L’offensive contre la menace requins passera à une étape supérieure. Le développement de l’aquaculture, une nouvelle activité d’exploitation des ressources marines et halieutiques, constitue un danger potentiel pour l’avenir d’un des plus importants secteurs économiques, à savoir le tourisme avec plus de 100 000 emplois et des recettes brutes de l’ordre de Rs 58 milliards par an. Et ce n’est nullement un hasard que l’Association des Hôteliers et Restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) monte en première ligne pour brandir de manière formelle et structurée la menace requins dans le lagon, susceptible de porter atteinte à l’image de marque du tourisme local, dans le sillage de l’installation de Fish Farms à des points stragétiques autour de Maurice. De ce fait, le projet de la société Growfish International (Mauritius) Ltd, avec l’un des proches parents du ministre de tutelle, Prem Koonjoo, faisant partie des promoteurs, en vue d’opérer une ferme d’aquaculture avec une production de 100 000 tonnes de poisson dans les dix ans à venir au large de Flic-en-Flac, suscite de graves appréhensions. L’AHRIM a déployé une batterie d’expertises et d’arguments pour remettre en cause ce projet en faisant appel devant l’Environment Trubunal contre l’Environment Impact Assessment Licenceoctroyée le 6 octobre de l’année dernière. L’affaire devra être appelée devant cette instance, prévue par l’Environment Protection Act en début de semaine. Face à la position figée du ministre Koonjoo à l’effet que la menace requins avec l’aquaculture serait « largement exagérée et amplifiée pour des raisons politiques », le ministre du Tourisme, Anil Gayan, a préféré adopter une autre approche. Demain, en compagnie des responsables de l’AHRIM et des représentants du ministère de l’Ocean Economy, il se rendra sur les lieux de la Fish Farm de Grand-Gaube, où des requins ont été aperçus rôdant dans les parages. Le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, et son fils le député Adrien Duval ont précédemment attiré l’attention sur ce danger.
Dans le cadre de sa démarche en vue de préserver l’industrie touristique contre toute surprise avec une prolifération de squales en tous genres dans le lagon, que ce soit dans les parages des Fish Farms et ailleurs, l’AHRIM a cru nécessaire de s’en remettre à l’expertise de quatre spécialistes en la matière et de renommée inernationale, menée par Michel de San et comprenant Pierre Bosc, un ancien directeur de l’ARDA à La Réunion, Dominique Gréboval, un Fisheries Economist avec trente ans d’expérience de la FAO, et Shjarveen Persand, détenant un Master en océanogaphie physique. Cette équipe avait pour mandat de se pencher sur la demande logée par Growfish International (Mauritius) Ltd pour une EIA Licence pour son projet de Fish Farming sur la côte ouest, de « focus on the feasibility of the projet and its impact on the economic, social and environmental sectors of Mauritius, including the tourism sector » et surtout d’analyser en profondeur la problématique de la menace-requins avec en toile de fond le précédent de La Réunion et de soumettre des propositions en vue de garantir la sécurité des Mauriciens et des touristes en général.
Se basant sur les conclusions de leurs études scientifiques et de l’imprévisibilité du comportement des requins évoluant dans les environs des Fish Farms, le biologiste marinMichel de San et l’océanographe Sharveen Persand, intervenant dans Check-In, la publication semestrielle de l’AHRIM, sont des plus catégoriques : « Maurice ne sera pas à l’abri d’attaques de requins » avec l’exploitation des Fish Farms au large, notamment le projet de Growfish International (Mauritius) Ltd. A titre d’exemple, Michel de San souligne que « lorsqu’on plonge sous les cages de la Ferme de Mahébourg, qui produit 1 000 tonnes de poisson par an, on voit une boue de déchets et de déjection. Cette matière attire de grosses bandes de carangues. Les objectifs de Growfish sont cent fois plus élevés que ceux de cette ferme ». Il ajoute que « le déversement de nourriture et la présence concentrée de ces gros poissons vont créer un stimuli pour les requins, y compris les requins bouledogues. L’actualité nous montre tous les jours que cet animal est bien présent dans nos eaux. La Réunion en a recensé entre 500 et 1 200. Ils sont mobiles et vont migrer là où il y a à manger ».
Faisant état de 217 passages de requins-bouledogues en 26 jours, soit entre huit et dix par jour, sous les cages de la ferme de Saint-Paul à l’île de La Réunion, avec une production de 30 tonnes par jour, le biologiste marin rappelle que le requin bouledogue, avec le requin-blanc et le requin tigre, sont classés comme étant dangereux pour l’homme par l’International Shark Attack File. « En plus, le requin-bouledogue aime les entrées d’eau douce avec un fort taux de production des femelles, soit une portée d’une dizaine par an », fait comprendre Michel de San, qui rappelle que cette espèce de squales est bien présente à l’embouchure de la Rivière-des-Anguilles à Souillac et à Ferney.
Plus loin, le biologiste marin reviendra à la charge en affirmant qu’« honnêtement, je ne vois pas comment on peut affirmer que Maurice sera à l’abri d’attaques de requins. Peut-être avez-vous une petite « chance », si on peut l’appeler ainsi, par rapport à la réglementation sur la pêche. La Réunion a dû gérer les lobbys écologistes, qui protégeaient les requins, et l’interdiction de pêche en raison de la ciguatera. A Maurice, il n’y a pas de tels freins et vous avez près de 20 000 pêcheurs amateurs et professionnels. Bien sûr, le requin joue un rôle essentiel dans l’écosystème des océans, et ce ne sera pas bon à terme pour l’image de l’île de les exterminer. Mais il faudra choisir La Réunion a été obligée d’en autoriser à nouveau la pêche et la consommation. »
100 000 décommandes de vacanciers à La Réunion
De son côté, l’océanographe Persand s’appesantit sur l’inefficacité des mesures de protection envisagées par les promoteurs de Growfish International (Mauritius) Ltd. « Cette entité reconnaît que les fermes vont attirer des requins, mais ne propose aucune évaluation du risque ni de mesures concrètes pour mitiger le problème », dénonce-t-il. Commentant les mesures préconisées par Growfish (Mauritius) Ltd en cas de passage de cyclones dans les parages, il trouve que « le promoteur prévoit de recouvrir les cages d’un filet et de les plonger à cinq mètres. Or, nous savons pertinemment que le problème ce sont les houles. Avec des vents de 180 kilomètres par heure, elles peuvent atteindre 12 à 14 mètres, et perturber l’eau jusqu’à une profondeur de plus de 20 mètres ». Volontiers, il citera le cas de l’épave Stella Maru à Trou-aux-Biches qui, « à 24 mètres de fond, s’est déplacée sous l’effet des forces agitant la mer ».
L’océanographe tire la sonnette d’alarme sur le danger que représente un tel volume de cobia en mer en cas de problèmes avec les cages lors des cyclones. « Growfish devra garantir qu’elle pourra plonger ses cages à plus de 30 mètres de profondeur et de montrer comment il va le faire. Si une cage est endommagée et qu’un tel volume de cobia se répand dans le lagon, ces poissons vont, d’une part, manger les espèces qui nourrissent les 20000 pêcheurs du pays et, d’autre part, perturber l’écosystème, car il ne faut pas l’oublier les cobia sont des carnassiers ».
Le principal reproche de l’AHRIM contre le projet de Growfish (Mauritius) Ltd est l’absence de réglementations strictes de la part des autorités dans la promotion d’Ocean Economy. A ce titre, le chef de mission avance qu’ « avec le tourisme, Maurice vit déjà de l’économie bleue. Posons d’abord un cadre légal et opératoire approprié pour l’aquaculture, des seuils raisonnables, si nous pensons qu’il y a une possibilité que les deux cohabitent. Si l’on préfère attendre la première attaque de requin pour le faire, c’est peine perdue. Après les deux premières attaques mortelles, La Réunion a enregistré 100 000 décommandes de vacanciers sur un an ».
Partant de ce postulat, l’AHRIM échafaude sa stratégie pour contester en appel devant l’Environment Tribunal l’EIA Licence octroyée aux promoteurs de Growfish International (Mauritius) Ltd. Néanmoins, cette association professionnelle prend le soin de mettre en exergue que « the wish to promote aquaculture as one of the growing sectors of the Mauritian economy is legitimate in view of the fact that this sector has been identified by FAO amongst the new economic sectors ». Jocelyn Kwok, le Chief Executive Officer de l’AHRIM réitère que « the prime factor in promoting aquaculture is the need for a sustainable and responsible management of aquaculture which can only be monitored under strict conditions ».
Abordant le cas spécifique de Growfish International (Mauritius) Ltd avec l’élevage de cobia au large de Bambous sur la côte ouest, sur deux sites, identifiés comme Bambous 1 et Bambous 2, l’AHRIM ne peut s’empêcher d’occulter leur importance, que ce soit sur le plan touristique ou de l’environnement marin. Dans des documents légaux pour les besoins des procédures d’appel, l’AHRIM note que la région présentée comme Bambous I comprend une forte présence de dauphins, et que ni les opérateurs de la ferme d’aquaculture ni les autorités n’en ont pas fait grand cas. « Several commercial craft operators offer the activity (dolphins viewing) to locals and tourists alike at times of sightings. This has not been mentioned in the EIA application, nor has any mention been made of a prior study of the potential conflict of interest with other users of the sea in these areas and the management of such conflicts », regrette l’AHRIM.
Toujours en ce qui concerne l’emplacement de la Fish Farm au large de Flic-en-Flac, l’AHRIM met l’accent sur le fait que Bambous 1 et Bambous 2 représentent des sites de plongée par excellence, avec leur réputation dépassant les rivages de Maurice. « Potential impacts of the aquaculture project on these highly-prized diving sites have not been taken into consideration », s’insurgent les représentants des hôtels et des restaurants.
Mais plus graves encore demeurent les répercussions de la présence de cette ferme d’aquaculture sur les activités hôtelières et touristiques, qui rythment le quotidien du village de Flic-en-Flac et de ses environs. « Bambous 2 on the other hand is basically offshore of Flic-en-Flac, one of the prime beaches in Mauritius, highly demanded by tourists. Flic-en-Flac also hosts more than 10 resort hotels and a considerable number of guest houses and tourist residences. Consequently, the level of activity in the area should have been taken into considerations in the EIA Application », poursuit l’AHRIM, qui maintient que la simple mention à l’effet que « the business would not affect the socio-economic of the area » n’est nullement suffisante.
Lors de la présentation de la ferme d’aquaculture, Growfish International (Mauritius) Ltd a fait état de la mise en opération dans les zones de Bambous 1 et de Bambous 2 de 48 cages chacune, soit de 96 cages, de 50 mètres de diamètre pour une production estimée, à terme, entre 30 000 et 40 000 tonnes de poisson par an. Les cages devront être ancrées à l’extérieur du lagon, soit à un kilomètre du littoral, à une profondeur allant de 100 mètres à plus de 300 mètres. « Le plan de Growfish International (Mauritius) Ltd est de produire du cobia (Rachcentron canadum), qui sera commercialisé, dans un premier temps, entier et congelé pour l’exportation. Il est envisagé, dans un deuxième temps, de transformer le poisson à Maurice. L’objectif de Growfish est d’atteindre une production de l’ordre de 100 000 tonnes par an d’ici huit à dix ans », révèle le Business Plan présenté.
Mitigating Measures nullement convaincantes
Sur le fond du problème du risque -requins, l’AHRIM s’appuie sur les Findings des experts internationaux, engagés dans cette étude particulière. « It is a fact that cages aquaculture farms produce the FAD-effect and thus, attract small and larger predators, including sharks, and thus larger farms on wider areas will obviously induce stronger FAD-effects », prévoient les consultants en guise de préambule. Tout en concédant qu’en l’absence de données scientifiques sur la Shark Population Dynamicà Maurice, le constat dressé à la Réunion peut s’avérer être utile, notamment « the recent observation of the bull dog shark in La Réunion confirms the importance of their population on the West coast, that they have an aggressive behaviour, confirmed by numerous deadly attacks, and they have a mobility up to hundred kilometres ».
Avec des fermes d’aquaculture assurant une production de quelque 40 000 tonnes de poisson par an, le risque-requin ne fait que s’accroître. « An increase risk presence of sharks and other predators on the Mauritian coast is bound to have a deterrent effect on tourism in view of the marketing of Mauritius in terms of sea-based leasure activities, and as a shark-free destination ». Tenant en ligne de compte que les Mitigating Measuresenvisagées par les promoteurs ne sont nullement convaincantes et que les conditions attachées à l’EIA Licence par les autorités sont loin de rassurer contre des risques d’attaques de requins dans les zones de Bambous 1 et de Bambous 2 et des environs et surtout que « Growfish International (Mauritius) Ltd gave a false undertaking that the project would be a Zero Risk project », l’AHRIM demande au tribunal de rendre caduque la licence émise en octobre dernier pour ce projet de Fish Farming sur la côte Ouest. « Should the farming project be implemented, increased sharks circulation and presence in our seas will have an extremely damaging effect on our inbound tourism », indique l’AHRIM.
Les autres raisons avancées pour bloquer le démarrage de cette ferme d’aquaculture concernent l’absence de transparence au sujet de la viabilité du projet vu que les promoteurs n’ont pas fait la démonstration comment ils vont atteindre une production de 100 000 tonnes de poisson sur une période de huit à dix ans et que le projet est vague quant au nombre d’emplois à être créés directement ou indirectement de l’impact du « wave climate and the sea conditions » en l’absence de toute étude scientifique sur les mouvements de marées en cas de cyclones ou autres houles dans cette région ou de plan d’urgence « in the event of escape of fish from the farms » et des répercussions sur l’environnement, notamment avec un Monitoring systématique de la qualité de l’eau et de l’écosystème marin avec les déchets rejetés en mer par les opérations de la ferme.
L’AHRIM pointe également du doigt le manque de consultations avec les Stakeholders, qu’ils soient des membres de la communauté des pêcheurs de la côte Ouest et autres Coastal Users. Seuls six pêcheurs ont été entendus à ce sujet.
En guise de flèche du Parthe, l’AHRIM évoque un possible cas de conflit d’intérêts lors de l’attribution de l’EIA Licence à Growfish International (Mauritius) Ltd. Ce cas n’est pas lié au fait que l’un des promoteurs de ce projet d’aquaculture est un proche du ministre Koonjoo. La preuve de ce cas de conflit d’intérêts est indélébile. L’existence d’un Memorandum of Understanding signé avec le ministère de l’Ocean Economy fait que l’Albion Fisheries Research Centre sera engagé dans le projet de Growfish International (Mauritius) Ltd « through the supply of fingerlings and a number of key aspects in the proposed operations of the farms ».
Au terme de ce MOU, le centre de recherches d’Albion accueillera « the land-based undertaking of the project, i.e.th hatchery and nursery » de la ferme d’aquaculture de Growfish International (Mauritius) Ltd. Avec la confirmation de ces derniers détails, l’AHRIM n’écarte pas la possibilité que « the Albion Fisheries Research Centre, and by extension the line Ministry, will have to confront a serious case of conflict of interests ». Vu que le ministère de l’Ocean Economy fait partie de l’EIA Committee, qui a traité de la demande de l’EIA Licence, ce même ministère devra assurer le « monitoring » du projet et que le centre de recherches d’Albion est sous la tutelle de ce ministère, l’AHRIM arrive à la conclusion que « the decision to grant the EIA Licence is tainted by a conflict of interests and/or lack of independence. Appel de l’AHRIM devant l’Environment Tribunal, qui devra encore faire des vagues.
Anil Gayan s’aventure à la Fish Farm de Grand-Gaube
Le risque requins avec l’exploitation des Fish Farms fait bouger le ministre du Tourisme, Anil Gayan. Face au risque potentiel que représentent les fermes d’aquaculture pour l’industrie touristique avec quelque 4 210 permis d’opération, dont 120 pour des établissements hôteliers, 961 Tourist Residences et 231 Guest Houses, émis par la Tourism Authority et quelque 100 000 emplois directs et indirects, le ministre a préféré se démarquer de son collègue de l’Ocean Economy, Prem Koonjoo. Anil Gayan prévoit une sortie en mer, demain, pour un constat de visu de la situation à la Fish Farm de Grand-Gaube. L’alerte avait déjà été donnée sur la présence de requins, et surtout de requins-bouledogues, dans les parages.
Accompagné de représentants de l’industrie touristique, dont ceux de l’Association des Hôteliers et Restauraturs de l’Ile Maurice (AHRIM), et des techniciens du ministère de l’Ocean Economy, le ministre du Tourisme s’aventurera sur la ferme d’aquaculture de Grand-Gaube pour être à l’écoute des appréhensions des uns et de l’assurance des autres. Avec la récente décision du gouvernement de commanditer une étude scientifique sur le phénomène des requins, l’on peut comprendre qu’un changement d’attitude s’est opéré.
Du moins comparativement à la prise de position du ministre Koonjoo le 28 novembre de l’année dernière à l’Assemblée nationale. Répondant à une interpellation parlementaire d’Ezra Jhuboo sur le projet de Growfish International (Mauritius) Ltd, il avait défendu bec et ongles ce projet.« Following clarifications sought by the representatives of AHRIM, the representatives of Growfish International (Mauritius) Ltd confirmed that it was not going ahead with the development of the site at Le Morne. It will develop only at sites Bambous 1 and Bambous 2. The sites chosen by Grow fish International (Mauritius) Ltd at Bambous are in depths of more than 400 metres and are located at 1.8 kms from the coast outside the lagoon. There is no tourism related activity in this specific part of the ocean and the region which is situated outside the lagoon », devait-il fair ressortir.
Acculé au sujet du risque requins, Prem Koonjoo devait se prévaloir d’un Denial Mode. « There is no proof in Mauritius as far as I know that there has been any attack of sharks in the lagoon, especially in the lagoon », devait-il faire ressortir avant d’ajouter que « this is only a rumour and we are taking all the precautions because we mean business and we don’t want any person, especially the people working in the tourism sector to be afraid of sharks. We never had after independence a single attack of sharks in Mauritius ».