Notre invité de cette semaine est Me Robin Ramburn, le nouveau président du Bar Council. Dans l’interview qu’il nous a accordée après son élection, il nous présente ses priorités et répond à des questions sur l’actualité de sa profession.
- Vous avez été président du Bar Council en 2016 et après un an, vous vous êtes retiré. Pourquoi ?
— Parce qu’il fallait donner la chance aux autres d’occuper cette fonction. Dans le temps, il n’y avait pas d’élection du président du Bar Council. Celui qui déclarait sa candidature était adoubé par tous les autres membres d’après une convention non écrite, mais respectée. Par la suite, avec l’évolution, on a abandonné la tradition et on est passé à une autre méthode de désignation du président à travers des élections. Mais il faut souligner qu’auparavant, nous étions une petite profession à tel point que quand j’ai prêté serment, nous n’étions que 75 avocats. Aujourd’hui, nous sommes plus de 1,079 avocats et le consensus autour d’une personne est moins facile.
- 1079 avocats : est-ce qu’il y en a trop ou pas assez ?
— Je pense que tous les avocats gagnent tant bien que mal leur vie; donc, il n’y en a pas trop. D’autant plus qu’en comparaison, il existe à Maurice plus de 3,000 médecins. Nous voulons développer le pays comme un secteur financier avec toutes ses spécialisations, ce qui nécessite des compétences précises, c’est-à-dire des gens formés et diplômés dans des secteurs spécifiques. Il y a pas mal de ce type d’avocats dans les management companies et les law firms.
- Cette dernière catégorie avait suscité des inquiétudes et même des réactions négatives de la profession à l’époque.
— Tout cela est derrière nous. On n’était pas contre les laws firms étrangères en tant que tel, mais contre l’idée qu’elles allaient venir prendre le travail des avocats mauriciens. C’était ça le bone of contention.
- Beaucoup disent que le niveau de connaissances des avocats a baissé au fil des années.
— Je crois que comme dans n’importe quel domaine, il faut éviter de généraliser. Dans tous les métiers, vous avez de bonnes et de mauvaises promotions, et ça ne date pas d’aujourd’hui, mais il appartient à chaque nouvel avocat d’augmenter ses connaissances. Quand j’ai commencé à pratiquer à Maurice après des études en Grande-Bretagne, je connaissais à peine le droit français et en suivant les conseils de mes aînés, dont Sir Hamid Moolan, j’ai passé des heures à la bibliothèque pour apprendre et me perfectionner. Aujourd’hui, après 34 ans de barreau, je peux vous dire qu’il n’y a pas de grand et de petit dossier, et que l’avocat doit consacrer le temps nécessaire pour le défendre. La clé du succès est très simple : renseignez vous, lisez les textes de loi pour comprendre et défendre votre dossier, et quand vous ne comprenez pas, n’hésitez pas à demander à ceux qui savent. Travail, intégrité et honneteté sont les principales qualités pour réussir dans la profession. Se faire respecter et se faire une bonne réputation sont essentiels pour réussir.
- Il n’y a pas de grand ou de petit dossier, dites-vous. Mais est-ce que les clients qui ont les moyens de payer les « grands » avocats ont plus de chance de gagner leur affaire ?
— Je crois qu’en général, il n’y a pas de différence car l’avocat a la responsabilité d’administrer la justice dans l’intérêt de son client, qu’il soit riche ou pauvre. C’est une question d’intégrité et d’honnêteté intellectuelle.
- Il n’y a pas de brebis galeuse dans la profession, comme certains l’ont dit dans un passé récent ?
— Hélas, je crois qu’il y a des brebis galeuses, mais pas beaucoup. Il faut aussi dire que ce type de problème existait auparavant, mais n’était pas rendu public. Il n’y avait pas, à l’époque, les social media qui font circuler l’information, parfois la mauvaise, à très grande vitesse. Il y a, peut-être, des avocats qui font des erreurs inconsciemment, alors que d’autres le font consciemment. S’il y a des plaintes, des enquêtes sont ouvertes et des décisions sont prises. - Quelle est la priorité des priorités du nouveau président du Bar Council ?
Il y en a une et j’ai déjà eu l’occasion d’en parler juste après la proclamation de mon élection, lundi dernier : la situation à la New Court House. Le manque de ventilation dans ce bâtiment est en train de rendre difficile, pour ne pas dire impossible, le travail non seulement des avocats et des avoués, remettant en cause l’équité des procédures judiciaires, mais aussi de tous ceux qui doivent utiliser ce bâtiment : les justiciables, les magistrats, le personnel des tribunaux et les membres du public. En évoquant ce problème publiquement, je n’ai fait que dire tout haut ce que la profession dit tout bas depuis des mois. Je n’ai fait que mon devoir de porte-parole de la profession. Je fais partie de ceux qui ne restent pas tranquilles quand il faut parler. Pour bien faire comprendre l’importance et l’urgence du problème, le Bar Council a fait publier un communiqué demandant aux avocats de refuser de paraître en Cour dans ces conditions.
- Comment expliquer qu’un bâtiment de cette importance – qui est plus appelé le New Court House! – puisse se retrouver avec un système de climatisation défectueux ?
— Il faut poser la question à ceux qui sont responsables du maintenance du bâtiment. Je peux vous dire que cette déclaration publique a donné lieu à une réunion d’urgence, mercredi, avec le Master & Registrar, des représentants des avocats et des avoués, ainsi que des personnes concernées par l’administration et l’utilisation du bâtiment. Des solutions temporaires ont été proposées et, selon mes renseignements, un communiqué sera bientôt publié pour annoncer les mesures qui seront mises en application dès la semaine prochaine.
- Vous avez dit “Je ne fais pas partie de ceux qui se taisent quand il faut parler”, mais vous avez eu la carrière d’un avocat très discret.
— Je suis discret sur les affaires que je prends parce que je ne les plaide pas en public ou dans la presse, mais devant une Cour de justice. Discrétion ne veut pas dire faiblesse ou absence de fermeté. La déontologie que j’ai apprise au Middle Temple est de ne jamais discuter d’une affaire en public. C’est une règle de base du métier.
l Mais quand on voit certains avocats plaider leurs affaires devant le tribunal médiatique, on peut dire que ce n’est pas le cas pour tous les membres de la profession.
— Je fais le même constat. On peut répondre à des questions, donner des informations générales, sans entrer dans les détails du dossier. En fin de compte, qui doit savoir comment un avocat compte aborder le dossier de son client ? Un juge ou un magistrat habilité à prendre une décision. Ailleurs, les articles trop précis sur des affaires peuvent donner lieu à des demandes d’explications, car on peut penser que cette publicité est une manière de tenter d’influencer le jugement de la Cour.
l J’aimerais revenir sur votre élection. Vous avez été élu par 199 votes et votre principal adversaire n’en a récolté que 19, c’est donc un walk over à première vue. Mais quand on regarde de plus près ces résultats, on découvre que sur les plus de 1,000 membres du Bar Council, seulement un peu plus de 200 sont allés voter. Comment faut-il expliquer cette grosse abstention ?
— Il faut tenir en ligne de compte qu’à cause des warning cyclonique, beaucoup de nos membres ont quitté Port-Louis avant midi et n’ont pas pu voter. Il faut aussi savoir qu’il n’y avait que deux candidats, ce qui explique le manque d’engouement.
l Ou alors une majorité de ses membres considère que le Bar Council ne sert pas à grand-chose ?
— Je ne le pense pas parce que beaucoup de membres de la profession, surtout des jeunes, m’ont encouragé à poser ma candidature.
l On n’arrête pas de souligner le fait que la justice est beaucoup trop lente à Maurice. Certaines affaires prennent des années pour être jugées. Que faire pour régler ce problème récurrent : augmenter le nombre de Cours et de magistrats ?
— Je ne pense pas que ce soit la solution, bien qu’on ait augmenté le nombre de juges, de magistrats et de divisions de Cours. Mais par ailleurs, la population a augmenté, donc, le nombre de cas, d’autant plus que le Mauricien est un procédurier qui fait souvent appel à la justice. Il faut revoir les procédures, les moderniser, les adapter aux nouveaux outils technologiques – quand c’est possible, mais il faut surtout un bon case management, c’est-à-dire tout ce qui peut se faire en amont d’un dossier pour le simplifier. Je vous donne un exemple dans le cas d’un accident de la route. Les assurances ont des experts qui peuvent avoir des avis différents à être traités par la Cour. On pourrait, pour économiser le temps de la Cour et des personnes concernées, mettre au point une procédure de conciliation. Dans les affaires de police, il faut que tous ceux qui ont participé à l’enquête viennent en Cour, ce qui mobilise beaucoup de monde et peut susciter des renvois parce que tous les témoins – surtout les policiers – ne sont pas disponibles au même moment. On aurait pu simplifier la procédure en leur demandant une déclaration signée. Il est impératif que toutes les parties concernées s’asseyent autour d’une table pour revoir, amender et moderniser les procédures pour mettre un peu de fluidité dans la gestion des cases.
l Quelle est votre opinion sur les relations tendues entre le Bar Council, plus particulièrement certains de ses membres, et le Commissaire de Police ?
— Je sais que la profession a eu des soucis avec le Commissaire de Police, mais je ne connais pas l’étendue du problème. Je suis de ceux qui pensent que dans l’administration de la Justice, la police joue une partie importante et que nous devons avoir de bonnes relations. Des relations civilisées – même si we may beg to difer on issues – dans un respect mutuel. Mais ceci étant dit, je crois que le problème est plus entre le DPP et le CP.
l Justement ! Quelle est l’opinion du nouveau président du Bar Council sur ce conflit qui paralyse d’une certaine manière le fonctionnement de la justice ?
— Je l’ai dit le jour de la proclamation de l’élection : ce sont deux institutions constitutionnelles dont les responsables ont un différend qu’ils ont décidé de référer à la Cour suprême. Nous ne sommes que de simples spectateurs de cette affaire, mais nous allons nous assurer que tout se fasse dans la transparence et le respect de la Constitution.
l Comment en est-on arrivé à cette situation ubuesque : les responsables de deux institutions constitutionnelles se traînant en justice ?
— Malheureusement, ce sont les hommes qui font les institutions et pas le contraire. Ceci étant, et comme vous l’avez dit, beaucoup d’affaires sont bloquées et c’est dommage qu’on soit arrivé à ce stade qui est au détriment de la Justice, des justiciables, des victimes et des accusés. Il faut attendre le jugement de la Cour suprême dans cette affaire.
l Et eu égard à la lenteur de la justice, dont nous avons déjà parlé, ça prendra du temps. Comme l’affaire de Navin Ramgoolam, dont vous êtes un des avocats, qui dure depuis des années. Et les renvois sont aussi demandés par les avocats.
— Navin Ramgoolam n’est pas le seul à se retrouver dans cette situation. Nous avons demandé des renvois parce que nous n’étions pas d’accord avec certaines décisions. Cette affaire peut se terminer devant le Conseil Privé et il serait professionnellement irresponsable de ne pas utiliser toutes les possibilités offertes par la procédure en balisant le chemin vers cette institution.
l Restons dans les lenteurs de la justice. Que pensez-vous de ces pétitions contestant les élections qui durent des mois et des mois ?
— Sur ce point précis, je crois qu’il est grand temps qu’on légifère pour imposer des time frame dans ce genre de cas. Il faudrait que la pétition électorale soit jugée dans un délai de six mois. Il faut instituer une Cour électorale, prévue dans le Representation of People Act avec deux juges détachés de tout autre dossier pour s’y consacrer entièrement, afin de donner le jugement en six mois. On pourrait aussi appliquer cette procédure pour d’autres affaires parce qu’il n’est pas concevable qu’on écoute une affaire aujourd’hui et qu’on rende le jugement quelques années plus tard. Au niveau des réformes, il est temps de penser à la création d’une école de la magistrature à Maurice parce que retirer un avocat de la profession et le nommer magistrat du jour au lendemain est compliqué. Cette école pourrait donner des cours de six mois avant que le nouveau magistrat n’assume ses nouvelles fonctions
l On pourrait même dire : avant qu’il ne soit jeté dans l’arène ! Quelles seront vos relations avec le ministre de la Justice ?
— Elles devront être cordiales et respectueuses l’un vis-à-vis de l’autre. Mais s’il faut taper sur la table, je n’hésiterai pas à le faire.
l Avocat et politique, c’est une bonne association, un bon ménage ?
— C’est peut être un bon ménage pour certains, mais pas pour moi. Ca fait 34 ans que je suis avocat et je n’ai pas fait de la politique. Ce qui ne m’empêche pas de paraître pour des politiciens de tous les bords.
l Vous n’avez jamais pensé à faire de la politique active : vous venez pourtant d’un environnement très politique.
— Et comment ! Kumat Gookulsing, mon grand-père maternel, était député de Savanne/ Rivière Noire. Mon oncle Balmik Gookulsing était député de Quatre-Bornes. Mon père, Lutchmeeparsad Ramburn, était Deputy leader de l’UDM et a été élu avec Guy Ollivry, Alain Noël et Mme Louison aux élections municipales de 1971, à Curepipe. Je connais pas mal de politiciens et j’ai des liens de parenté avec certains, mais je ne me vois pas faire la politique : je suis trop franc pour ça. Moi quand il fait jour, je dis qu’il fait jour, et quand c’est la nuit je dis qu’il fait nuit. Est-ce que vous connaissez un leader politique qui acceptera qu’on lui dise que sa vision ou son interprétation n’est pas correcte ? Je ne suis pas prêt à négocier mon indépendance.
l Le Premier ministre ne se prive pas de critiquer – et parfois d’attaquer en public – avocats et magistrats…
–… c’est dommage car il semble avoir oublié qu’il est, avant tout, un avocat. Il semble aussi avoir oublié qu’un avocat est là pour défendre son client, qui qu’il soit, et un magistrat pour rendre la justice après étude d’un dossier.
O Il y a de plus en plus d’éléments féminins dans les métiers du judiciaire. C’est une bonne chose ?
— Cela correspond à l’évolution de la société depuis plus d’une vingtaine d’années. On voit beaucoup d’éléments féminins, surtout dans la magistrature, et c’est tant mieux !
l On dit souvent que les MAGISTRATES ont plus de compassion que les MAGISTRATS. Vous validez ?
— C’est possible. Mais je connais aussi des collègues qui disent « ayo mo napa pou parett divan sa madam-là ! » Cela dit, il faut rappeler qu’ils et qu’elles ont la même aptitude, la même formation. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir d’énormes différences de traitement dans la gestion d’une affaire.
l Un mot sur les multiples poursuites des députés de l’opposition contre les rulings et l’attitude du Speaker au Parlement…
— Disons les choses de façon claire et nette : le Parlement a ses propres règlements et sa bible est l’Erskine May et les standing orders expliquent comment mener les débats. Tout ce que je peux vous dire est qu’il n’est pas correct d’interpréter les Standing Orders de manière partisane simplement pour punir un opposant de celui qui vous a nommé Speaker.
l Et on se retrouve avec la lenteur de la justice ! Avec les multiples renvois, certaines des affaires opposant des députés de l’Opposition, comme Arvind Boolell, au Speaker ne seront pas jugées avant les prochaines élections !
— Il est évident que beaucoup de ces affaires ne seront pas jugées avant la dissolution du Parlement en novembre prochain. C’est le système qui est comme ça, ce sont les différentes composantes de la machine qui ne travaillent pas au même rythme. Avec toutes les lenteurs dont nous avons parlé, il est grand temps d’amender les lois et les procédures – certaines datent de plusieurs dizaines d’années – pour que la machine de la Justice fonctionne plus rapidement. Comme je vous l’ai dit, il faut que les représentants des institutions concernées se mettent autour d’une table.
l Quel est votre regard sur cette nouvelle Financial Services Commission qui a provoqué de multiples débats à Maurice, plus particulièrement dans la profession légale ?
— A priori, je pense que ce n’est pas une mauvaise idée de créer un organisme pour chapeauter toutes les institutions impliquées dans le combat contre la fraude et la corruption. Mais de la à retirer, d’un simple trait de plume, les pouvoirs du DPP pour les confier à un nominé politique, c’est énorme ! À mon humble avis – et là je parle en mon nom personnel –, on ne peut pas modifier un article constitutionnel par une simple majorité parlementaire. Selon ma lecture des textes, cet amendement n’est pas compatible avec la Constitution.
l Mais il y a dans ce gouvernement des avocats, dont le PM, et dans les ministères concernés des hommes de loi. Comment expliquez-vous qu’il n’ont pas vu que l’amendement n’est pas constitutionnel ?
— Je ne peux pas vous dire pourquoi ils ont laissé passer ça et pourquoi ils donnent l’impression de vouloir mettre le DPP de côté. Sans compter les attaques du Commissaire de Police.
l Est-ce qu’il y aurait dans tout ca une envie – pour ne pas dire une volonté – de se débarrasser de l’actuel DPP ?
— On a l’impression que c’est le cas. J’espère que ce n’est pas vrai, que c’est une impression. Une fausse impression.
l Finalement, est-ce que vous êtes inquiet pour l’avenir de la Justice à Maurice avec ces amendements et les attaques publiques contre des membres de la profession ?
— Je suis inquiet qu’on ait pu penser à des choses pareilles. Mais je suis rassuré dans la mesure où nous avons toujours la Cour suprême et le Conseil Privé. Heureusement que nous avons gardé le Conseil Privé comme dernière instance judiciaire du pays. Par ailleurs, j’ai aussi confiance dans l’avenir de la Justice à Maurice quand je vois le travail de certains jeunes juges et jeunes magistrats, et les jugements qu’ils rendent.