Le Guide - Législatives 2024

Monique et Pierre Dinan – 55 ans de vie commune : « Pierre a dédié sa vie à l’amour et au progrès de Maurice »

• « J’ai eu une chance exceptionnelle d’épouser un homme comme lui »
• « Je ne peux que bénir le ciel d’avoir vécu un si bon mariage et d’avoir eu un si bon compagnon »
• « Pierre a été plus un influenceur qu’un influencé »
• « Je n’aurais jamais pensé que Pierre Dinan aurait été battu aux élections »
• « Il avait l’intention d’écrire un article pour le Week-End, ce dimanche. Et mercredi, il m’a dit « Monique, je n’ai pas le temps d’écrire. Là, je ferai ça pour dimanche après. » Sans se douter qu’il n’écrirait pas, que la mort allait venir entre-temps…
• « Nous savons que c’était un bon époux, un bon papa, un bon citoyen »

- Publicité -

Lors d’une entrevue émouvante, Monique Dinan partage ses souvenirs et rend un vibrant hommage à son époux, Pierre Dinan, décédé jeudi 27 juin. Connue pour sa franchise et sa chaleur, Monique évoque avec tendresse la vie de Pierre, un homme dont l’impact s’étend bien au-delà de sa carrière d’économiste et de son engagement social. De leur rencontre à Quatre-Bornes à leur mariage enrichi par une foi profonde, Monique décrit Pierre comme un partenaire dévoué, aussi à l’aise avec les chiffres qu’avec les valeurs familiales. À travers leur vie ensemble, ils ont élevé cinq enfants et ont été des figures actives dans la communauté mauricienne, contribuant à des initiatives sociales et politiques significatives. Pierre, qui a également dirigé un collège et participé activement au Rotary, était reconnu pour son intégrité, sa compassion et son désir constant d’améliorer la société. Son héritage se perpétue non seulement dans les réalisations professionnelles, mais aussi dans les souvenirs chaleureux de ceux qui l’ont connu comme un homme humble et attentionné, toujours prêt à aider et à inspirer ceux qui l’entourent.

Monique Dinan, votre époux Pierre est décédé jeudi matin. Pouvez-vous nous parler de lui à cœur ouvert ?
Je ne peux que dire que j’ai eu une chance exceptionnelle d’épouser un homme comme lui, et que je sais que nous avons été un couple très heureux, et avons essayé de semer un peu de ce bonheur autour de nous, à travers nos enfants, à travers nos amis, et par les messages que nous avons transmis, que ce soit à travers des livres, ou par des dialogues que nous avons eus. Et je ne peux que bénir le ciel d’avoir vécu un si bon mariage et d’avoir eu un si bon compagnon.

Et ce compagnon de votre vie, qui était-il ?
Pierre a grandi à Quatre-Bornes. Il avait obtenu une bourse d’Angleterre et il a fait des études de comptabilité, devenant ainsi expert-comptable. Il a travaillé pour de nombreuses firmes locales et à l’international. Il était très sollicité. C’est lui qui faisait tous les chiffres chez nous.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
On était un groupe de jeunes professionnels qui étaient rentrés à Maurice, se réunissant parfois pour des excursions. Nous n’étions pas nombreux à être professionnels à ce moment-là. On s’était rencontré une ou deux fois. Et on sentait déjà une certaine affinité. Je me souviens qu’on montait la montagne des Signaux et qu’à un moment, il a failli tomber. J’ai vu qu’il posait son pied dans un mauvais endroit, je l’ai soutenu. Je lui ai dit, « Fais attention, Pierre, ne pose pas ton pied n’importe où. » Après, quand on s’est arrêté sur le plateau et que chacun prenait son sandwich, il m’a dit, « Monique, viens goûter à mon sandwich. Parce que tu m’as aidé, je suis content de partager mon sandwich avec toi. » C’est là qu’on a commencé à mieux se connaître. J’avais déjà fait des études en Irlande et j’avais demandé une bourse pour aller faire ma maîtrise au Canada. Alors que je devais partir, il m’a rendu visite et m’a apporté un petit présent. Je devais rester deux ans dans le grand froid et trouver un sujet de thèse. Lorsque j’ai appris que Pierre devait rendre visite à la famille de mon frère en Angleterre, j’ai demandé à mon frère de l’inviter à venir me voir au Canada. Effectivement, Pierre a prolongé ses vacances et est venu me voir. C’est là que nous avons mieux appris à nous connaître et avons décidé d’aller visiter New York ensemble. C’est à New York qu’il m’a demandé en mariage. Ce fut une vraie demande en mariage. Ce jour-là, je lui ai dit : « Oui, je serai très contente d’être ton épouse. » Notre première démarche a été d’aller assister à la messe et de remercier le Seigneur, de Lui confier ces années-là. Puis, nous nous sommes promenés au centre de New York. Notre histoire d’amour a commencé là. Il a dû me quitter pour retourner à Maurice. Quant à moi, j’ai terminé mes études et obtenu un First Class Honours. Je suis rentrée à Maurice et après, nous nous sommes mariés. Nous avons eu cinq enfants et nous avons 17 petits-enfants.

Votre époux était un fin économiste avec des qualités intellectuelles reconnues. Mais l’homme derrière Pierre Dinan, c’était qui ?
Un homme très simple. Je lui disais souvent, « tu es un Dinan de bon appétit. Tu aimes la bonne nourriture. » J’essayais toujours de faire des plats un peu recherchés qu’il aimait bien. Il aimait aussi les voyages. Il était serviable. C’est toujours lui qui faisait la vaisselle après les repas. Il me disait, toi tu prépares le repas, moi je fais la vaisselle. Pour dire, ce n’était pas quelqu’un qui croyait qu’il ne devait pas se salir les mains. Il aimait beaucoup aussi les lapins. Nous avons élevé des lapins chez nous pendant des années avec l’aide de Régis qui travaille avec nous depuis qu’il a 16 ans. Au début de cette année, Pierre, qui se sentait un peu fatigué, a décidé d’arrêter l’élevage. Il était triste, mais il m’a dit « Je ne regrette pas. Il y a un temps pour chaque chose. » Pierre n’était pas qu’un intellectuel. On aimait parfois aller au cinéma, aller regarder des spectacles. On aimait faire la fête pour la fin de l’année. On avait déjà pensé à ce qu’on ferait à la fin de cette année. On aimait aller à Flic-en-Flac, à Villas Caroline. Heureusement que nous n’avons pas fait les réservations. Désormais, il n’y aura plus de fête de fin d’année à Villas Caroline.

Est-ce qu’il y a des collaborateurs ou certaines organisations avec lesquelles il a préféré travailler et qui ont influencé sa carrière ?
Pierre a été plus un influenceur qu’un influencé. Il a travaillé comme président de la commission Justice et Paix à Maurice. Et là, il publiait des documents sur les problèmes mauriciens. Et il le faisait de tout son cœur et ça prenait de son temps. Il faisait vraiment connaître les réalités. Il n’était pas que dans les chiffres, il était sur le terrain. Il était un membre du Rotary. Jusqu’à mercredi dernier, nous avons assisté à la réunion du Rotary, et il est mort jeudi matin. Personne ne se doutait que la mort allait arriver si vite.

Y a-t-il certains projets ou certaines initiatives qu’il a menés avec passion et avec conviction ?
Quand il était candidat aux élections, il s’est beaucoup démené. Je vous parle des années 1980. À l’époque, au début de notre mariage, nous avions lancé ensemble Caritas Ile Maurice. Puis, Pierre a été nommé premier président de la Commission Justice et Paix, et moi, pendant plusieurs années, je me suis occupée de Caritas. Et après, j’ai eu des enfants. Je suis ensuite allée travailler à La Vie Catholique. Mais nous n’étions pas que des personnes faisant du social. Nous avons aussi fait de la politique. J’ai commencé avec Raymond Rivet qui a lancé un parti qui voulait faire un petit peu opposition au MMM. J’ai été une candidate pour les élections dans les années 1970, et c’est là que j’ai vraiment découvert les réalités de l’autre côté de la route d’Hugnin, ce que les gens vivent, ce qu’ils sont, etc. Et je suis devenue une Mauricienne qui n’était plus dans son petit confort d’ici, mais qui connaissait bien les réalités de là-bas. J’ai été battue, mais je n’ai jamais regretté. Par la suite, c’est Pierre qui a posé sa candidature, au début des années 1980, au Rassemblement pour le Progrès et la Liberté (RPL) Et lui aussi a été battu. On ne pensait pas qu’un candidat allait connaître un échec comme celui-là, mais on l’a très bien accepté. Et on s’est dit qu’on aura un peu plus de temps pour s’occuper des enfants, de la famille. Pierre a eu une vie bien engagée. Il a aussi été directeur du Collège Sainte-Marie, qui avait ouvert à Quatre-Bornes. Il était un ancien élève dans le groupe du Collège Saint-Esprit. Ils se réunissaient de temps en temps pour voir quel projet ils allaient faire. Il n’a pas été qu’un homme de famille ou qu’un homme de sa profession. Il a été aussi un Mauricien qui s’est bien engagé pour le mieux être, dans la mesure où c’était possible.

Quelles étaient ses convictions ?
Qu’on doit aider le pays à progresser en interpellant les plus petits comme les plus grands. Que chaque citoyen doit avoir sa part pour que le pays progresse.

Vous avez 55 ans de vie commune…
Cette année-ci, exactement, c’était le 12 juin. Sans se douter qu’à la fin du juin, il serait parti…

…pouvez-vous partager quelques meilleurs moments que vous avez eus ensemble en tant que couple ?
Le jour de notre anniversaire de mariage, je lui ai demandé : « Pierre, quel est ton meilleur souvenir ? » Et il m’a répondu : « C’est le jour où notre fille aînée Claire est née. » Il a ajouté : « Le jour où Claire est née, j’étais vraiment en action de grâce. Et je sentais que j’avais tout réussi : ma profession, ma vie d’homme et ma vie de papa. » On a eu beaucoup d’autres moments, les autres naissances aussi. Et nous avons aussi eu les mariages de nos enfants… Nous avons deux filles qui se sont mariées le même jour. On bénit le ciel d’avoir eu cinq enfants et de voir grandir les petits-enfants.

Des anecdotes, peut-être ?
Moi, j’aime les bains de mer. Je ne sais pas bien nager, mais être dans l’eau est mon bonheur. Lui, il n’aimait pas aller dans l’eau. Il le faisait rarement. Nous sommes différents, mais on se complète. Parce qu’on se connaît, on s’accepte. Le seul et unique costume de bain qu’il a, c’est celui que nous avons acheté pour lui au Canada. Ce costume de bain-là est toujours là, plus de 55 ans après. Il s’en est servi parfois, mais rarement.

On connaît Pierre Dinan, l’économiste, l’homme engagé dans le social… On connaît aussi Pierre et Monique Dinan. Indissociables.
C’est vrai. Nous avons eu cette grande chance. Notre mariage a été béni par Monseigneur Margéot, qui était très proche de moi. Quand il est devenu évêque, le premier mariage qu’il a béni a été le nôtre. Nous avons été dans des équipes Notre-Dame, des groupes de couples qui se réunissent une fois tous les mois et qui partagent un temps de prière ensemble. On échange sur les problèmes de la société et aussi comment faire grandir notre foi. Avoir été dans cette équipe nous a enrichis. Et nous avons aussi essayé de passer cette nouvelle – que l’amour c’est aussi accepter nos différences, nous accepter tel que nous sommes, comment être un peu des témoins de l’amour, d’être un couple heureux – autour de nous.

Un couple complémentaire… Et on l’a constaté dans la dernière interview qu’il a donnée à Week-End où vous étiez aussi présente, avec le petit mot au journaliste Jean-Claude Antoine, qui dit que c’est vous qui avez répondu en fin d’interview. Vous le souteniez dans tout ce qu’il entreprenait ?
Oui, on s’est beaucoup soutenus mutuellement. C’est comme quand il écrivait ses articles. Il me demandait toujours de lire et de lui dire ce que j’en pensais et ce qu’il fallait ajouter. Moi aussi, quand j’écris, je lui soumets mon travail… En fait, nous étions bien complémentaires.

Comment est-ce que Pierre Dinan voyait son propre héritage ou sa contribution à la société ?
Je pense qu’il se voyait comme un citoyen mauricien, qui a su s’exprimer en fonction de ses connaissances, pour dire un petit peu ce qui était bon, ce qui pourrait être meilleur, ce qui devrait être corrigé. Il n’a pas vécu juste dans son petit cocon familial et son cocon professionnel. Cela ne veut pas dire que tout ce qu’il disait était accepté, mais au moins il exprimait son point de vue. Pour lui, c’était nécessaire qu’il le fasse.

Les pires moments que vous avez connus pendant ces 55 ans ?
Je n’aurais jamais pensé que Pierre Dinan aurait été battu aux élections. On l’accepte. Parce qu’on n’est pas là tout le temps pour être des gagnants. Le pire moment, c’est… Dieu merci, nous n’avons perdu aucun enfant. Toujours je dis à Pierre, bénissons le ciel. Il y a tant de couples qui voient mourir un enfant dans un accident, qui perdent un jeune enfant. Disons que là, c’est la première fois que notre famille est vraiment endeuillée avec le départ de Pierre. Mais il faut partir un jour. Et que cela se fasse dans de telles conditions ne peut être qu’une bénédiction du ciel.

Comment avez-vous géré ensemble les défis liés à sa carrière, qui était quand même exigeante ?
Ça n’a posé aucun problème. On savait s’organiser. Je savais, par exemple, que quand le budget allait venir tout le temps qu’il allait passer à préparer son analyse. Et on s’y préparait comme… prendre le repas très rapidement. On savait, alors, qu’on n’aurait pas le temps de conversation qu’on avait tous les soirs. On était vraiment faits l’un pour l’autre. On était très compréhensifs.

Quelle a été, selon vous, la plus grande réalisation professionnelle de Pierre Dinan ?
C’est qu’il n’avait pas d’ennemis. Il y avait des gens qui pouvaient ne pas être d’accord avec lui, mais ils ne sont jamais arrivés à s’insulter. On pouvait accepter son point de vue, ne pas l’accepter, mais on s’est toujours bien compris. C’est cela le respect qu’il inspirait. C’était quelqu’un qui pouvait s’exprimer et qui savait le faire sur un ton très positif et ne pas s’imposer aussi.

À la maison également ?
On ne s’est jamais disputé. Je sais exactement ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas. Mais on n’a pas besoin d’aller le dire à tout le monde. Je sais respecter sa vie privée.

Par rapport au dernier budget 2024-2025, votre époux vous a-t-il partagé un peu son appréciation, ses craintes, ses appréhensions…?
Oui, on en a parlé ensemble. Parce que nous lisons, et lui et moi, tous les journaux régulièrement. Et moi, souvent, je découpe des pages qui pourraient l’aider pour ses réflexions. J’ai beaucoup de pages que j’ai récemment découpées et mises de côté pour lui, mais que je vais devoir jeter. Il avait l’intention d’écrire un article pour Week-End, ce dimanche. Et mercredi, il m’a dit : « Monique, je n’ai pas le temps d’écrire. Là, je ferai ça pour dimanche après. » Sans se douter qu’il n’écrirait pas, que la mort allait venir entre-temps…

Comment s’est passé cette dernière semaine ?
C’est une semaine tout à fait normale. On a fait tout ce qu’on avait l’habitude de faire. Et je bénis le ciel qu’il n’a pas été malade, qu’il ne s’est pas vu mourir. Jeudi matin, on est allé à la messe, on a pris le petit-déjeuner. Ensuite, je suis allée un moment dans la chambre, et lui dans le salon. En général, après le petit-déjeuner, il s’assoit dans le fauteuil du salon, il prend un journal, mais bien souvent, il somnole, puis il se lève.
Ce jeudi, la personne qui était avec moi dans la chambre me dit, « Madame Dinan, Monsieur Dinan est en train de respirer fort. Pourquoi est-ce qu’il respire fort comme ça ? » Je viens et là, je vois que vraiment, il respirait fort. Je lui dis : « Pierre, qu’est-ce qui t’arrive ? Qu’est-ce qui t’arrive ? » Et je vois qu’il ne me répond même pas. Et on appelle Régis qui arrive immédiatement. Et on se rend compte qu’il n’était pas bien. Je téléphone à ma fille, qui est médecin. Je lui dis : « Viens, papa n’est pas bien du tout . » Elle arrive. Elle se rend compte, elle aussi. On s’est demandé si on devait l’emmener à la clinique. Finalement, on l’a gardé ici, car il se mourait. Il est mort en moins d’une demi-heure.

Qu’est-ce que vous avez ressenti quand vous avez compris qu’il était parti ?
Je me suis dit, rappelons-nous tous les bons souvenirs. Et bénissons le ciel. Je bénis le ciel qu’il n’ait pas été malade. Quand ça arrive d’un coup comme ça, le choc est pour moi. Je bénis le ciel que ce soit arrivé aussi vite. Nous sommes des croyants. Pierre et moi, nous prions tous les jours. On avait vraiment l’habitude de prier tous les jours. On allait à la messe très souvent. Cette foi nous aide beaucoup. C’était son heure. Il faut continuer à vivre.

Vous vous rappelez de ces derniers mots avant qu’il n’aille s’allonger ?
On était allé à la messe ensemble. C’était une très belle cérémonie avec un très beau texte et nous sommes rentrés heureux d’avoir assisté à cette célébration. On a échangé sur ce texte. Puis, nous avons pris le petit-déjeuner. Et il a préparé, comme à son habitude, mes médicaments. Pierre était très… caring. Alors que dans beaucoup de couples, c’est la femme qui s’occupe de tout, lui, il s’occupait de moi, de mes médicaments.

Quels sont les conseils ou les mots d’esprit que vous avez reçus de lui, qui vous ont aidée dans votre vie personnelle ?
Nous avons su conjuguer le mot AMOUR dans notre vie de couple, dans notre vie de citoyens. Le message a passé, c’est qu’il y a une seule réalité qui est importante dans la vie : de mettre beaucoup d’amour dans sa vie et de vivre à aimer les autres. De conjuguer le mot AMOUR en soi, individuellement, en nous, en tant que couple, avec nos enfants, envers les gens que nous rencontrons, et on aura un pays qui pourra progresser.

Comment souhaitez-vous que les gens se souviennent de Pierre Dinan et que son héritage soit préservé ?
Il est dans notre cœur, mais ce n’est pas nécessaire que son héritage soit préservé. Nous savons que c’était un bon époux, un bon papa et un bon citoyen.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -