à distribuer des prébendes et à penser que l’on pouvait faire confiance au seul roi sucre pour le développement du pays.

C’est ainsi que la décennie ’70 termina sa course avec, en octobre 1979, une dévaluation de la roupie, suivie d’une deuxième en septembre 1981. L’effet cumulé de ces deux dévaluations correspondait à une baisse du pouvoir d’achat de la roupie mauricienne de l’ordre de 55%.  Celle-ci ne valait plus que 45 sous !

1982 : une nouvelle page est tournée

On connait l’expression : un malheur ne vient jamais seul. La saison cyclonique 81-82 est désastreuse à Maurice. Et les élections législatives se pointent à l’horizon. Elles se déroulent en juin 1982, et le résultat est fracassant : une coalition des partis de l’opposition, menés par Paul Bérenger, un jeune frais émoulu de ses études en France et sympathisant marxiste, remporte une victoire inédite, soit la totalité des soixante sièges à pourvoir. Jusque-là, du jamais vu à Maurice.

Et cette grosse surprise sera rapidement suivie d’une autre : le Premier ministre, Aneerood Jugnauth, un avocat propulsé à la tête de la coalition pour des raisons de caste et d’ethnicité (il est hindou et membre d’une caste ni trop haute ni trop basse) se sépare de Bérenger, devenu ministre des Finances, et organise de nouvelles élections qu’il remporte en 1984. Adieu marxisme !

Et voilà venu le moment de soigner l’économie ! Le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale renforcent leur aide à Maurice grâce à des prêts conséquents. Mais ceux-ci sont accompagnés de directives (des stand-by arrangements) auxquelles les autorités locales doivent se soumettre en matière d’orientation et de gestion de l’économie.

Contrairement aux gesticulations de la population mauricienne durant les années ’70, on assiste à une réelle conversion au travail de toute la population, et plus particulièrement des femmes disposées à quitter leur foyer pour se rendre au travail en usine manufacturière, s’agissant notamment de vêtements prêts à porter. Et, sans rechigner, la population tout entière se met à l’œuvre et accepte, sans la moindre complainte, que les congés publics chômés soient au nombre de 12 annuellement, alors qu’en fin des années ’70, elles avaient atteint le nombre de 28.

Le décollage économique de Maurice devient réalité. Les prêts obtenus du Fonds Monétaire et de la Banque Mondiale sont dûment remboursés et à temps.

Les trois décennies suivantes

Le développement se poursuit jusqu’aujourd’hui, les opérations manufacturières étant rejointes par le tourisme de luxe, le secteur financier transfrontalier, le port franc et la technologie numérique.

Et nous voici devant d’autres défis à relever dans le sillage des récents évènements suivants :

  • L’élan brisé par les pannes que le Covid a imposées à l’économie mauricienne depuis 2020 ;
  • La hausse des prix du fret, à la suite de turbulences causées dans de nombreux ports du monde et les services de cargo ;
  • L’inflation des prix avec ses répercussions pénibles sur le coût de la vie. Il convient ici de préciser que l’inflation est un problème mondial dans le sillage de Covid et de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Maurice est particulièrement touché parce que notre économie est très ouverte. Par exemple, la somme des importations et exportations, soit notre commerce international, a atteint en 2022, 120,7% de notre PIB (Produit Intérieur Brut), communément appelé notre gâteau national. Et qui plus est, les importations de produits et de services à partir des marchés étrangers ont, en 2022, été équivalents à 64,9% du PIB, tandis que les exportations ont plafonné à 55,8%.

D’où le cri général et parfaitement justifié que nous devons, le mieux possible, utiliser nos ressources naturelles, soit de larges étendues d’océan pour la pêche, et nos terres laissées en jachère à la suite de la mévente du sucre. Sans oublier que notre généreux soleil devrait être en mesure de nous aider à cultiver une canne riche, non pas en sucre, mais en biomasse, ce qui réduirait notre dépendance du fioul importé pour nos besoins d’énergie.

C’est, certes, tout un programme qui requiert la collaboration intelligente et professionnelle de plusieurs agents :

– les gouvernants, dont le devoir est d’élaborer des programmes de développement avec l’aide de consultants dûment qualifiés et honnêtes

– des pays amis disposés à nous venir en aide, techniquement et financièrement

– des aides financières devant permettre une modernisation des équipements, bateaux et outils requis pour mener à bien les opérations de pêche, d’élevage et de culture industrielle.

Dans un autre ordre d’idées, nous devons aussi assurer la pérennité de trois piliers de notre économie.

  • Afin que le tourisme puisse continuer à nous apporter des devises fortes, il faut créer des occasions aux visiteurs de dépenser leurs euros et leurs dollars en se promenant à travers l’ile, pour visiter de belles villes bien aménagées, avec des musées et des jardins publics. Ces opportunités ne sont guère réelles en ce moment. Avis est donné aux municipalités et aux conseils de districts.
  • Par définition, la main-d’œuvre est devenue relativement chère, par rapport à celle de Madagascar ou des Comores, dont le revenu par tête est inférieur au nôtre. Afin que nos usines de textile puissent rivaliser avec celles de ces pays sur les marchés internationaux, nous devons pouvoir offrir à la clientèle des produits finis qui se distinguent du lot. Du pain sur la planche pour le Fashion Institute de Maurice, afin que des vêtements typiques made in Mauritius puissent être exposés, et vendus, dans les grands magasins d’Oxford Street à Londres ou des Champs Elysées à Paris.
  • Le port franc occupe une place stratégique dans la poursuite du développement économique de Maurice. C’est de par ses services irréprochables que Maurice pourra accomplir, dans la réalité, le rôle qu’elle s’est imaginé en signant récemment des accords avec des institutions pan africaines pour l’acheminement de marchandises des pays d’Asie à des pays d’Afrique.

Et maintenant ?

Mais il en faut encore plus. Il revient à chaque, en âge de comprendre et de travailler de ses mains et de son intelligence, de se réveiller et de se mettre à l’ouvrage. Ce n’est pas le moment de venir demander au gouvernement de tout prendre en charge. S’il est vrai qu’il est du devoir des autorités publiques de poursuivre la politique d’éducation et de soins gratuits, il y a lieu, de manière générale, d’instituer une politique d’aide ciblée, c’est-à-dire de pourvoir aux besoins des nécessiteux, laissant les autres se débrouiller par eux-mêmes, quitte à réduire leur train de vie. Le pays tout entier en sortirait gagnant : chaque année, nous consommons quasiment 90% de notre PIB. Le parent pauvre, c’est l’investissement qui stagne à 10%, alors que, comme nous l’avons évoqué ci-dessus, il y a tant à faire pour développer davantage nos ressources par des investissements de qualité.

L’économie mauricienne ne retrouvera la vigueur qui l’a caractérisée depuis les années ’80 que si les ressources dont elle dispose sont bien utilisées. Et sa ressource principale, c’est sa population, comme cela a été démontré depuis 40 ans. Malheureusement, les circonstances présentes ne sont guère favorables au déploiement de ces ressources humaines. Certaines d’entre elles sont enfermées dans l’enfer de la drogue, soit en tant que consommateurs, soit en tant que passeurs, et cela, depuis leur adolescence.

– Des familles sont fragilisées par des incompréhensions et des divorces dont l’origine est de nature égocentrique. Les enfants en font les frais, ce qui n’est guère favorable au déploiement éventuel d’une population jeune, bien formée et dynamique, disponible pour poursuivre l’œuvre du développement socio-économique du pays.

L’hiver démographique qui fragilise la vieille Europe s’étend subrepticement à Maurice depuis une trentaine d’années. Le taux de fertilité est actuellement bien au-dessous du minimum de deux par femme en âge de procréer. Il est en chute libre depuis plusieurs années : en 2022, il est descendu à 1,354. Au niveau mondial, Maurice se trouve dans les derniers rangs du tableau du taux de fertilité. Dans son livre intitulé Décennie 2020, Monique Dinan met l’accent sur ce problème, le taux des naissances ayant chuté à 10,2 pour mille en 2018, alors qu’il était à 12,9 en 2008.Quant au taux de croissance naturelle, il avait, durant la même période, chuté de 5,5 à 0 ,03.

Autant dire que les ressources humaines manqueront à l’appel, lorsqu’il s’agira de poursuivre le développement socio-économique du pays.

Dès lors, il n’est nullement surprenant que la main-d’œuvre mauricienne soit devenue rare, et que l’on doive avoir recours à Madagascar et à certains pays asiatiques. Certes, c’est une belle opportunité pour les ressortissants de ces pays, vu que leur niveau de vie et leurs salaires sont sensiblement inférieurs à ceux des Mauriciens. Prenons garde, toutefois, car l’expérience de pays développés, comme la France par exemple, nous enseigne qu’une immigration forte de main-d’œuvre étrangère peut générer des troubles sociaux, si l’on ne prend garde à traiter les travailleurs immigrés aussi bien que les citoyens.

Alors que la pyramide démographique est rongée à sa partie basse par une insuffisance des naissances, son pic élancé s’affaisse sous la pression de l’étendue de l’espérance de vie, grâce aux progrès de la médecine. La pyramide évolue graduellement vers la forme d’une toupie. Ce qui mène à une question à laquelle il faudra éventuellement trouver une réponse : qui s’occupera du contingent grandissant des personnes âgées ? Heureusement qu’il y a des progrès considérables de la technologie et du numérique.

Et ceci nous rappelle cet autre problème mauricien, l’attrait de la formation académique pour le plus grand nombre. Il y a nécessité d’orienter vers des études techniques et/ou manuelles les jeunes qui ne sont pas à l’aise dans l’académique. Il y a un début avec l’introduction du HSC PRO, qui permet à l’apprenant de bénéficier d’une formation en entreprise, mais il faut se hâter à former de bons travailleurs manuels, dont des électriciens, des mécaniciens et des pêcheurs. Il va sans dire que ces techniciens doivent être reconnus par la société et avoir une décente rémunération.

Une gouvernance de qualité

Notre regard s’est jusqu’ici porté sur un déploiement efficace et bien ordonné des ressources qui sont à la disposition des Mauriciens. Mais toute entreprise doit être gérée et, pour qu’elle réussisse, elle doit l’être de manière efficace. L’entreprise nationale qui est de remettre l’économie mauricienne sur des rails requiert une gouvernance politique saine et efficace.

– Saine, exempte de corruption et de passe-droits ;

– Efficace, avec des dirigeants compétents et pouvant compter sur la collaboration d’exécutants, également compétents et au service de la nation tout entière.

Certains penseront que c’est un idéal irréalisable. D’autres penseront que seul un dictateur pourrait parvenir à réaliser un tel objectif. C’est oublier que les dictateurs qui veulent du bien pour leur pays se comptent sur les doigts d’une main.

Pour une démocratie vivante

En définitive, si la situation économique doit reprendre la voie d’une croissance saine et bénéfique pour chaque citoyen, grand ou petit, une démocratie vivante doit voir le jour. Cela commence par le vote d’électeurs avisés, c’est-à-dire de ceux qui ont étudié les programmes proposés par les candidats à la députation et expriment leur vote, non pas pour des gains à court terme et strictement personnels, mais pour le bien du pays tout entier.

On ne peut que souhaiter qu’un tel comportement soit prééminent durant les prochaines joutes électorales, afin que Maurice puisse poursuivre un développement socio-économique durable au long terme, pour le bien de tous, petits et grands.

La République de Maurice mérite une réédition de son succès mondialement reconnu des années ’80, soit un développement ordonné et rapide, avec la collaboration du plus grand nombre de ses citoyens.

Pierre DINAN

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