…avec le leitmotiv de « rendre la justice plus accessible aux justiciables, une justice plus proche des citoyens »
Voilà cinq semaines que Me Gavin Glover, Senior Counsel, a été nommé Attorney General par le nouveau Premier ministre, Navin Ramgoolam, après l’écrasante victoire de l’Alliance du Changement aux élections générales le 10 novembre dernier. Si elle n’a pas été une déflagration, la nomination de cette figure de proue du barreau mauricien a été bien accueillie par ses pairs, le judiciaire et les justiciables en général ,car elle porte en elle les espoirs et les attentes de tout un peuple pour un système judiciaire plus juste. Même s’il est conscient qu’avec cette nomination il a perdu un peu de liberté — ne pouvant plus s’exprimer de la même façon que le Gavin Glover libre, qui donnait humblement son avis éclairé sur des sujets d’actualité chaque fois qu’il était sollicité par les médias —, il sait qu’il en a gagné une autre : celle de changer un peu le cours des choses et de donner une dimension autre que politique au bureau de l’Attorney General qui trancherait avec ses prédécesseurs Maneesh Gobin et Ravi Yerrigadoo. Ci-dessous un survol des grands chantiers qui l’attendent.
Moderniser les infrastructures
Fort de ses quarante ans de pratique et des appearances dans toutes les cours de justice de l’île, le nouvel Attorney General sait mieux que quiconque que les infrastructures des subordinate courts (Cours de district, Cour industrielle, Bail & Remand Court, Cour intermédiaire) sont à bout de souffle. Lui-même, alors avocat de Navin Ramgoolam, avait demandé et obtenu un renvoi devant la Financial Crimes Division de la Cour intermédiaire en novembre 2023 parce que, avait-il plaidé, son client, ne pourrait supporter la chaleur estivale dans une salle non-climatisée en raison de sa santé précaire !
Dépendant du budget qui lui sera allouée, un relifting des cours de justice est plus que nécessaire, alors qu’il faudra trouver un nouveau local pour la cour de district de Rivière du Rempart, dont le siège, qui se trouve à Mapou, est dans un état délabré. Cette cour siège actuellement à la cour de district de Pamplemousses, qui est elle-même une juridiction à part entière. Au-delà de la cacophonie administrative que cette situation occasionne, elle est aussi contraire, comme l’a récemment rappelé un praticien, aux dispositions de la Courts Act. À la Cour suprême, même si le bâtiment est flambant neuf, il est dépourvu d’escaliers, d’où les queues interminables qui se forment chaque matin, surtout quand les ascenseurs tombent en panne et/ou sont congestionnés.
Recruter plus d’auxiliaires de justice….
Casamayor, que le nouvel Attorney General a sans doute lu durant sa longue carrière d’avocat, a écrit que la justice est une erreur millénaire qui voulait qu’on ait attribué à une administration le nom d’une vertu. Ce qui sous-entend que la justice, comme toute administration, a ses qualités, mais aussi ses défauts. Elle peut donc être améliorée, et cela passe par plus de moyens et le recrutement de plus de personnel. Le manque d’auxiliaires de justice dans les différentes cours à travers le pays impacte sérieusement sur la bonne administration de la justice.
Il y a actuellement un besoin urgent de Court Officers, surtout dans les cours de district. Ces derniers demandent aussi à ce que leur grille de salaires soit revue car, actuellement, disent-ils, ils débutent avec le même salaire qu’un Management Support Officer (MSO), alors que leur charge de travail est plus conséquente. D’où la démotivation et la frustration qui prennent le dessus dans bien des cas.
… mais aussi de juges et de magistrats
Si le personnel des cours de justice croule sous la charge de travail, les juges et les magistrats croulent sous les dossiers. « Actuellement, il faut cinq juges supplémentaires à la Cour suprême », observe un homme de loi. Avec la spécialisation (Family Division, Commercial Division, Mediation Division, Land Division), il y a un manque de juges dans ce qui est communément appelé le main pool pour s’occuper d’autres affaires qui deviennent de plus en plus complexes. Il en va de même au niveau de la magistrature. « Là-bas, la situation est encore plus chaotique. Un magistrat peut se retrouver à faire que des contraventions en une demi-journée », confie un Court Officer sous le couvert de l’anonymat. « Sans compter qu’il faut qu’il s’occupe de tout le côté administratif de la cour dont il a la responsabilité. Non seulement le salaire est dérisoire, mais la charge de travail qui pèse sur les épaules d’un magistrat est démentielle. »
Pas étonnant que certains ont préféré démissionner. Ces abandons de postes, peu importent les raisons, affectent grandement l’administration de la justice dans une juridiction aux ressources limitées. Non seulement faut-il recruter, mais aussi savoir les retenir et empêcher ce début d’exode qui commence à prendre corps tant à la magistrature qu’au Parquet. À noter que le Judicial and Legal Service Commission (JLSC) vient de procéder au recrutement de quarante State Counsel (voir plus loin).
Création d’une cour d’appel et d’une cour constitutionnelle
Le nouvel Attorney General l’a dit lui-même : il veut créer une Cour d’appel qui serait séparée de la Cour suprême comme recommandé par Lord Mackay dans son rapport qui date de plus d’une vingtaine d’années et une Cour constitutionnelle où des juges y siégeront en permanence. Dans le set up actuel, c’est le même juge qui siège en Cour suprême qui siège en appel tantôt aux côtés d’un autre confrère, tantôt aux côtés de la cheffe juge et/ou de la Senior Puisne Judge. Or, Mackay recommande une Cour d’appel totalement affranchie de la Cour suprême avec des juges dédiés entièrement aux appels. Beaucoup militent pour que la Cour d’appel et la Cour constitutionnelle qui, comme son nom l’indique, traitera toute question constitutionnelle, dont des pétitions électorales, siègent dans le bâtiment colonial de l’ancienne Cour suprême, rue Jules Kœnig, Port-Louis.
Élimination des délais
« Justice delayed is justice denied », est une phrase que connaissent par cœur les professionnels du droit. Malheureusement, les délais, pour diverses raisons, sont devenus pathologiques dans notre système de justice et les causes sont nombreuses. « C’est inacceptable qu’une affaire traîne à longueur d’année devant une cour. On pourra faire le meilleur Case Management que l’on voudra, mais les renvois de procès, pour diverses raisons, restent inhérents de notre système. Certains avocats en abusent », s’indigne un habitué des cours de justice. Plusieurs jugements du Privy Council ont touché du doigt ce problème (Darmalingum (2000), Prakash Boolell (2006), Céline (2013), mais il reste entier et jusqu’à maintenant aucune solution n’a été trouvé pour les éliminer si ce n’est que priorité est donnée aux affaires où la liberté d’un individu est en jeu.
Police and Criminal Evidence Act (PACE)
C’est sans doute la législation la plus attendue des pénalistes et défenseurs des droits humains. Le Police and Criminal Evidence Act (PACE), calqué sur le modèle anglais, changera fondamentalement la façon dont les enquêtes sont menées par la police. Il est attendu que PACE codifiera le droit commun de sorte que toute personne suspectée d’un délit et qui est arrêtée connaisse ses droits, la police ses pouvoirs et la poursuite, ce qui est légal ou pas. En somme, PACE aidera, dans une large mesure, à mettre fin à l’arbitraire et à éliminer les failles lors des enquêtes de police. Elle rendra aussi caduques les règles, ringardes, qui datent de plus d’un demi-siècle en matière de preuve.
Renforcer l’indépendance du DPP
Le nouvel Attorney General l’a dit : il n’a nullement l’intention d’interférer dans les affaires du DPP et de la police. On se souvient que le bureau que dirige Rashid Ahmine a été sous constante pression sous le règne du MSM, qui voulait mettre cette importante institution du pays au pas. Non seulement faut-il laisser travailler librement le DPP, mais il faut renforcer son indépendance, comme l’a dit le vice-Premier ministre, Paul Bérenger. Un amendement à la section 72 de la Constitution est donc nécessaire. Par ailleurs, avec le changement de régime, le nouvel Attorney General est attendu en Cour suprême ce mois-ci pour donner son stand dans l’affaire qui oppose le commissaire de police au DPP.
La formation des avocats, avoués et notaires
À défaut de tout révolutionner, il faut repenser la formation des avocats, avoués et notaires avec des idées nouvelles et un regard contemporain sur ces trois branches du droit. « La réforme de 2011 ne répond plus aux besoins du monde actuel. Un avocat et un avoué ne peut pas prendre part aux mêmes examens. C’est une hérésie », fustige un professionnel. Il préconise une refonte totale de la formation des professionnels du droit à Maurice. « Pour la filière avocat par exemple, il faut plus de séances pratiques à l’oral qui mettent le futur avocat en situation : interroger et contre-interroger un témoin, faire une plaidoirie, s’adresser à un jury, faire des motions, etc. Bref, tout ce qu’il fera une fois qu’il sera admis au barreau. Pour les avoués, l’accent doit être mis sur tout ce qui est rédaction des documents légaux et la procédure. Ne dit-on pas que la parole est à l’avocat, la plume à l’avoué ? La formation, telle qu’elle est actuellement, n’aide pas le futur avocat, avoué ou notaire à affronter le monde réel. La réforme dans ce secteur est une urgence », plaide notre interlocuteur.
En sus des grands chantiers énumérés plus haut, le nouvel Attorney General a aussi l’intention d’abolir les trade fees que doivent payer les avocats chaque année — « We shall no longer be defined as traders nor be made to pay a licence fee to practice law », a-t-il assuré aux avocats lors de la conférence de la Mauritius Bar Association à Balaclava fin novembre dernier dans ce qui constituait sa première fonction en tant qu’Attorney General. Il veut aussi rendre la justice plus accessible aux justiciables, les aider à la comprendre et à l’appréhender dans sa complexité, car « for too long, the system has been perceived as slow, intimidating and out of reach for outsiders. »
Une justice plus accessible aux justiciables
Ancien lauréat, Gavin Glover sait pertinemment qu’il n’est pas un homme politique. Il vient de la société civile et en tant quel tel, il aura à faire face à des réticences, aux forces occultes du système et aux lois de la pesanteur politique. Il en est conscient. « Change will not happen overnight. The system we serve is intricate and deeply entrenched. Every reform will require patience and, at times, courage. Make no mistake. I am prepared to face resistance wherever and whenever it arises », a-t-il déclaré avec confiance.
Comme il l’a fait comprendre dans ses premières prises de parole en tant qu’Attorney General, Gavin Glover aurait pu rester dans le confort de son bureau au River Court et attendre tranquillement l’heure de la retraite. Lui qui n’a pas la prétention de connaître la justice comme un technocrate, mais qui au cours de sa longue et riche carrière l’a connue humainement, intimement et charnellement, qui a vu le meilleur et le pire, touché du doigt le chagrin de victimes dévastés, le désespoir d’hommes injustement condamnés, a décidé de s’engager pour améliorer la justice à Maurice. Il sait qu’il ne pourra venir avec une hache et tout casser, virer tout ce qui a été fait. Il veut garder le meilleur et changer le pire. In fine, il veut surtout avancer sur un projet qui lui tient à cœur : rendre la justice plus accessible aux justiciables, une justice plus proche des citoyens.
Lors de son allocution aux membres du barreau en novembre dernier, Gavin Glover a tenu à adresser un message bienveillant à toute la famille du judiciaire : « You will all be heard », a-t-il promis. Ce qui laisse sous-entendre qu’il sera un Attorney General de dialogue et accepterait le contradictoire dont lui-même en est friand et un grand défenseur.
Même si ses détracteurs diront que quand il était avocat on ne voyait que lui et que maintenant, en le voyant assis derrière Navin Ramgoolam à l’Assemblée nationale on a presque l’impression qu’il aurait envie de se cacher dans un petit trou, Gavin Glover sait que dans son nouveau rôle, il est tenu à un devoir de réserve et à une responsabilité collégiale, étant membre du Cabinet. C’est à travers ses accomplissements qu’on pourra le juger. À lui de se hisser à la hauteur des attentes qu’a suscitées sa nomination.
Le cri du cœur d’aspirants juristes
Derrière leur désemparement se cache une détermination inébranlable, celle de se surpasser et de réussir. Ils aspirent à pratiquer le droit un jour et la difficulté des examens ne les rebute pas, même s’ils doivent faire d’énormes sacrifices et se battre. Eux, ce sont des aspirants avocats, avoués et notaires qui nous ont approchés pour exprimer leur déception de ne pouvoir prendre part aux prochains examens du barreau. La raison : un écueil administratif. Ils ont, disent-ils, dépassé le nombre de tentatives autorisées à ces examens qui sont au nombre de six et ne savent plus à quel saint se vouer. Ces étudiants disent avoir écrit au Council for Vocational Legal Education (CVLE) pour demander qu’ils soient exceptionnellement autorisés à prendre part aux examens, surtout ceux qui ne sont pas passés loin à leur dernière tentative, mais ont reçu une fin de non-recevoir à leur demande.
Ces étudiants déclarent avoir parcouru la Law Practitioners Act et les Regulations faites par les différents Attorney Generals sous cette loi et disent n’avoir trouvé aucune provision qui pose comme condition qu’un étudiant ne doit pas avoir dépassé six tentatives pour être éligible à prendre part aux examens du barreau. « La seule fois où référence est faite à cette ‘condition’ est au paragraphe 8 d’un document intitulé Instructions to barristers and attorneys que le CVLE distribue aux étudiants chaque année au moment de l’enregistrement pour les examens. Est-ce que ce document a force de loi ? » se demande ce groupe d’étudiants.
« À supposer que cette condition est on our Statute Book, ne serait-il pas approprié pour le CVLE, dans sa sagesse, de traiter les demandes au cas par cas ? On peut comprendre qu’un étudiant qui a échoué dans toutes les six matières ne peut s’attendre qu’une telle demande soit entretenue, mais pour ceux qui ont échoué dans une seule matière et qui ont obtenu un aggregate global de ‘C’, le CVLE peut faire preuve d’indulgence et de compassion », poursuivent-ils. Ils en appellent au Chairman du CVLE, le juge Nicolas Ohsan-Bellepeau, « un juge sévère mais juste et qui a démontré plus d’une fois son humanisme et son sens de l’écoute » et au nouvel Attorney General afin qu’ils puissent prendre part aux prochains examens.
« Le système doit valoriser l’effort, la volonté, la persévérance, la patience et l’envie de réussir. Beaucoup ont préféré jeter les armes et sont allés faire le barreau ailleurs, alors que d’autres n’y ont même pas osé s’aventurer sous prétexte que les examens à Maurice sont trop difficiles et le système trop opaque. Au moins nous avons le mérite de toujours croire au système et qu’on peut réussir à force de dur labeur et de persévérance. Tout le monde n’a pas les moyens pour aller faire le barreau en Angleterre ou ailleurs. Tout ce qu’on demande c’est de pouvoir prendre part aux examens dans la filière qu’on souhaite faire carrière. » Gageons que leur cri du cœur sera entendu par les parties interpellées.
Nouvelles recrues : 40 State Counsel en poste depuis vendredi
Ils sont quarante avocats qui ont rejoint le service public depuis le vendredi 3 janvier. Plus connu comme State Counsel, certains ont été déployés au bureau de l’Attorney General, tandis que d’autres au bureau du Directeur des Poursuites publiques. Plus d’une centaine d’hommes de loi ayant au moins deux ans de pratique au barreau et n’ayant pas encore atteint l’âge de 45 ans avaient postulé pour le poste de State Counsel et les heureux élus ont reçu leur appointment letter de la JLSC en décembre dernier. Parmi on retrouve Me Imaan Bundhun-Puddoo, la fille de Me Narghis Bundhun, SC, qui quitte les Moollan Chambers pour tenter une nouvelle aventure. Ces nouvelles recrues allégeront quelque peu la pression sur les deux bureaux précités qui, depuis quelque temps, sont asphyxiés par un manque de bras, surtout au bureau du DPP, alors qu’à la magistrature on attend avec impatience le recrutement de nouveaux magistrats.