Il faut introduire un Maximum Retail Price (MRP) sur tous les produits de consommation courante. C’est ce que suggère Prakash Baluckram, le nouveau président de la Government Services Employees’ Association (GSEA). Ce système de contrôle des prix, qui a fait ses preuves en Inde, soulagera les consommateurs de la hausse des produits, dit-il. Dans l’interview qui suit, Prakash Baluckram souligne que le gouvernement devrait présenter cette mesure dans le prochain budget. Il dira aussi que les travailleurs mauriciens ne sont pas des paresseux et qu’il faudra au plus vite une étude sur l’impact des travailleurs étrangers sur les conditions de travail à Maurice.
Comment accueillez-vous votre élection à la présidence de la Government Servants Employees Association (GSEA) ?
Je suis membre de la GSEA depuis 1985. J’ai passé plusieurs étapes au sein de cette organisation avant d’être installé à la présidence. Le fait que nous disposions d’environ 9 000 membres nous permet d’opérer à travers des antennes qui sont composées de sept membres dirigeants. J’ai donc déjà assumé le rôle de président et de secrétaire d’une branche. De là, j’ai accédé à l’Executive Council qui est composé de 30 membres. Après avoir opéré dans cette instance pendant un certain temps, j’ai fait mon entrée au sein du Managing Committee où j’ai occupé plusieurs fonctions en tant que secrétaire, assistant secrétaire, Organising Secretary, vice-président et maintenant président de la GSEA.
Quelles sont maintenant vos priorités en tant que nouveau président de la GSEA ?
Mon premier objectif est de promouvoir l’engagisme. Je pense qu’il est inconcevable qu’une organisation qui compte environ 9 000 membres ne sente pas cette conviction. Nous devons faire notre propre mea culpa quelque part. Peut-être qu’au fil des ans nous avons un peu oublié le concept de l’engagisme. J’ai aussi remarqué qu’à Maurice, nous avons tendance à parler de personnalités plutôt que de mouvements.
Ce que je suis en train de dire, c’est que le mouvement syndical ne doit pas se fier uniquement sur une seule personne pour défendre une cause, que ce soit pour la compensation salariale annuelle, les discussions avec le Pay Research Bureau ou encore pour améliorer le bien-être. Je donne un seul exemple. Nous sommes en contact actuellement avec une compagnie d’assurances pour que les membres de la GSEA puissent assurer leurs véhicules à moindre coût. Donc, indirectement, je suis en train d’agir pour améliorer le pouvoir d’achat de nos membres. Ce que je suis en train de dire n’est pas nouveau. Cela se passe à l’étranger. Dans certains pays, il y a même des syndicats qui possèdent des compagnies d’assurances, des agences de voyages, etc.
En Afrique du Sud, il y a même des syndicats qui possèdent des appartements et des campements au bord de la plage pour leurs membres. Nous allons aussi mettre l’accent sur la jeunesse. Nous avons constaté que nous avons affaire actuellement à des mouvements syndicaux qui sont vieillissants. La plupart des dirigeants syndicaux ont atteint un certain âge. C’est un peu malheureux !
Nous allons ainsi demander à nos jeunes membres s’ils sont intéressés à venir donner un coup de main à la direction de la GSEA. Nous allons les former pour qu’un jour, ils puissent prendre la relève. Nous avons failli un peu dans notre devoir à ce niveau et il est temps maintenant de remédier à la situation. Il faut donner l’opportunité aux jeunes de s’exprimer.
Quelles sont les propositions pour le prochain budget ?
D’abord, le gouvernement nous dit qu’il a un gros problème de liquidité. Les syndicalistes et la population en général ne comprennent toujours pas cette façon de penser. À chaque fois qu’un nouveau gouvernement prend le pouvoir, il dit la même chose. Je pense cependant que l’un des plus gros soucis que le gouvernement aura à résoudre, c’est sans doute la nécessité de remplir les postes vacants dans la fonction publique. La fonction publique est l’outil de travail du gouvernement. Le gouvernement est un Policy Maker et l’exécution de sa politique dépend du nombre de fonctionnaires disponible.
À ce jour, un Dental Assistant est appelé à travailler dans deux hôpitaux. En sus de cela, il n’a pas de moyen de transport, il doit prendre le bus. Un Library Attendant doit travailler dans deux écoles. L’autre priorité du gouvernement est de régler une fois pour toutes le problème de la hausse des prix. À chaque fois, on vient vous dire que le prix augmente en raison de la fluctuation des devises étrangères. Plusieurs pays sont parvenus à résoudre ce problème en venant avec le Maximum Retail Price (MRP). C’est ce qu’il faut introduire à Maurice. Nous avons remarqué qu’à chaque fois que les salariés obtiennent une augmentation salariale, les prix se mettent à flamber. Donc, il n’y a pas de contrôle sur les prix. Un MRP diminuera d’une part le fardeau sur les inspecteurs des prix et résoudra le problème de la hausse continue des prix.
En Inde, par exemple, tous les produits sont frappés par un MRP. Nous demandons donc que le gouvernement vienne avec un MRP dans le prochain budget. Nous disons aussi qu’il y a le problème du vieillissement de la population. Et d’autre part, les salariés travaillent beaucoup et ne veulent pas en même temps que leurs grands-parents soient admis dans les Homes, ce qui est un signe de rejet pour eux.
La GSEA propose que le gouvernement aille de l’avant avec la mise sur pied de Cay Care Centres. Les grands-parents peuvent donc passer leur journée dans ces centres et revenir à la maison dans l’après-midi. Ils seront en mesure de rencontrer leurs amis et seront encadrés d’un personnel médical. Cela va aider aussi les enfants à rester avec leurs grands-parents. Ce faisant, ils pourront leur apprendre les bonnes manières.
La GSEA trouve aussi que la classe moyenne perd beaucoup en ce moment. Elle a perdu la compensation salariale annuelle, des Social Benefits comme pour couler la dalle et même le paiement d’un 14e mois. À ce jour, très peu de salariés sont capables d’acheter un terrain et construire une maison avec leurs salaires. Pour ce faire, le salarié doit contracter un emprunt et le rembourser ensuite pendant au moins 40 ans. Par contre, dans le passé, un Attendant était en mesure de construire une belle maison au fil des années. Nous demandons donc au gouvernement de venir avec des Housing Models, comme c’est le cas en Inde, où un Compound est consacré à une crèche, aux grands-parents, à des rencontres sociales. Il faut ce genre de nouveauté.
Et quid des travailleurs étrangers à Maurice ?
Je pense que le gouvernement devrait faire une étude sur l’incidence des travailleurs étrangers à Maurice. Auparavant, un système de quota avait été imposé pour ce qui est de l’embauche des travailleurs étrangers. Il est temps de faire une étude sur l’emploi des travailleurs étrangers à Maurice, car cela aura un impact sur le salaire, les conditions de service. Il faut bien étudier la question, car il est possible que cette situation ait des répercussions sur l’emploi à Maurice.
Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec le fait que l’on vienne dire que les travailleurs mauriciens sont des paresseux. Savez-vous pourquoi des employeurs mauriciens aiment employer des travailleurs étrangers ? Parce qu’ils ne réclament pas de congé, ils n’iront pas aux mariages, leurs enfants ne tomberont pas malades, ne prendront pas de congé pour des festivités, etc.
C’est tout à fait normal qu’un travailleur mauricien ait des engagements sociaux. Il est vrai qu’il y a des jeunes Mauriciens qui ne veulent pas travailler dans les champs et préfèrent se rendre à l’étranger. Les travailleurs mauriciens ne sont pas des paresseux. L’exemple concret est la pandémie de Covid-19. Nous avions vu comment les Mauriciens se sont dévoués pour partager de la nourriture et faire face au virus sur leurs lieux de travail. Il faut cesser de dire que les travailleurs mauriciens sont des paresseux.
Le gouvernement doit tenir compte de cela dans le prochain rapport du Pay Research Bureau (PRB). Nous insistons pour que le rapport soit appliqué à partir du 1er janvier 2025. Aussi, il y a beaucoup de postes vacants qu’il faut absolument remplir dans la fonction publique. J’espère que la reconstitution du Board de la Public Service Commission va débloquer le mécanisme de promotion.
Quel regard portez-vous sur l’unité syndicale ?
L’unité syndicale n’est pas stable et cela est dû au leadership. Lorsque l’affaire Wakashio a éclaté au grand jour, tous les Mauriciens, y compris les membres des syndicats, ont uni leurs forces pour nettoyer le dommage causé à l’environnement. Pourtant, il n’y avait aucun moyen pour mettre de l’ordre de la part des leaders des syndicats. Demain, s’il y a une cause défendant les intérêts des travailleurs, tout le monde se mettra ensemble. Nous avons vu cela dans le passé. L’unité syndicale existe bel et bien dans le pays. C’est parmi les dirigeants syndicaux qu’il n’y a pas d’unité. Je suis sûr que si, demain, les fonctionnaires sont confrontés à un problème de non-paiement de salaire, tout le monde descendra dans la rue. Ce sera sans doute la même chose pour les travailleurs du secteur privé.
J’aurais souhaité qu’un beau jour la présidence de la république accorde une récompense au mouvement syndical. Les dirigeants syndicaux ont des points de vue divergents et c’est cela qui cause problème. Il y a des dirigeants syndicaux qui n’aiment pas trop que leurs collègues aient une bonne couverture dans les journaux ou dans d’autres médias. L’Organisation internationale du Travail est bien au courant de la situation qui prévaut dans le monde syndical. Elle a insisté sur le fait qu’elle ne pourra pas à l’avenir travailler avec plusieurs fédérations syndicales et c’est pourquoi elle préconisait la mise sur pied du Conseil des syndicats. Même au sein de cette instance, les points de vue sont divergents.
Je pense que les dirigeants syndicaux sont assez mûrs maintenant pour mettre sur pied une seule confédération syndicale à Maurice. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas travailler ensemble. Je suis maintenant à la tête d’une importante organisation et, moi, je n’ai aucun problème pour faire partie d’une confédération syndicale unique.
Comment se passent actuellement les relations entre la GSEA et le nouveau gouvernement ?
Les relations avec le nouveau gouvernement se passent très bien. Nous avons eu des rencontres jusqu’ici avec plusieurs ministres, notamment Shakeel Mohamed, Ranjiv Woochit, Rajesh Bhagwan, etc. Nous apprécions très bien cette politique d’ouverture pratiquée par le gouvernement. Je dois dire que le problème se trouve plutôt au niveau des secrétaires permanents et des Senior Chief Executives (SCE).
Même si le ministère de la Fonction publique leur a rappelé que les consultations avec les syndicats font partie de leurs responsabilités, ils rendent la situation toujours difficile. Ils considèrent les syndicats comme un problème alors qu’ils sont tout simplement des partenaires. Les syndicats sont sur le terrain, ils sont à l’écoute de leurs membres. Il y a malheureusement des secrétaires permanents et des SCE qui n’ont pas encore compris ce mécanisme. Au fait, les consultations doivent se faire de manière continue.
Je me souviens encore de l’approche du regretté Raj Mudhoo, ancien SCE. Il avait toujours dit que si vous voulez que les relations s’améliorent dans la fonction publique, ce n’est pas un expert étranger qui va trouver la solution. Même un Messenger a des idées pour améliorer la fonction publique. Je déplore en tout cas le fait que certains secrétaires permanents et SCE n’ont pas compris le concept de négociations collectives pour parvenir à des solutions.
Qu’attendez-vous du prochain rapport du PRB ?
Le PRB est confronté à deux principales responsabilités dans son prochain rapport, d’abord celle consistant à améliorer les conditions de travail et de revoir la grille salariale, et ensuite celle de résoudre le problème de relativité salariale. Dans le dernier cas, le PRB aura la responsabilité de faire un ajustement salarial à la suite de la hausse du salaire minimum et de la fixation d’un salaire minimum garanti. Cela a créé une distorsion dans la grille salariale. Nous avons écrit au gouvernement à cet égard. Il nous a fait savoir que toute la question se trouve désormais entre les mains du PRB. Le PRB ne peut donc pas présenter deux rapports, l’un concernant l’ajustement salarial et l’autre concernant la révision salariale et les conditions de travail.
Le PRB sera aussi appelé à faire des recommandations sur la productivité et l’efficience. D’après le dernier rapport, les Office Workers qui entrent au bureau 15 minutes avant les heures de bureau peuvent partir plus tôt. Mais cette disposition doit obtenir préalablement l’avis du secrétaire permanent. À l’heure actuelle, les fonctionnaires sont en train de perdre beaucoup de temps sur la route en raison des embouteillages et des accidents de la route. Ce retard est alors répertorié dans leurs Vacation Leaves, ce qui est injuste.
Nous nous disons qu’il n’est pas question qu’un secrétaire permanent doit approuver ou non ce mode de travail. Si quelqu’un est arrivé en retard en raison des embouteillages, il va se rattraper durant la journée avec des heures supplémentaires. Je pense aussi que cette condition ne doit pas être appliquée uniquement aux employés de bureau. Elle doit être appliquée aussi aux laboureurs qui, eux aussi, font face à des problèmes de transport.
Le PRB doit aussi éliminer des grades qui sont devenus obsolètes et les adapter aux nouveaux challengers. Nous espérons que le prochain rapport proposera des nouveautés car la façon de travailler a changé avec les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, etc. Nous avons en tout cas de bonnes relations avec le PRB, ils sont à l’écoute et ils sont ouverts aux discussions.
Il y a des syndicalistes qui disent qu’il faut fermer le PRB. Que pensez-vous de cette demande ?
Ces mêmes syndicalistes, lorsqu’ils étaient des fonctionnaires à plein temps, disaient que cette institution fait du bon travail. Je soupçonne maintenant que ces syndicalistes ont d’autres visées. Il y a une chose que les gens n’ont pas comprise jusqu’à maintenant. Le PRB est une institution gouvernementale qui publie son rapport tous les cinq ans et son rapport devient au fait une Checks and Balances pour le secteur privé. Si le PRB n’existait pas, le secteur privé aurait fait la pluie et le beau temps.
Nous avons entièrement confiance dans le PRB, qui est une institution qui fait bien son travail jusqu’à maintenant. Il y a quand même un souci. L’application de son rapport dépendra de ce que le gouvernement est prêt à injecter. L’autre souci qui guette cette fois-ci les fonctionnaires, les employés des municipalités, les organismes para-étatiques est la condition imposée pour accepter le rapport.
Une fois l’Option Form signée, aucun salarié ne peut contester le rapport. Cela dure depuis des années et ceux qui signent ce document n’ont pas d’autre choix que d’accepter le rapport. Je connais un cas spécifique au ministère du Logement. Lorsqu’un rapport du PRB a été publié, il a vu son salaire être réduit. Puisqu’il a accepté le rapport, il n’a pas eu le droit de contester le rapport. Il faut mettre en place un mécanisme de contestation.
Quel est votre avis sur l’introduction de la semaine de 40 heures dans les secteurs non essentiels ?
Au fait, la semaine de 40 heures est basée sur la fête du Travail. Les syndicalistes avaient déclenché un mouvement de grève en Amérique pour l’introduction de la semaine de 40 heures. Lorsque le gouvernement avait introduit la semaine de 45 heures, les employeurs du secteur privé ont accordé des promotions ici et là à un certain nombre de leurs employés. Cela, pour s’adapter à la semaine de 45 heures.
Il faut savoir que, de nos jours, beaucoup de problèmes sociaux rongent notre société, notamment la délinquance juvénile, les bagarres à l’école, la consommation de la drogue par les jeunes. Si nous continuons avec la semaine de 45 heures et que les employés doivent passer au moins deux heures dans le transport public, il y aura encore des problèmes sociaux. C’est pourquoi je suis en faveur de la semaine de 40 heures car il faut équilibrer la vie professionnelle et la vie familiale convenablement.
La plupart des travailleurs passent au moins deux heures le matin et deux heures l’après-midi dans le transport public. Moi, j’habite New-Grove et je prends en moyenne deux heures pour rentrer sur mon lieu de travail à Réduit chaque jour.
Toujours dans cette même mouvance, pensez-vous qu’il faut revoir également l’âge de la retraite des salariés ?
Il est indéniable en tout cas que le pays fait face actuellement à un problème de manque de main-d’œuvre. Je pense que l’âge de la retraite doit augmenter. Nous avons de moins en moins de jeunes en âge de travailler. C’est pourquoi nous recrutons de la main-d’œuvre étrangère. Je connais personnellement beaucoup de gens qui ont atteint l’âge de 65 ans, ils sont en bonne santé et ils peuvent continuer à travailler. S’il y avait beaucoup de jeunes au chômage, nous aurions songé à baisser l’âge de la retraite. Mais, à ce jour, je pense qu’il faudra augmenter l’âge de la retraite. L’âge de la retraite à 65 ans est correct pour le moment, mais je pense qu’il faut ajouter à cela le concept de l’Internship comme c’est le cas en Inde.
En ce moment, pratiquement tous les supermarchés recrutent des travailleurs venant du Bangladesh et du Népal. Peut-être qu’avec le concept d’Internship, nous aurions pu les remplacer par des travailleurs mauriciens pensionnés pour une durée de quatre heures seulement. Ce faisant, nos devises resteront au pays alors que les travailleurs étrangers font sortir les devises du pays.
Au lieu de payer les billets d’avion, les logements, les employeurs mauriciens auraient pu recruter les travailleurs retraités pour travailler pendant quatre heures seulement. Pour que cela puisse se faire, le gouvernement devrait venir avec des amendements appropriés pour permettre l’embauche des retraités pour durée de quatre heures par jour.