Personnes handicapées – Me Satyajit Boolell : « Les conclusions du rapport accablantes pour Maurice, ti bizin onte ! »

  • VDPI identifie 10 actions prioritaires parmi les recommandations des Nations unies

Voice of Disabled People International (VDPI) et Inclusion Mauritius ont réuni les différentes associations œuvrant auprès des personnes handicapées pour passer en revue les recommandations du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies. Dix actions prioritaires ont ainsi été identifiées et communiquées aux autorités afin que les personnes en situation de handicap puissent profiter pleinement de leurs droits à Maurice. L’ancien Directeur des Poursuites Publiques, Me Satyajit Boolell, Senior Counsel, affirme que les conclusions du rapport sont accablantes pour Maurice.

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Le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a analysé le Country Report soumis par Maurice les 26 et 27 août derniers. C’était lors de la 31e session tenue à Genève. Voice of Disabled People International (VDPI), qui défend les droits des personnes handicapées à Maurice, avait aussi soumis un Shadow Report à cette occasion. Une semaine après les délibérations, le Comité a soumis une liste de recommandations, desquelles, VDPI a identifié dix priorités. (Voir hors-texte).

Lors du séminaire où ces dix points ont été présentés, plusieurs intervenants se sont exprimés sur la question. D’ailleurs, la devise même de VDPI est : « Nothing About Us Without Us. » Danielle Wong, ancienne directrice de la MEPZA (aujourd’hui MEXA), a témoigné de sa vie en fauteuil roulant, après une vie professionnelle très active. « J’ai la chance d’avoir un époux qui m’aime et qui s’occupe de moi. J’ai quand même besoin d’un Carer 12 heures par jour », affirme-t-elle.  Elle s’est aussi attardée sur les difficultés rencontrées pour avoir accès aux loisirs. « Récemment, je me suis rendue au cinéma pour un film que je voulais absolument voir. Toutefois, mon époux et quatre autres personnes ont dû me transporter jusqu’à la salle, parce qu’il n’y avait pas de facilités d’accès pour les personnes en fauteuil », dénonce-t-elle pour mieux faire comprendre son calvaire.

C’est le même combat pour se rendre à la mer, a-t-elle souligné. « Il a été dit que des aménagements ont été faits sur certaines plages, pour les parkings et ainsi de suite, mais qu’en est-il de l’accès à la mer elle-même ? Il ne faut pas Misinterprete les besoins », met-elle en garde. Le rapport du Comité des droits des personnes handicapées, a-t-elle précisé, met d’ailleurs l’accent sur les manquements en termes d’accessibilité à Maurice.

Danielle Wong a également plaidé pour un soutien en faveur des personnes ayant la responsabilité d’un proche en situation de handicap : « Ce n’est pas facile pour elles. Leur plus grande souffrance est comment leurs proches vont faire si elles décèdent », se demande-t-elle. Dans la foulée, elle s’insurge contre l’approche adoptée pour le soutien envers les personnes en situation de handicap. « L’accent est mis sur l’aspect financier, alors qu’il aurait fallu considérer l’aspect humain avant tout. Ce n’est pas simplement donn enn ti kas pou depane », trouve-t-elle.

L’ancienne directrice de la MEPZA a aussi insisté sur la nécessité de donner l’accès à l’éducation et au travail aux personnes handicapées. « Moi, j’ai eu la chance d’avoir une vie professionnelle. Mais qu’en est-il pour les autres ? Encore pour pouvoir travailler, il faut avoir eu droit à l’éducation, à la formation », dit-elle encore.

Nalini Ramasamy, ancienne hôtesse de l’air, victime d’un accident de travail en 1992, a témoigné dans le même sens. « 32 ans après mon accident, je peux dire que je connais la différence entre ce à quoi j’avais accès auparavant et maintenant », explique-t-elle.

Me Coomara Pyneandee, ancien expert du UN Committee Panel sur les droits des personnes handicapées, a lui, estimé que « nous nous trouvons dans une situation grave. L’État mauricien doit nous rendre notre dignité. Nous nous sentons en captivité. » Parlant de la Protection and Promotion of the Rights of People with Disabilities Act, votée à l’Assemblée nationale cette année, il a indiqué que cette loi comporte de nombreux manquements. « Nous avions alerté l’opinion publique pour dire qu’il ne faut pas aller de l’avant avec ce projet de loi. Aujourd’hui, les Nations unies viennent nous donner raison », avance-t-il.

L’ancien expert du UN Committee Panel estime qu’une ébauche de la loi aurait dû être circulée et débattue avec les personnes concernées, avant son introduction à l’Assemblée nationale. « Le principe de non-discrimination envers les personnes handicapées n’est pas reconnu même dans la Constitution. Pourtant, ce ne sont pas les institutions qui manquent à Maurice. » Me Pyneandee a cité entre autres, le National Human Rights Committee, l’Equal Opportunities Commission et la Police Complaints Commission : « Je viens de faire un test cette semaine. J’ai appelé à plusieurs reprises à l’une de ces institutions, mais personne ne répond », révèle-t-il.

« Citoyens de 2e classe »

L’ancien DPP, Me Satyajit Boolell, en sa qualité de président d’honneur de l’ONG DIS-MOI, a indiqué que Maurice, ayant ratifié la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées, a le devoir de mettre en œuvre les différentes dispositions. Et ce, avant d’ajouter : « cette Convention dit tout simplement que les personnes en situation de handicap doivent être traitées comme les autres. Il faut leur donner accès aux facilités et la possibilité de vivre une vie normale, autant que possible. »

Malheureusement, a relevé Me Satyajit Boolell, 14 ans après avoir ratifié la Convention, le rapport des Nations Unies vient démontrer que les personnes vivant avec un handicap ne bénéficient pas du traitement approprié à Maurice. « Il n’est pas possible qu’en 2024, un sous-comité des Nations Unies vienne dire que les personnes en situation de handicap sont traitées comme des citoyens de 2e classe à Maurice », devait-il faire ressortir.

Me Satyajit Boolell a mis l’accent sur les articles 13 et 29, liés à l’accès à la justice et la participation à la vie publique. « Les conclusions du rapport sont accablantes pour Maurice. Ti bizin onte. » Évoquant l’accès à la justice, il a déploré l’absence de facilités pour rapporter un cas à la police, pour avoir accès à l’information sur internet et aussi, un accès physique en cour. « À part la Cour Suprême, la majorité des cours de justice n’ont pas de rampe, ni de toilettes adaptées. Il n’y a pas de facilité pour qu’une personne en fauteuil puisse assister à l’audience. Même le box des témoins n’est pas adapté », s’est-il appesanti.

La situation est d’autant plus compliquée quand il s’agit des enfants. Il a fait référence à l’affaire d’attouchements allégués sur des enfants à l’école des sourds, actuellement en Cour. « Ces enfants ont été traumatisés psychologiquement. Nous sommes dans une situation où le système de justice leur demande de venir témoigner en Cour. Il ne faut pas oublier que ces enfants sont sourds et muets. Ce n’est pas facile de se tenir dans une Cour, devant des avocats, magistrat, policiers, public et ainsi de suite. Il faut des aménagements par rapport à leur situation », avance-t-il.

Me Boolell s’est référé au témoignage d’une maman dont l’enfant a été appelé à témoigner en Cour dans cette affaire : « Elle a qualifié la journée d’éprouvante pour elle et son enfant. Non seulement l’enfant a dû subir les procédures pour venir expliquer son traumatisme en Cour et être interrogé par les avocats, mais l’attente a été longue. Il a dû patienter une demi-journée », indique-t-il.

Il a aussi évoqué le cas de Me Coomara Pyneandee devant la Commission Lam Shang Leen. « Il avait été convoqué sur une affaire qui s’était passé 15 ans de cela. Il avait fait une requête à la Commission pour une assistance, étant donné qu’il est malvoyant et il a également un problème de surdité. Sa requête a été rejetée. » Toutefois, il s’est tourné vers le Privy Council. « Les juges anglais ont reconnu que la présence d’une personne à ses côtés pouvait lui apporter Comfort and Reassurance. Il n’y avait donc, aucun problème à accéder à sa requête. »

Parlant de la participation à la vie publique, il a déploré le fait qu’à Maurice, les personnes handicapées n’ont pas de facilités appropriées pour exercer leur droit civique lors des élections. « Nous avons vu, lors des élections passées, qu’il n’y avait pas de fauteuil roulant disponible dans les centres de vote ou que la salle de vote était à l’étage », dit-il encore.

Par ailleurs, il a également souligné que les élections à Maurice sont supposées être « free and fair » et s’est demandé à quel point c’est vrai. « Oubliez le mot Fair. Kas ki fer eleksion dan sa pei la. Mais le mot Free doit être appliqué pour tous. Un électeur doit pouvoir aller voter librement. Il a le droit absolu de décider par lui, où il doit poser sa croix. Mais est-ce que cela est respecté ? Souvent, ils doivent avoir recours à une autre personne », réclame-t-il.

Me Satyajit Boolell a déploré le fait que la Convention relative aux droits des personnes handicapées ne soit pas suffisamment vulgarisée à Maurice. Ce qui explique souvent que les personnes qui doivent offrir le service aux personnes en situation de handicap ne soient pas au courant.

Les 10 recommandations

1.Amender les articles 3 et 16(c) de la Constitution en vue de reconnaître le statut de la personne vivant avec un handicap face à la discrimination.

2. Abroger les lois entravant les droits des personnes handicapées, y compris la Protection and Promotion of the Rights of People with Disabilities.

3. Bannir les termes dérogatoires qui portent atteinte à la dignité de la personne.

4. Élaborer un plan national et un Policy Paper 2025-2030 avec la personne des personnes handicapées et axés sur l’inclusion.

5. Amener les institutions à considérer la voix des personnes en situation de handicap dans les prises de décision.

6. Prévoir un budget pour les campagnes de sensibilisation.

7. Abroger la SENA Act et promouvoir l’inclusion au lieu d’institutionnaliser l’éducation spécialisée.

8. Renforcer le registre centralisé de la National Empowerment Authority, des personnes vivant avec handicap afin de mieux répondre à leurs besoins.

9. Faciliter l’accès aux infrastructures et à l’information.

10. Faciliter l’accès à la justice et à la participation à la vie publique.

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