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Le handicap dans la pub – Invisible !

Alors que nous vivons dans une ère de grande consommation, la publicité commerciale n’est toujours pas le reflet de notre environnement sociétal. Les figurants en situation de handicap visible n’ont pas encore leur place dans les stratégies marketing des marques locales. On ne parle pas ici de communication d’entreprise. Pourtant, les personnes avec une déficience visible ou invisible sont des consommateurs de produits du quotidien. Pour repenser une publicité inclusive, l’engagement sincère des marques est indispensable pour que les figurants soient perçus comme des citoyens à part entière.

« Comme n’importe quelle personne dite normale, je fais le ménage chez moi, donc j’achète des produits nettoyants. Tout comme j’achète des produits alimentaires et de consommation divers. Et comme n’importe quel consommateur, je regarde des annonces publicitaires. Pourquoi, donc, une personne qui est en situation de handicap visible, comme moi, ne pourrait pas être dans une création publicitaire ? » Cette remarque est de Jaïquelle Emilien, 26 ans, femme de petite taille. Elle mesure 1m40. À Maurice, le handicap n’est pas présent dans la publicité commerciale. Si d’aucuns ripostent en citant la handisportive Noemie Alphonse associée à une citadine japonaise, le contexte est différent. Il y a quatre ans, la jeune championne s’est vue remettre les clés d’une voiture dont la marque est représentée par son sponsor. Il s’agissait là plus d’un partenariat entre deux parties, même si le concessionnaire avait trouvé en l’athlète une ambassadrice emblématique pour son produit.

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« Est-ce qu’elle ne se maquille pas ? »

Une campagne publicitaire commerciale où  des personnes en situation de handicap visible participent comme n’importe quel influenceur(e) ou autre personne serait un pas significatif vers leur inclusion socio-économique. Malgré des progrès pour faciliter l’accès des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, à l’école et dans les espaces publics, il est évident qu’il y a encore des efforts à faire en matière d’inclusion, notamment dans la sphère de la consommation. Pour sa part, Helene de Cazanove, présidente de Women with Disabilities ne cache pas son indignation. Elle même en situation de handicap, elle parle de la marginalisation des femmes concernées par des marques commerciales. Les femmes en situation de handicap, laisse-t-elle comprendre, sont en quête d’identification quand il s’agit de produits du quotidien. « Elles devraient être sur des panneaux publicitaires. Est-ce que la femme en situation de handicap ne porte pas de serviette hygiénique? Est-ce qu’elle n’allaite pas son enfant comme n’importe quelle femme? Est-ce qu’elle ne se maquille pas? », se demande Helene de Cazanove. Quant à la représentation des Mauriciennes portant un handicap ou atypiques sur les plateformes publicitaires dans les médias sociaux, rappelle cette dernière, elle est inexistante. Pire, scande-t-elle, à la veille de la Journée internationale des femmes, « la femme en situation de handicap est exclue, comme chaque année, des campagnes de sensibilisation. J’ai l’impression qu’elle est genderless! »

Sensibiliser avant…

Les chiffres de Statistics Mauritius indiquent qu’il y a près de 34,000 personnes (qui touchent la pension d’invalidité) en situation de handicap à Maurice. Mais la population concernée, avance Armoogum Parsuramen de la Global Rainbow Foundation, est plus nombreuse, incluant le handicap invisible. L’inclusion des personnes ayant une déficience physique dans les campagnes commerciales ne peut se faire du jour au lendemain, indique-t-il. S’il est plus courant de les voir sur des affiches conventionnelles de sensibilisation, un saut en dehors des clichés demande une préparation au préalable, explique-t-il. L’image ayant un pouvoir incommensurable, inclure des personnes en situation de handicap visible dans des spots commerciaux reviendrait à rendre visible leur déficience. L’expertise des communicants entre ici en jeu.

Médiatiser pour faire entrer dans la norme

Les agences spécialisées en communication sont en mesure de faire en sorte que la représentation des handicaps divers entre dans la norme. Aisha Mosaheb Allee, fondatrice de Blast BWC, évoque la récente démarche de son agence pour aider un jeune homme, Valentin Halbwachs, atteint d’amyotrophie spinale, à médiatiser son projet d’entreprise sociale et solidaire, Otrement Kapab. « Nous l’avons aidé non seulement pour faire connaître sa maladie, mais aussi pour qu’il devienne une source d’inspiration, car c’est un jeune homme doté d’une détermination extraordinaire », dit Aisha Mosaheb Allee. À l’heure où de nombreuses marques locales s’engagent sur des grands sujets de préoccupation sociaux et environnementaux et s’associent à des organisations militant pour les droits humains, leur stratégie marketing pour leurs produits n’inclue, toutefois, pas les personnes ayant une déficience visible.

« Le public ne sera pas choqué »

Et quid de publicités commerciales ciblant des personnes en situation de handicap ? Elles doivent évoluer, il n’est pas question de rester dans un schéma de compassion. En tout cas, c’est ce que souhaite Jaïquelle Emilien. « Je voudrais voir des pubs de vêtements pour des personnes de petite taille. Ainsi, je saurais où trouver des vêtements pour m’habiller ! Quand je vois des vêtements qui me plaisent, lorsque je me rends au magasin pour m’en acheter, il y a toujours une possibilité que je n’en trouve pas ! « , confie la jeune femme. Quant au public, avance-t-elle avec conviction, « il a évolué, il ne sera pas choqué de voir une publicité avec des figurants en situation de handicap. » 

Aisha Mosaheb Allee, ACAM : « Nous avons notre part à faire pour apporter le changement »

« Les marques ne jouent pas toujours le jeu… »

Aisha Mosaheb Allee, présidente de l’Association of Communication Agencies of Mauritius (ACAM), également fondatrice et CEO de Blast BCW, se prononce en faveur de la visibilité des personnes en situation de handicap dans la publicité commerciale ainsi que dans des campagnes de communication. Mais pour combler l’absence de figurants avec un handicap visible dans les espaces publicitaires, dit-elle, il faudra passer par la case de sensibilisation, dont celle des annonceurs. Aisha Mosaheb Allee reconnaît que les prestataires de communication ont aussi un rôle à jouer pour l’intégration des personnes portant un handicap visible dans les publicités.

 

Pourquoi est-ce qu’on ne voit pas de figurants en situation de handicap dans des publicités commerciales à Maurice?

Effectivement, les personnes en situation de handicap ne sont pas assez représentées dans la communication. Ce n’est pas un phénomène mauricien, mais mondial. Aux USA, par exemple, 26% des Américains vivent en situation de handicap, mais ils ne sont représentés qu’à 1%  dans les publicités à la télévision, en prime time. Ce qui est une aberration car la communication étant le reflet de la société, tel n’est pas le cas dans un des plus grands pays au monde. La même chose se passe à Maurice. Néanmoins, beaucoup de chemin a été fait par rapport à la visibilité des personnes en situation de handicap. Il faut normaliser la vie de ces personnes. Évidemment, elles ont des challenges que d’autres personnes n’ont pas, mais je ne voudrais pas qu’on projette une image misérabiliste d’elles. Il faut un autre discours et il y a lieu de sensibiliser le monde de la communication à ce sujet.

Beaucoup de handicaps ne sont pas visibles et aujourd’hui, des personnes qui en sont porteuses sont certainement représentées sur des billboards ou ailleurs sur d’autres supports. Il y a aussi un fait : bien souvent, le client est roi. C’est celui-ci qui aura la décision finale, malgré toutes les requêtes des agences de pub. Autre aspect à considérer : les marques ne jouent pas toujours le jeu. Et bien que conseillers, nous n’arrivons pas à les convaincre. D’autre part, je ne vais pas me défiler, je dois reconnaître que, parfois, des agences de communication optent pour la facilité. Aussi, il ne faut pas oublier que, très souvent, des personnes en situation de handicap ne veulent pas se mettre en avant. Pour cause, elles ont été tellement stigmatisées. Il faut respecter leur discrétion. Il faudra de plus en plus positionner des personnes comme l’athlète handisport Noémie Alphonse, qui est devenue un role model. Il y a des personnes qui ont de histoires extraordinaires à raconter. Et dans la communication, cette diversité fera aussi du bien.

Est-ce que le handicap dans la pub a déjà été soulevée par l’association des agences de communication ?

Au sein de l’association, non. Pas depuis ma mandature. C’est un sujet que j’aimerais porter à la table de discussion. Cela dit, nous parlons beaucoup de diversité. Les gens du monde créatif ont toujours été des précurseurs dans le combat pour les droits, la diversité dans les conseils d’administration… Il est probable que ceux en situation de handicap ont été englobés sous l’ombrelle de la diversité. Toutes les études qui ont été faites démontrent qu’un pays ou un conseil d’administration, une société, qui promeut la diversité enrichit sa culture et son output créatif. Chaque agence promeut la diversité à sa manière. Aujourd’hui, il y a matière à utiliser pour sensibiliser les agences et le public en général sur la place des personnes en situation de handicap. Dès fois, les mots qui sont utilisés vis-à-vis d’elles sont très réducteurs, voire péjoratifs. Donc, les campagnes qui les valorisent sont pertinentes.

Vous qui connaissez le public consommateur de publicité, comment réagirait-il, selon vous, face à un figurant avec un handicap dans un spot publicitaire commercial ?

C’est là où les agences de communication ont un rôle important à jouer. Si le narratif et le visuel sont bien faits et bien construits, le message changera, peut-être, alors les normes sociétales. La communication est une arme très puissante. Si elle est utilisée à bon escient, elle peut changer la façon dont la société voit les personnes en situation de handicap. Pour justifier ce que je viens de dire, prenons un exemple. À l’époque, on craignait de mettre certains figurants sur telle ou telle marque parce qu’on croyait que celle-ci s’adressait à des personnes qui répondaient à des critères socio-économiques, de genre, etc. Mais combien de fois la publicité n’a-t-elle pas bousculé les normes ? C’est à nous de faire accepter ces messages. Pas en one shot. Dans les années 2000, quand on parlait de changement climatique, il y avait des sceptiques. Mais à force d’avoir persisté et communiqué, le public a fini par comprendre que les trombes d’eau que nous recevons à Maurice ne sont pas dues au hasard. D’autre part, la communication demande aussi beaucoup de bravoure. Nous, agences de communication, avons aussi notre part à faire pour apporter le changement qui fera de la place à la visibilité des personnes en situation de handicap.

Pensez-vous que les marques de consommation sont prêtes à être promues par des personnes en situation de handicap ?

Je le souhaite vivement, d’autant que je crois que les marques sont disposées et ouvertes à cela. Les clients sont très éduqués, mais c’est aussi à nous de les sensibiliser. Aujourd’hui, il n’y a pas une marque qui ne ferait pas attention à son image, y compris sur les réseaux sociaux. Il y a, certes, plus de sensibilisation au niveau international. Mais je crois qu’il faut que nous soyons une force de proposition.

Mais il peut y avoir le risque que la figuration de personnes avec un handicap dans la publicité commerciale devienne une tendance, non ?

Je crois dans la communication authentique. Si une marque n’y croit pas, il ne faut pas qu’elle s’y engage. Il est ici question de respect et de comment on montre la personne en situation de handicap. Cela dit, je suis contre le pity narratives of charity, mais pour une communication authentique. Pour toute marque ou organisation qui se veut responsable, la promotion de l’inclusion et la diversité priment sur l’apitoiement. Je suis d’accord à dire qu’on est là pour vendre un produit, certes, mais nous sommes aussi là pour la valorisation de l’humain. Je crois plus dans une campagne qui ferait que des personnes en situation de handicap viendraient d’elles-mêmes dans des agences et seraient disposées à être formées, car si demain on lance un projet, trouver des figurants pour être sur des billboards ne sera pas si facile que cela ! Mais il faudra bien commencer quelque part…

Y a-t-il une demande d’entreprises pour mettre en avant leurs employés en situation de handicap, dans une démarche de valorisation, dans leur campagne de visibilité ?

Il y en a beaucoup. Les grands groupes ont pris conscience de la valorisation de la diversité. D’ailleurs, les talents sont tellement rares que les entreprises sont prêtes à tout pour valoriser leurs équipes en interne. J’ai eu la chance de travailler avec des organisations qui croient dans la diversité et qui ont tout fait pour mettre celle-ci en valeur. Je pense particulièrement à un chef d’entreprise qui a fait preuve de bravoure au travers d’une étude sur l’inclusion dans sa compagnie. L’initiative est en elle-même un message fort.

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