En marge de la célébration de la Journée internationale des volontaires, le 5 décembre, Le-Mauricien a rencontré la secrétaire générale de Caritas Île Maurice, Patricia Adèle-Félicité. Cette dernière fait le point sur les nombreuses activités de Caritas, qui célébrera l’année prochaine ses 60 ans. Elle souligne que la mission de Caritas est d’aider les personnes qui n’arrivent pas à suivre le développement. « Tout être humain a des droits. C’est notre devoir de plaider et de soutenir ceux qui ne peuvent pas jouir de leurs droits » explique-t-elle, en ajutant que « Caritas a besoin aussi bien des bienfaiteurs que des volontaires et des partenaires. »
Caritas lance en ce moment un appel en vue d’aider les familles en difficultés. Pouvez-vous nous en parler ?
Caritas, qui fêtera ses 60 ans de présence à Maurice l’année prochaine, accompagne quelque 8 000 à 9 000 familles dans 52 localités. Un de nous premiers services est le soutien à la sécurité alimentaire pour les familles qui vivent dans la précarité et qui ne mangent pas à leur faim.
Les services de Caritas offrent tout au long de l’année des Vouchers ou des colis grâce aux dons récoltés devant les supermarchés ou qui sont offerts par des donateurs. Toutefois, il est devenu une habitude que, pendant les périodes des fêtes, durant lesquelles les Mauriciens sont plus sensibles aux problèmes sociaux, d’offrir de cadeaux à l’intention des personnes en situation précaire. Chaque année, les 46 équipes de Caritas qui fonctionnent à travers l’île se mobilisent à cet effet.
Trois types d’activités de solidarité sont organisés autour de ces fêtes. Il y a d’abord l’arbre de Noël pour les enfants. Les bienfaiteurs peuvent ainsi offrir un cadeau à un enfant dont le nom figure sur l’arbre de Noël.
Nous avons aussi un autre projet connu comme le panier de Noël, qui consiste à offrir un panier de produits alimentaires spéciaux à des familles démunies pour les fêtes. Il est également possible de faire ce don par le biais d’un Voucher alimentaire. Cette méthode est de plus en plus adoptée parce qu’elle respecte la dignité de la personne concernée, qui peut choisir elle-même les produits frais ou les produits d’hygiène dont elle a besoin.
La troisième initiative concerne les dons de matériels scolaires et d’uniformes, qui coûtent actuellement très cher. Les Mauriciens sont invités à exprimer leur solidarité à travers des dons.
Comment obtenir les Vouchers dont vous parlez ?
Plusieurs supermarchés sont partenaires de Caritas. Nous avons développé des relations depuis la pandémie de Covid avec presque toutes les branches des chaînes de supermarchés de proximité. Ces supermarchés ont imprimé des Vouchers spécialement pour Caritas avec le montant décidé. Bien entendu, il y a des restrictions concernant les boissons alcoolisées et les cigarettes. Le Voucher a un temps de validité afin que le bénéficiaire puisse acheter ce dont il a besoin au moment où il en a besoin.
À l’époque du Covid, lorsqu’on accordait des aides alimentaires, on donnait des Vouchers d’un montant de Rs 3 000. Les Vouchers sont adaptés aux besoins du bénéficiaire.
Comment se présente la situation en ce qui concerne la pauvreté à Maurice ?
Aujourd’hui, nous parlons de moins en moins de pauvreté mais surtout de familles en situation de précarité. Il est vrai qu’au niveau de l’État, il est nécessaire de bien définir le public cible. Le ministère de la Sécurité sociale et de l’Intégration s’occupe des personnes qui sont dans une pauvreté absolue. Mais au niveau des Ong et de la société civile, nous ne nous limitons pas aux personnes vivant dans une grande pauvreté, et nous prenons en compte des familles en difficulté grave à cause d’une maladie, d’une mortalité, d’une perte d’emploi… Les personnes en situation de précarité sont beaucoup plus nombreuses. Il y a, par exemple, des personnes âgées qui se retrouvent avec la responsabilité de leurs petits enfants parce que les parents sont soit dans l’addiction, soit en prison, soit encore sont séparés.
Comment financez-vous tous vos projets ?
Les finances sont le nerf de la guerre. Lorsque nous faisons appels aux Mauriciens, ils répondent généreusement. Les Mauriciens sont très sensibles à cette question. Mais ils ne passent pas obligatoirement par une Ong ou par Caritas pour venir en aide aux familles. L’avantage de Caritas est qu’il s’agit d’une association reconnue comme une institution charitable. Un entrepreneur peut ainsi accorder jusqu’à 25% de son CSR à une association charitable reconnue. Même les individus peuvent donner généreusement un montant qui peut être déduit de ses impôts. Il y a donc plusieurs manières d’obtenir des ressources. Les intéressés peuvent apporter leurs contributions à travers Juice ou d’autres moyens bancaires.
Vous aidez 8 000 familles, mais nous supposons que la demande est certainement bien plus élevée…
Il est vrai nous aidons 8 000 familles, soit quelque 40 000 personnes. Certains obtiennent des soutiens ponctuels, et d’autres sont suivis à travers nos 19 centres d’éveil à travers l’île. Nous sommes en mesure de toucher 450 familles à travers ces centres. Nous avons aussi des groupes d’alphabétisation, avec 150 à 200 apprenants. Nous avons des Centres of Learning dans plusieurs endroits qui bénéficient à 300 à 400 familles bénéficiaires. Chacune des 46 antennes de Caritas accompagne 25 à 50 familles, mais la demande est beaucoup plus grande. Il se peut qu’il y ait 15 000 familles qui sollicitent notre soutien. Nous avons à faire un tri.
Nous avons lancé un projet connu comme le Panier Solidaire avec une entreprise de produits alimentaires. Les produits que nous achetons de cette entreprise sont placés dans les boutiques solidaires afin d’être vendus à des familles à des prix subventionnés. Ainsi, un panier qui aurait pu coûter Rs 5 000 peut être obtenu à Rs 3 000. La différence de Rs 2 000 vient des personnes de bonne volonté qui sponsorisent ces produits.
Quels sont les critères pour sélectionner les bénéficiaires ?
Nous avons des services d’écoute dans 52 localités. Nous effectuons des visites dans les familles et nous les aidons à faire leur budget. Il y a un système d’accompagnement. À travers cette démarche, nous connaissons les personnes et leurs besoins. Une fois cet exercice complété, nous pouvons conclure un contrat pour une aide d’une durée de six mois ou plus, et permettre à leurs enfants de venir dans les centres d’éveil gratuitement.
Quels sont les autres programmes dont vous disposez ?
Nous avons trois services, à savoir un service d’accompagnement et de développement, un service de formation et un service logement. Le service d’accompagnement et de développement inclut le service d’écoute dans nos 46 antennes. Nous offrons également un service d’urgence en termes d’aide alimentaire. Nous avons 17 centres d’éveil et deux crèches à travers le pays. Nous opérons aussi un jardin communautaire à O’Connor Curepipe et des boutiques solidaires à Solitude, Roche-Bois, Flacq et Chamarel. Il y a une demande pour la création d’autres boutiques solidaires, mais il faudrait de la Seed Money pour investir. Il faut que les localités investissent dans un certain nombre d’équipements pour pouvoir mettre le projet en place.
Il y a aussi le service de formation. Dans ce projet, nous accordons une réponse urgente aux familles en difficulté, mais nous avons constaté que bien souvent les personnes concernées ne savent ni lire, ni écrire, et rencontrent des difficultés pour gérer leur vie et pour se fixer des objectifs. Nous leur offrons trois types de formation, à savoir formation à l’alphabétisation fonctionnelle, la formation au développement personnel et la formation vocationnelle. Nous disposons également d’une pâtisserie et d’une boulangerie, et les cours sont MQA Approved. Les bénéficiaires de la formation peuvent avoir un certificat ou une promotion dans leur travail.
Sous le service de formation, nous avons deux Centers of Learning à Barkly, où toute une gamme de formations sont offertes, dont l’IT, la musique ainsi que des programmes d’accompagnement scolaire pour les enfants. En ce qui concerne l’alphabétisation, cette formation s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux enfants et aux employés d’entreprises. Nous leur enseignons à lire et à écrire.
Le service de logement est aussi à notre avis primordial. Si une famille ne dispose pas d’un logement décent, avec des conditions de vie qui l’aide à s’épanouir, les membres de cette famille vivent en promiscuité et ne disposent pas d’espace. S’ils sont en train de lutter pendant dix ans pour obtenir de logement de la NHDC, toutes les aides qui leur sont apportées resteront toujours insuffisantes. Caritas dispose d’un fonds d’aide aux logements où nous accompagnons les familles pour les aider à posséder une maison ou à compléter un agrandissement ou à procéder à une réparation.
Nous avons également deux abris de nuit. Il y a beaucoup de jeunes que se retrouvent dans la rue parce qu’ils sortent des Shelters ou de centres correctionnels. Nous avons un abri qui se trouve à côté de l’église Saint-Jean et l’autre à Trou-Fanfaron. Nous offrons un service 7/7 jours 365 jours par an. Les personnes viennent et peuvent obtenir des repas, prendre un bain, avoir un lieu pour dormir en sécurité. Et le lendemain, ils peuvent aller travailler. Toujours dans le cadre du service logement, nous avons des maisons de relais à Poudre-d’Or où nous pouvons accueillir jusqu’à quatre familles. Elles peuvent bénéficier de logement pendant une période limitée, deux ans maximum, sans payer de loyer, en attendant qu’elles disposent d’une résidence décente.
Nous travaillons aussi sur la création d’un autre village intégré à Poudre-d’Or, où Caritas compte construire dix appartements afin d’aider davantage de familles ainsi que ceux vivant dans les abris de nuit, qui souhaitent réintégrer la société mais qui éprouvent des difficultés pour avoir un logement social.
Les abris de nuit étaient, semble-t-il, utilisés essentiellement par les SDF ou les clochards…
La perception de clochards et le profil des abris de nuit ont changé. Dans ces abris, vous verrez des personnes qui ont leur dignité, mais vous ne pourriez imaginer les problèmes auxquels ils sont confrontés. Ils ont des problèmes familiaux, relationnels ou professionnels.
Les SDF, aujourd’hui, peuvent être des personnes qui ont quitté les centres correctionnels ou les prisons. Ce sont aussi des jeunes qui ont passé leur enfance dans des Shelters en raison de problèmes familiaux et qui doivent partir à l’âge de 18 ans sans aucun avenir en vue. Nous souhaitons d’ailleurs évoquer cette question avec les autorités gouvernementales pour voir comment résoudre ce problème dans son ensemble.
À l’abri de nuit, nous ne parlons plus de clochards par respect pour eux. Nous avions coutume de les appeler des Tontons parce qu’ils avaient plus de 50 ans. Mais aujourd’hui, nous avons des jeunes de 25 ou 30 ans, que nous considérins comme des résidents, et qui sont confrontés à davantage de problèmes qu’auparavant. La question qui se pose est de savoir combien de temps ces jeunes vivront dans la rue ? Pour 40 ans ?
Comment ces personnes atterrissent-elles chez vous ?
La mission de Caritas est connue à travers ses antennes de proximité. Les institutions pénitentiaires et les travailleurs sociaux nous appellent aussi pour nous recommander l’une ou l’autre personne. Nous travaillons également en partenariat avec des Ong et, à travers ce réseau, nous recevons des demandes auxquelles nous essayons de répondre.
Caritas a-t-elle un personnel adéquat ou compte-t-elle sur les volontaires pour s’occuper de tous ces problèmes ?
Dans les abris de nuit, nous avons un personnel qui travaille 7/7 jours. Caritas a quelque 25 employés, dont ceux qui travaillent dans les abris de nuit et les centres d’éveil. Nous avons également un millier de bénévoles qui sont engagés dans toutes nos antennes.
Donc, le volontariat, dont la Journée internationale a été célébrée ce 5 décembre, se porte bien…
Les gens ont de moins en moins, mais les Mauriciens se sentent toujours interpellés par les autres et refusent rarement de donner le peu de temps dont ils disposent pour améliorer la vie d’autrui. J’en profite pour dire merci à tous nos volontaires. Caritas invite tous ceux qui le veulent à donner un coup de main et à apporter leur compétence. Nous avons besoin non seulement de ressources financières, mais également de ressources humaines sur une base volontaire. Nous avons aussi besoin de bienfaiteurs que de volontaires et de partenaires pour nous aider à mener notre mission jusqu’au bout.
Caritas transcende les religions et les communautés…
La mission de Caritas est d’aider les personnes qui n’arrivent pas à suivre le développement. Puisque nous parlons des droits humains, tout être humain a des droits. C’est donc notre devoir de plaider et de soutenir ceux qui ne peuvent pas jouir de leurs droits. Certaines personnes ont les moyens de vivre leur vie et leurs rêves. Mais tout le monde n’a pas la même chance, la même situation et les mêmes ressources.
Pour nous, c’est la personne et sa situation qui sont importantes. Dan nou kafe pena triyaz. Nous ne regardons ni le sexe, ni la religion de la personne, ni son statut, qu’il soit toxicomane ou prisonnier. Tout le monde doit avoir une chance de vivre sa vie et avoir les moyens de vivre dans les meilleures conditions possible.
Votre action dépasse donc le cadre religieux ?
Caritas est une Faith-based Organisation, mais notre mission est humanitaire. Caritas est la deuxième organisation humanitaire mondiale. Nous sommes présents dans 156 pays. Dans n’importe quel pays vous verrez Caritas à l’œuvre. C’est la dignité de la personne qui est plus importante pour nous.
Chaque personne doit avoir droit à un développement intégral, c’est-à-dire dans toutes les parties de sa vie, et doit pouvoir s’intégrer dans la société. Il n’est pas question de mettre les pauvres dans un ghetto pour devenir nos pauvres, sur lesquels nous avons une emprise. Nous préconisons l’autonomisation de la personne, ce qui veut dire son épanouissement.
Quelles sont vos relations avec le gouvernement ?
Nous travaillons avec tous les partenaires. Nous croyons dans le partenariat et reconnaissons que nous n’avons pas suffisamment de compétences. C’est la raison pour laquelle nous faisons partie du collectif Droit Zenfan Morisien et travaillons avec d’autres Ong, les enfants, le gouvernement et différents ministères. Nous croyons dans les droits sociaux et économiques, et nous travaillons avec ces partenaires afin de s’assurer que les droits humains et les droits des enfants soient respectés, et que chaque personne soit protégée socialement pour qu’elle mène bien sa vie.
Contrairement aux autres pays d’Afrique, Maurice a beaucoup de privilèges, et je crois que le gâteau national doit être partagé. C’est pourquoi, en cette période, nous souhaitons que ceux qui le peuvent partagent avec les autres. Nous faisons appel au sens de la solidarité de tout un chacun. Nous sommes convaincus que le cœur des Mauriciens est généreux et que nous avons cette compassion et cette bienveillance vis-à-vis des autres.
Un mot sur la Corporate Social Responsibility…
Caritas n’est pas juste là pour avoir des fonds et recevoir de l’argent. Nous pensons qu’il est important que les donateurs se sentent concernés et apportent leur part.
Lorsqu’une entreprise accordait 50% du CSR et gérait la différence de 50%, cela leur demandait plus d’engagement. La responsabilité sociale n’est pas uniquement la responsabilité financière, mais est aussi la responsabilité morale, sociale et économique.
Je suis convaincu qu’avec le système de CSR 50%/50%, les entreprises non seulement accordent ses ressources financières, mais aussi les compétences dont elles disposent et permettent à leurs employés de prendre conscience que la vie n’est pas douce pour tout le monde et qu’il y a des gens qui doivent se battre pour leur survie à Maurice. Les entreprises seront également en mesure de financer des projets qui ne sont pas considérés comme priorités par le gouvernement, à savoir la formation.
Un message de fin d’année ?
Mon message est surtout un message de solidarité. C’est également une période de dépenses. Nous demandons aux Mauriciens de dépenser judicieusement, intelligemment. Alors que le paiement d’un 14e mois est évoqué, il est important que nous pensions à l’avenir.