Mégane Valère (coordinatrice de Passerelle) : « L’égalité n’est pas une menace mais une opportunité »

Passerelle a lancé cette semaine le Green Flag Project – Promoting Healthier Gender Roles and Positive Masculinity, soutenu par le haut-commissariat d’Australie à Maurice, pour mettre en relief la masculinité positive et la promotion des relations saines au sein des couples en incluant les hommes dans la lutte contre la violence envers les femmes. Pour Mégane Valère, coordinatrice de Passerelle, le silence des hommes face aux violences faites aux femmes est une forme de complicité passive. D’où l’idée d’inclure les hommes dans la lutte contre la violence qui permet d’agir directement à la source du problème.
Les hommes sont souvent les auteurs de ces violences, mais ils peuvent aussi être des acteurs puissants du changement s’ils sont correctement sensibilisés et engagés. Leur parole a un impact particulier auprès d’autres hommes, qui peuvent se reconnaître dans leurs expériences et remettre en question leurs propres comportements. Ce serait aussi l’occasion de rappeler que l’égalité entre les hommes et les femmes ne se joue pas seulement dans les grandes déclarations, mais aussi dans les gestes du quotidien et les petites décisions.

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La Journée internationale des femmes sera célébrée ce 8 mars. Quels sont les souhaits de Passerelle avec la campagne Green Flag ?
Passerelle espère que la campagne Green Flag pourra, même modestement, encourager des relations plus saines. Nous souhaitons attirer l’attention du gouvernement et des institutions sur l’importance d’écouter tous les acteurs concernés, y compris les hommes. Il est essentiel que les hommes se sentent aussi entendus.
Passerelle souhaite également que les ONG soient enfin vraiment reconnues comme des partenaires indispensables dans la lutte contre les violences basées sur le genre. Nos actions sur le terrain, nos campagnes de sensibilisation et nos ateliers montrent chaque jour leur efficacité.
Les solutions aux violences de genre passent par des efforts collectifs où les ONG, les institutions publiques et les citoyens collaborent activement. Notre but n’est pas de tout changer d’un coup, mais de semer des graines, petit à petit. Si cette campagne permet à, ne serait-ce qu’une poignée de personnes, de reconnaître les signes d’une relation saine et d’en parler autour d’eux, alors ce sera déjà une belle avancée.

À travers le Green Flag Project, Passerelle veut avant tout placer la masculinité positive au cœur de sa campagne. Pourquoi avoir choisi cet angle et en quoi cela pourrait aider dans la lutte contre la violence domestique ?
La masculinité positive, c’est tout simplement l’idée que l’on peut être un homme fort et respectueux à la fois, sans avoir besoin d’être agressif ou dominateur. C’est une manière de voir la masculinité qui encourage les hommes à exprimer leurs émotions librement et à traiter les autres avec bienveillance.
Contrairement à la masculinité toxique, qui impose souvent aux hommes d’être durs et silencieux face à leurs sentiments, la masculinité positive montre que l’empathie et le respect sont aussi des signes de force. Des auteurs comme Michael Kimmel et Tony Porter ont beaucoup travaillé sur ce concept. Ils démontrent que les hommes aussi souffrent de ces stéréotypes. À Maurice, cette vision est essentielle parce que beaucoup de violences au sein des familles viennent d’une idée rigide de ce qu’est un « vrai homme ».

Pensez-vous que ce sont les idées reçues que l’on se fait sur la masculinité qui contribuent aux comportements violents et, si c’est le cas, de quelle manière Passerelle aide à déconstruire ces stéréotypes auprès des hommes ?
Les idées reçues comme « les hommes ne pleurent pas », « un homme doit contrôler sa femme » ou « la violence est une preuve de force » sont très répandues. Il y a celle que les hommes doivent toujours contrôler leurs émotions et être les chefs de la famille. Certains pensent encore qu’un homme qui exprime ses émotions est faible. Ces stéréotypes ne rendent service à personne, au contraire, ils nuisent aux femmes, mais aussi aux hommes eux-mêmes et génèrent souvent des comportements violents.
Passerelle lance le Green Flag Project, sur une idée de Marie-Noëlle Elissac-Foy, qui consistera à organiser des ateliers pour déconstruire ces mythes et des campagnes de sensibilisation pour aider les jeunes à reconnaître les signes d’une relation saine comme savoir écouter, respecter les choix de l’autre, et exprimer ses émotions sans peur d’être jugé. Ce projet, financé par le haut-commissariat d’Australie à Maurice, réunira aussi des professionnels, des ONG pour réfléchir ensemble aux mesures nécessaires qui seront transmises au gouvernement comme recommandations.

Partager les responsabilités n’enlève en rien à la masculinité, et de ce pas, vous misez sur des ateliers d’activités entre homme et femmes pour réinstaurer cet équilibre entre les couples et les familles. En quoi consiste votre démarche ?
Nous avons lancé des vidéos avec Vincent Duvergé et Sheryl Smith pour montrer que les jeunes peuvent être des couples équilibrés où les participants discutent des tâches ménagères, de l’éducation des enfants et de la prise de décision dans le couple. L’objectif est effectivement de montrer que partager les responsabilités n’enlève rien à la masculinité.
Passerelle veut aussi organiser des ateliers avec des hommes de tous âges pour discuter de divers stéréotypes. Nous comptons utiliser des témoignages et des études, comme celles de Jackson Katz, qui montrent que la vraie force réside dans la maîtrise de soi et l’empathie. On mise aussi sur l’éducation dès le jeune âge, car changer les mentalités prend du temps.

Vous évoquiez à un certain moment de la conversation le fait que des garçons soient exposés à un jeune âge à des normes de masculinité toxique. Passerelle a-t-elle les solutions pour promouvoir une vision plus saine et inclusive de la masculinité ?
Nous comptons intervenir directement dans les écoles, notamment à travers les clubs DIS-MOI, pour toucher les jeunes dès le plus jeune âge. Et nous ne voulons pas nous arrêter là. L’objectif est d’étendre progressivement le projet pour toucher encore plus de jeunes dans les écoles. En plus de ces actions, nous avons la chance de pouvoir compter sur des ambassadeurs qui partagent ce message de masculinité positive.
Kinsley David, auteur du livre Galimatias, a su trouver les mots justes pour parler de la souffrance des garçons et de leur besoin d’être écoutés et aidés. Nous avons également approché des artistes locaux qui partagent leurs expériences et donnent des conseils lors de nos ateliers et campagnes. Le fait d’entendre ces témoignages aide énormément les jeunes garçons à se sentir compris et à réaliser qu’ils ne sont pas seuls.

Les cas de violences basés sur le genre sont en hausse. Pourquoi cette nécessité d’amener les hommes à lutter aux côtés des femmes ?
Inclure les hommes dans la lutte contre la violence envers les femmes est essentiel, car ils font partie intégrante du problème, mais aussi de la solution. Impliquer les hommes permet d’agir directement à la source du problème. Les hommes sont souvent les auteurs de ces violences, mais ils peuvent aussi être des acteurs puissants du changement s’ils sont correctement sensibilisés et engagés. Leur parole a un impact particulier auprès d’autres hommes, qui peuvent se reconnaître dans leurs expériences et remettre en question leurs propres comportements.
Je pense qu’inclure les hommes dans cette lutte permet de briser le sentiment de culpabilité ou de honte qui empêche souvent d’avancer. Il ne s’agit pas uniquement d’accuser tous les hommes, mais de les inviter à être des alliés et à prendre position contre la violence, même quand ils n’en sont pas directement responsables. Le silence des hommes face aux violences est une forme de complicité passive. Il ne faut pas non plus attendre que cela nous touche directement pour agir. Nous pouvons ensemble multiplier les voix qui disent non à la violence envers les femmes.

Vous parlez de la campagne masculinité positive. N’est-il pas temps de s’engager dans une campagne sur l’image de l’homme qui n’évolue pas dans une logique de domination ?
Oui, ce serait effectivement très intéressant d’aller plus loin avec une telle campagne. Ce genre de question pousse directement les hommes à réfléchir à leurs comportements et leurs croyances sans les accuser. L’idée serait d’encourager les hommes à se poser des questions simples mais puissantes : Est-ce que j’écoute vraiment l’avis de ma partenaire ? Est-ce que je partage les responsabilités à la maison ? Est-ce que je respecte les choix et les limites des autres sans chercher à imposer les miens ?
Ces réflexions pourraient être intégrées dans des ateliers, des podcasts ou des vidéos courtes sur les réseaux sociaux, pour toucher un maximum de personnes. Ce serait aussi l’occasion de rappeler que l’égalité entre les hommes et les femmes ne se joue pas seulement dans les grandes déclarations, mais aussi dans les gestes du quotidien et les petites décisions. Un homme, c’est la personne qui a compris que la femme est son égale.

De quelle manière peut-on faire comprendre à un homme qu’il gagnerait plus en aidant la femme dans leur rôle social ?
Faire comprendre à un homme qu’il gagne plus en aidant les femmes dans leur rôle social, c’est d’abord lui montrer que l’égalité n’est pas une menace mais une opportunité. Elle profite autant aux hommes qu’aux femmes. Par exemple, dans les couples où les tâches ménagères et l’éducation des enfants sont partagées de manière plus équitable, les hommes se disent plus heureux et plus épanouis. Ils développent des relations plus fortes avec leurs enfants et leur partenaire, ce qui réduit les tensions et améliore la qualité de vie familiale.
Quand les femmes ont plus d’opportunités dans l’éducation, l’emploi et les décisions communautaires, toute la société en bénéficie, il y a moins de pauvreté, plus d’innovation et un meilleur équilibre au travail comme à la maison. Des études montrent d’ailleurs que les entreprises avec plus de femmes à des postes de direction sont plus performantes et plus rentables.

Passerelle se sent-elle soutenue dans sa quête à mettre en avant la masculinité positive, ou les réactions sont plutôt mitigées ?
Pas encore, mais nous savons que plus notre campagne prendra de l’ampleur, plus il y aura des critiques, notamment sur les réseaux sociaux. C’est devenu presque inévitable aujourd’hui, surtout dans un espace où la culture de haine prolifère et où certains se permettent de dire n’importe quoi derrière leur clavier.
À Maurice, il y a aussi une bonne dose d’hypocrisie sur ces sujets. Beaucoup d’hommes ne vont pas s’opposer ouvertement à ce genre de campagne, mais au fond d’eux, ils ne voudront pas vraiment y être réceptifs. Ils diront que c’est bien, mais sans vraiment remettre en question leurs propres comportements ou croyances. La vérité, c’est que changer les mentalités ne se fait pas du jour au lendemain. Cela demande du temps, beaucoup de patience et surtout des discussions répétées et ouvertes. Notre approche est donc d’avancer progressivement, sans brusquer, mais sans jamais renoncer non plus.

Il y a aussi la pression sociale, la peur du regard des autres… Selon vous, à quel type de problèmes se heurtent les hommes qui endossent des rôles plus flexibles et égalitaires ?
À Maurice, le principal défi c’est la pression sociale. La société mauricienne est encore très attachée aux rôles traditionnels, à l’idée que l’homme doit être le chef de famille, celui qui décide. Les hommes qui osent aller à l’encontre de ces stéréotypes sont souvent jugés comme pas assez virils, que ce soit par leurs pairs, leur famille ou même dans leur milieu professionnel.
Un autre obstacle important, c’est la peur du regard des autres. Beaucoup d’hommes voudraient partager plus équitablement les tâches ménagères ou exprimer leurs émotions, mais ils craignent qu’on se moque d’eux ou d’être critiqués. C’est encore plus vrai sur les réseaux sociaux, où chaque geste est scruté et commenté. On voit souvent des commentaires négatifs dès qu’un homme prend position pour l’égalité ou parle de ses sentiments. Cette culture du jugement rend très difficile l’adoption de rôles plus égalitaires.
Il y a aussi un manque de modèles positifs et accessibles. Les hommes qui prônent l’égalité de genre ne sont pas assez visibles dans les médias mauriciens. Kot zot ?

La parentalité influence-t-elle la façon dont les enfants perçoivent les relations entre les hommes et les femmes ?
Affirmatif. Évidemment que la parentalité influence directement la façon dont les enfants perçoivent les relations entre les hommes et les femmes. Mais quand les deux parents partagent les responsabilités à la maison et s’occupent ensemble des enfants, cela montre que les tâches ménagères et l’éducation ne sont pas réservées uniquement aux femmes.

Quel modèle masculin Passerelle suit-elle dans ses campagnes pour illustrer la masculinité positive et inspirer les autres hommes à s’engager ?
Il n’y a qu’à voir le modèle d’un père qui s’implique activement en aidant simplement aux devoirs, en jouant avec ses enfants ou en préparant les repas, il donne l’exemple. Cela permet aux garçons de comprendre qu’on peut être un homme fort tout en étant attentionné et aux filles de voir qu’elles ont aussi leur mot à dire dans les décisions familiales.

La plateforme Stop Violans Kont Fam a mis en place le violentomètre pour sensibiliser le public sur les violences de genre. À Maurice, cela a-t-il eu l’impact souhaité pour identifier les comportements abusifs ?
Le violentomètre est effectivement un outil très efficace pour identifier les comportements abusifs, et il est utilisé par Passerelle depuis environ cinq ans, grâce à un projet lancé par la plateforme Stop Violans Kont Fam. Cet outil fonctionne comme une sorte de thermomètre qui permet d’évaluer si certains comportements dans une relation sont sains, inquiétants ou carrément dangereux. Il est conçu de façon simple et visuelle, avec des zones de couleur allant du vert (sain) au rouge (dangereux), pour aider chacun à comprendre où se situe sa relation.
Ce qui rend le violentomètre particulièrement utile, c’est qu’il permet aux gens de faire cette évaluation de manière discrète, loin des regards. C’est un outil très demandé, notamment lors de nos séances de sensibilisation en entreprise. Beaucoup de personnes n’osent pas parler directement de leur situation, mais en consultant le violentomètre, elles prennent conscience de certains signes d’alerte et commencent à réfléchir sur leurs propres comportements ou ceux de leur partenaire.

Le violentomètre a-t-il pu amener les hommes à réfléchir sur leur comportement abusif et y a-t-il eu une demande de leur part d’être soutenus dans leur démarche de réhabilitation ?
Nous insistons aussi sur le fait que le violentomètre est destiné autant aux hommes qu’aux femmes, car il ne faut pas oublier que certains hommes sont également victimes de violence, même si on en parle moins. L’objectif est de briser le tabou et d’encourager tout le monde à se poser les bonnes questions : « Est-ce que je me sens respecté dans ma relation ? Est-ce que je respecte vraiment l’autre ? »
Lors de nos ateliers, nous incitons les hommes à utiliser cet outil non pas pour culpabiliser, mais pour mieux comprendre leurs propres comportements. S’ils se reconnaissent dans certaines zones préoccupantes, nous les encourageons à chercher de l’aide sans honte.

Comment les médias peuvent-ils mieux contribuer à promouvoir des rôles de genre sains et une masculinité positive, selon vous ?
Les médias peuvent vraiment aider à promouvoir des rôles de genre sains et une masculinité positive en montrant des modèles masculins plus variés et équilibrés. Ils pourraient mettre en avant des hommes qui expriment leurs émotions, partagent les tâches à la maison et respectent pleinement l’égalité. Ils peuvent aussi organiser des débats, des interviews et des campagnes de sensibilisation qui encouragent les hommes à remettre en question les stéréotypes de genre.
Les publicités jouent un rôle très important dans la diffusion des stéréotypes de genre, souvent sans que l’on s’en rende compte. Pendant longtemps, elles ont montré les hommes comme des leaders forts et silencieux, concentrés sur le travail et les décisions importantes, tandis que les femmes étaient réduites aux tâches ménagères et au soin des enfants. Ces représentations simplistes renforcent l’idée que les hommes doivent être durs et dominateurs et que les femmes doivent être douces et soumises.

Quels sont les futurs projets de Passerelle pour renforcer l’engagement des hommes dans la lutte contre les violences de genre ?
D’abord, notre priorité est d’aller au bout de ce projet en suivant plusieurs axes concrets. Nous préparons actuellement des recommandations que nous espérons présenter en marge de la préparation du budget du gouvernement, afin que la lutte contre les violences de genre puisse bénéficier d’un soutien plus solide et structuré. Nous voulons aussi encourager les experts à nous rejoindre, car leurs compétences peuvent vraiment aider à renforcer notre message et à proposer des solutions plus adaptées et efficaces. Nous continuerons à lancer un appel aux hommes pour rejoindre le combat.
Travailler avec les jeunes reste aussi l’un de nos axes principaux. Nous poursuivrons donc nos sensibilisations dans les écoles et dans les entreprises. Le but est de créer une dynamique collective où chacun à la fois, jeunes, parents, enseignants, employés et dirigeants se sent concerné et impliqué. Pour réussir, nous aurons aussi besoin de partenaires publics et privés. Leur soutien permettrait d’élargir notre impact, de financer des campagnes plus ambitieuses et de toucher plus de personnes. Nous comptons donc intensifier nos collaborations avec des entreprises et des institutions qui partagent nos valeurs et notre vision.

 

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