À l’occasion de l’anniversaire de Paul Harris, le fondateur de Rotary International, né le 19 avril 1868, Rachel Ng revient sur le parcours de cet homme qui l’a inspirée. Par ailleurs, Rachel Ng a été la première femme mauricienne à être admise dans un club Rotary à Maurice, en l’occurrence le Rotary Club de Mahébourg, en 1995. Développeuse de compétences transversales dans une firme de comptables, Rachel est une ancienne tifi Lorette de Curepipe, avec pour maxime d’être au service de l’humain.
Rachel Ng, vous êtes la première Mauricienne à être admise au Rotary Club de Mahébourg. On aimerait mieux cerner votre parcours et votre personnalité flamboyante…
J’ai plusieurs cartes à jouer : animatrice des interventions sur mesure pour accompagner les employés et booster la performance pendant plus de trente ans, conceptrice de projets, personne en situation de handicap, fermière, personne ayant la nationalité française avec mes origines chinoises et mère de famille.
Originaire du sud de Maurice, je savais que je voulais faire une carrière sur la scène, soit en étant chanteuse, artiste ou dans le marketing. J’ai fini par opter pour une carrière en tant que développeuse de compétences transversales dans une firme de comptables. J’aime le contact humain et je me sens privilégiée de travailler avec les gens de tous bords dans ce processus de « mauricianisation ». Dans la foulée, j’étais invitée par le Rotary Club en tant qu’oratrice pour aborder la thématique “Apprentissage tout au long de la vie”, (lifelong learning). Et voilà, on me propose l’adhésion. J’ai pris au moins un an avant de me décider à franchir le pas.
Pourquoi avoir attendu un an pour franchir ce pas ?
Je me suis dit : Qu’est-ce qu’un petit bout de bonne femme d’origine chinoise, fille de commerçant du coin, allait apporter à un club exclusivement masculin ? Au final, je me suis trouvée à la bonne école avec des mentors attentionnés et bienveillants. À cœur ouvert, c’était un autre monde qui s’ouvrait dans un univers d’hommes de pouvoir avec une éthique irréprochable.
Justement, en quoi le Rotary peut-il changer la vie d’une femme ? Qu’avez-vous appris d’intéressant ?
Cette ouverture sur le monde extérieur était salutaire. Je réalise que je suis partie prenante d’une organisation internationale avec 1,7 million de membres œuvrant pour la transformation d’un monde meilleur. Pour apporter un changement durable dans le monde, nous nous mettons au service des autres. Nous faisons la promotion de l’intégrité (être vrai avec soi et être vrai avec les autres), de la compréhension mutuelle, de la bonne volonté et de la paix au travers de notre réseau professionnel et de leaders.
Étant jeune à l’époque, je me jette corps et âme pour diriger les pôles suivants : Service international, Service communautaire et la rédaction des infos lettres. Imaginez être sur le terrain pour monter une école inclusive pour enfants en situation de handicap avec les ingénieurs de bâtiment et l’architecte, c’est un autre univers qui permet de comprendre l’immobilier. Il y a le jumelage avec les autres clubs rotariens à travers le monde. Ce frottement avec les autres cultures ne fait que m’enrichir.
Essentiellement, je répandais de l’énergie féminine dans un monde exclusivement masculin : l’intuition, la douceur et l’empathie, surtout sur les projets communautaires. En revanche, j’apprenais la rigueur, le protocole et l’éthique. Le plus important est que le Rotary a forgé mon savoir-être. C’est le critère des quatre questions qui gouvernent toutes mes décisions à ce jour. Est-ce vrai ? Est-ce juste ? Est-ce source de bonne volonté ? Est-ce équitable et bénéfique pour chacun ?
Pour être rotarienne, y a-t-il des critères spécifiques ?
Le prospect doit occuper ou avoir occupé une profession libérale, de chef d’entreprise, de commerçant, de cadre ou avoir été dirigeant au sein de sa collectivité. L’implication personnelle est primordiale. Il ou elle est sponsorisé(e) par un parrain. Comme ancienne tifi Lorette de Curepipe, notre devise c’est d’être au service de l’humain.
Servir, c’est dans votre ADN, selon votre philosophie de vie. Comment les rotariennes femmes s’engagent-elles ?
Quand on s’engage, que ce soit pour un homme ou pour une femme, on fait un projet avec le cœur pour un impact dans la durée dans nos communautés. Les axes de prédilection sont la promotion de la paix, la lutte contre les maladies, l’approvisionnement en eau potable, l’autonomisation des femmes et enfants, le soutien à l’éducation, le développement de l’économie locale et la protection de l’environnement. J’avais un profond respect pour les métiers manuels et les femmes. Je me suis engagée pour remettre les femmes debout dans l’écriture avec des cours d’alphabétisation fonctionnelle.
Vous évoquez aussi ce besoin d’engagement pour remettre des femmes debout vers une certaine autonomie dans l’écriture avec des cours d’alphabétisation. Avez-vous quelques anecdotes à partager ?
En tant que personne-ressource chez le centre Robert Antoine, présentement connu comme le Regional Training Centre, ça a été une grande joie de parcourir les établissements sucriers pour équiper les apprenants et les aider à comprendre l’écriture. Mon atout est de m’immiscer dans la culture mauricienne avec comme arme le bhojpuri. Je me souviens de ces témoignages bouleversants quand les participantes disaient que : « Aster nu kapav lir, nou kapav fer nou la list bann ekipman ek materyau kan nou al Porlwi. »
Mes souvenirs remontent à l’époque quand la propriété sucrière de Riche-en-Eau avait octroyé un transport pour visiter L’aventure du Sucre, c’est sur place que ces femmes ont été reconnues à leur juste valeur. Il fallait casser ce tabou parmi les ouvriers agricoles analphabètes (masculins, je précise) et effectuer un changement de paradigme.
Par la suite, la sucrerie Savannah avait accueilli des classes mixtes. Puis, j’ai développé ma propre méthodologie et à ma grande surprise, la Mauritius Qualifications Authority m’invite pour participer à l’ITAC (Industry Training Advisory Committee) en tant que praticienne.
À ce jour, vous êtes au nombre de combien de rotariens, hommes et femmes confondus ?
Il existe 32 Rotary Club à Maurice avec un effectif de plus de 750 membres. Les femmes peuvent devenir membres à part entière depuis 1985. Avec la parité, la question du genre ne se pose pas.
Vous considérez Paul Harris comme un mentor. En quoi son parcours vous a séduite ?
C’est le fondateur de Rotary International, un des plus prestigieux clubs service dans le monde. J’ai été séduite par sa vision, son altruisme et son sens de leadership. Au Rotary Club de Mahébourg, j’ai eu de très bons mentors de plusieurs corps de métiers qui ont su m’insuffler des principes de vie qui restent gravés dans ma mémoire. Je ressens une profonde gratitude pour mon parrain, Rtn Raj Ramdharree, de m’avoir choisie pour apporter une différence dans notre région.
Précisément, quels sont les projets mis en place dans votre région ?
Aujourd’hui, avec une santé fragile et ayant eu des expériences de mort imminente à trois reprises, je souhaite mettre en place une ferme de soins, de bien-être et de loisirs avec un jardin pédagogique. À la base, un habitat humain pour des personnes en perte d’autonomie et qui se sentent seules. J’envisage de cocréer cet espace de vie avec les consœurs et confrères rotariens. Notre maxime est : Healthy Eating, Healthy Living & Healthy Thinking ». Ce qui reflète mon essentiel.
Votre concept d’habitat humain pour des personnes en perte d’autonomie est intéressant. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec le concept, il s’agit d’une maison partagée, à taille humaine (six à huit logements privatifs), située au cœur de la nature et accompagnée par une maîtresse de maison. Elle permet d’accompagner les occupants dans leur quotidien et de coordonner les intervenants médicaux. Et de s’assurer qu’il se passe quelque chose entre les résidents.
L’idée est de permettre aux personnes de continuer à vivre dans un logement non-institutionnalisé, à leur rythme et en fonction de leurs envies tout en jouissant d’un accompagnement rassurant. L’intégration dans le tissu économique et social de la région fait partie intégrante du projet. Des partenariats avec les associations, clubs, professionnels de santé thérapeutes, collectivités etc. sont signés afin de participer pleinement à la vie de la communauté et favoriser l’inclusion des personnes.
Le projet répond à cinq objectifs : créer des espaces de vie adaptés et non-institutionnalisés régis par le libre choix des personnes ; lutter contre l’isolement des personnes ; déculpabiliser des familles et alléger les aidants ; revitaliser et revaloriser un village tout en réhabilitant le patrimoine existant.
Qu’en est-il de votre vision de cocréer cet espace avec les consœurs et les confrères rotariens ?
Il y a un grand espace forestier que j’aimerais valoriser à Riche-en-Eau, autour de quatre axes : agroforesterie, santé, bien-être et loisirs en pleine nature, ressourcerie pour valoriser les déchets végétaux, ateliers créatifs. Il s’agit aussi de cocréer des corps de métiers innovants associés avec la terre et l’environnement : agronome, botaniste, ornithologue, cueilleur, pépiniériste, artiste de jardin, et j’en passe. On souhaite cocréer un écosystème pour célébrer et respecter le vivant. Je lance une invitation pour célébrer la Journée de la Terre le 22 avril 2023, de 10h à 15h à MacDaisy, Espace de vie Riche-en-Eau.
Quel bilan faites-vous comme rotarienne à ce jour ?
C’est un lieu d’épanouissement pour les femmes et les hommes. Cependant, je tire la sonnette d’alarme sur l’altruisme qui s’érode. Il y a des membres qui utilisent le Rotary pour le réseautage. Il y a d’autres plateformes pour le réseautage. Notre devise, c’est Servir d’abord. C’est en donnant qu’on s’enrichit.