Le placement d’un enfant victime d’abus ou exposé à toute forme de danger dans une structure d’accueil est indispensable pour sa protection. Toutefois, après son passage dans un abri temporaire, la réintégration de l’enfant dans un environnement social requiert un suivi dans la durée qui s’assurera que son milieu est sécurisant et qu’il va tout simplement bien. Malheureusement, dans la pratique, les suivis post shelters sont rares, sinon inexistants. Ancienne pensionnaire de shelters et du RYC, une jeune femme déplore cette absence d’accompagnement.
À la demande de la Child Development Unit, nous avons approché le ministère du Développement de l’Enfant pour connaître sa stratégie d’accompagnement lorsque les pensionnaires mineurs quittent les abris d’accueil. La réponse est toujours en suspens.
“J’aurais pu mal tourner. Connaître le même destin que ma mère. Quand j’ai quitté le Rehabilitation Youth Center, je n’étais pas préparée à affronter la vie à l’extérieur. Au centre, personne ne m’avait expliqué ce qui m’attendait et comment je devrais me comporter. Personne, non plus, ne m’a accompagnée dans ma réintégration sociale”, raconte Annaëlle, 25 ans, ancienne pensionnaire d’abri pour enfants. “En étant loin de ma mère, dans un shelter, j’étais à l’abri du danger et moins exposée à des risques qui m’auraient fait du tort. La CDU avait bien fait de me relever de sa responsabilité “, poursuit-elle, sans détour.
“Les shelters sont essentiels…”
La première fois qu’elle a été placée dans un shelter, Annaëlle n’avait que 4 ans. Passer par des abris pour enfants et le Rehabilitation Youth Center (RYC), dit-elle, a été certainement un moment difficile de sa vie. “À chaque fois que j’y étais, y compris au RYC, j’étais en mode survie. Mais les shelters sont essentiels pour protéger les enfants vulnérables”, confie la jeune femme. “Cependant, à l’intérieur des shelters ou au RYC, personne ne prépare les enfants avant que ceux-ci ne partent pour réintégrer leur famille ou être accueillis par des proches. Et une fois que nous avons réintégré la société, aucun suivi n’est fait”, regrette Annaëlle. C’est pourquoi elle tient à passer un message : “Les autorités doivent faire quelque chose dans ce sens. Il est important de préparer les enfants à leur sortie d’un abri. Mo panse ki bien bizin ena enn preparasion par enn spesialis ou enn dimounn ki ena konpetans pou eksplik bann zenn ki dan shelter ek RYC kouma zot bizin konport zot kan zot pou retourn deor e ki pe atann zot. Bizin fer enn swivi ar bann zanfan-la. Un jeune qui quitte le RYC, même s’il retrouve sa famille, aura besoin d’être accompagné et suivi. Idem pour les shelters. On laisse les enfants partir sans savoir ce qu’il leur adviendra.” Annaëlle se dit même prête à partager son expérience avec les pensionnaires d’abris d’accueil et du RYC.
“ Quand j’étais au RYC, des officiers avaient l’habitude de me donner des conseils. Ils avaient de la sympathie pour moi parce qu’ils avaient connu ma mère lorsqu’elle était en prison. J’avoue que je ne faisais pas grand cas de leurs conseils. Mais lorsqu’il m’arrivait d’y repenser, je les mettais en pratique et ils m’ont été d’une grande aide”, dit encore Annaëlle, qui a pu quitter le centre de réhabilitation quelque temps avant sa majorité. “Mo’nn sorti lor probation. Mon père avait pris l’engagement de s’occuper de moi et de m’héberger.” Toutefois, peu de temps après sa sortie du RYC, à 17 ans, elle tombe enceinte…
Placée à 4 ans
“Je revois encore la dame de la CDU, un agenda à la main, venue me chercher chez ma mère… À l’extérieur, un 4×4 noir attendait que cette dame monte à bord avec moi. J’avais 4 ans”, raconte Annaëlle. Ce départ pour un abri est encore vif dans sa mémoire. Annaëlle a passé une bonne partie de son enfance dans des shelters publics et privés et pratiquement toute son adolescence au Rehabilitation Youth Center. “Ma mère était en prison quand elle était enceinte de moi. Elle était toxicomane et menait une vie instable. Lorsque j’ai eu trois mois, elle est allée me déposer chez son frère et a demandé à la femme de celui-ci de veiller sur moi pour un court instant. Mais elle n’est jamais revenue. Ma tante avait déjà 5 enfants et a dû s’occuper de moi jusqu’au moment où ma mère a réapparu avec des couches et du lait pour moi. À cause de la pension sociale que ma mère percevait pour moi, j’étais devenue une source de conflits. Lorsque j’ai eu 4 ans, elle est venue me récupérer et m’a emmenée vivre avec elle. Malheureusement, elle me négligeait à cause de sa vie dissolue. Mon oncle qui nous rendait visite s’est inquiété pour moi et a pris la décision d’alerter la CDU. C’est comme cela que je me suis retrouvée à 4 ans dans un shelter.”
Internée à
Brown-Sequard
Au bout d’une année au shelter, la tante d’Annaëlle obtient sa garde et assure sa scolarité. Annaëlle dit que chez cette dernière, elle a été privée d’affection et se sentait mise à l’écart des autres enfants. À 13 ans, tentée par une fugue pour fuir la pression qu’elle ressentait chez sa tante, elle se confie à une enseignante du collège qu’elle fréquente. “Je lui ai dit que c’était mieux que la CDU vienne me chercher car j’étais à bout. J’avais insisté pour qu’elle téléphone à la CDU. Elle a appelé un travailleur social de mon quartier et ensemble, ils m’ont parlé pour trouver une solution. J’ai accepté de rentrer chez ma tante, mais j’ai fini par fuguer”, dit Annaëlle, qui se retrouve ainsi dans un abri, avant d’être placée dans une autre structure d’accueil.
Annaëlle avance que c’est son caractère rebelle et revêche qui l’a conduite à l’hôpital psychiatrique Brown-Sequard, alors qu’elle était sous la responsabilité de l’État. Elle n’aura donc pas échappé à cette pratique – qui consisterait à faire admettre des pensionnaires difficiles à gérer à l’hôpital psychiatrique – qu’ont toujours décrié des habitués de shelters. Selon la jeune mère de famille, elle n’avait aucun antécédent psychiatrique. “De fwa zot in’nn met mwa Brown-Sequard parski mo ti abitie pran defans enn bann tifi. À l’hôpital, je ne faisais rien de mes journées. On me donnait des médicaments qui me rendaient anxieuse et qui m’affaiblissaient”, confie-telle.
Envoyée au RYC pour filles, sa scolarité est interrompue. “Mais j’apprends le crochet, la couture et j’ai l’occasion de reprendre part aux épreuves de Certificate of Primary Education (ndlr : devenu depuis Primary School Achievement Certificate) et de les réussir. Dimounn kapav dir boukou zafer lor RYC, me selma li ena ousi so bon kote”, affirme Annaëlle.
“J’avais honte”
En devenant mère pour la première fois à 17 ans, Annaëlle décide, malgré son jeune âge, de fonder un foyer avec le père de son enfant. Elle trouve du travail et se consacre à sa famille. “En cours de route, j’avais réalisé que la personne avec laquelle je vivais était agressive. Je suis restée avec cet homme, pensant que le quitter reviendrait à briser ma famille. Finalement, je l’ai fait pour mon bien et celui de mon enfant”, concède-t-elle. Il y a trois ans, elle a épousé un homme qui la comble. “Nous avons eu un enfant, le deuxième pour moi”, dit celle qui ambitionne de lancer un concept dédié à la femme alliant coiffure, vente de vêtements et chaussures. Elle avance déjà vers ce rêve en customisant des vêtements. Entretemps, elle continue son travail de general worker dans le collège où elle a étudié. “J’avais honte d’y travailler, je craignais de croiser d’anciens camarades. J’ai changé d’avis, je n’ai pas à avoir honte d’un travail honnête et qui fait vivre ma famille”, avoue Annaëlle qui tient à réussir sa vie et à assumer ses responsabilités parentales. “Je ne veux pas répéter les erreurs de ma mère. Je ne lui en veux pas. Elle avait des circonstances. J’ai essayé de la soutenir pour qu’elle ait une vie normale. Mais à 48 ans, elle veut mener sa vie comme elle l’entend”, se désole-t-elle.