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Journée Internationale contre l’abus et le trafic illicite de drogues – Éric, en réhabilitation : La méthadone m’a remis sur les rails…”

Éric, 54 ans et vivant avec le VIH, fait partie des quelque 7,800 bénéficiaires du programme de la méthadone, traitement de substitution aux opiacés. Après une vingtaine d’années d’addiction à l’héroïne, il a retrouvé, dit-il, un équilibre de vie et renoué avec sa famille qu’il a beaucoup fait souffrir, grâce à l’accès à la méthadone. Devenu, depuis, pair éducateur auprès des usagers de drogues, il n’en serait, sans doute, pas là si, au lieu d’être soutenu, Éric avait été puni par des actions répressives et stigmatisantes. À la veille de  la Journée Internationale contre l’abus et le trafic illicite de drogues, l’organisation PILS, dans son plaidoyer (voir plus loin) réaffirme avec force que Maurice doit “soutenir, pa pini”, parce que “nou imin avan tou.”

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“La méthadone m’a remis sur les rails”, dit Éric (nom modifié). Le regard franc, c’est sans détour que l’homme, vivant avec le VIH, affirme qu’il doit sa nouvelle vie et son indépendance de l’héroïne à la méthadone. À 54 ans, l’homme est bénéficiaire du traitement de substitution aux opiacés depuis 2011. La volonté de se détacher de l’héroïne, il n’en avait pas. Même les yeux meurtris de sa mère et sa douleur viscérale – que seule une femme qui a enfanté peut ressentir devant ce fils ingrat qu’il était devenu – n’avaient pu le libérer de la drogue. La méthadone, elle, a réussi à l’éloigner de l’héroïne.

Volonté

Mais il ne faut pas croire que la première prise de la méthadone a eu un effet magique, que peu après Éric s’est défait de la drogue, que tout est rentré dans l’ordre et qu’il est devenu un autre homme. Sans la volonté et la patience de la personne dépendante de drogues, sans la bienveillance du personnel de santé et l’accompagnement des éducateurs, la prise de la méthadone n’aboutira pas au résultat escompté. 12 ans après avoir commencé le programme de substitution, Éric confie ne pas envisager les prochaines années sans la méthadone. Cependant, c’est avec fermeté qu’il demande à la Harm Reduction Unit et aux autorités de la Santé de revoir le protocole de distribution de la méthadone ainsi que le dosage prescrit aux nouveaux bénéficiaires ayant une longue historique en addiction. Pair éducateur au sein d’une organisation non gouvernementale (ONG) qui lui a donné l’opportunité de se remettre en selle, Éric est un travailleur de terrain. “Je dis ce que je vois”, avance-t-il.

“J’ai demandé
pardon à ma mère”

Mercredi dernier, à la demande d’un usager de drogue, il a accompagné celui-ci dans un centre de réhabilitation résidentiel en vue d’adhérer au programme de la méthadone. “La veille, il s’était drogué pendant pratiquement une journée! Mais cela faisait un certain temps depuis qu’il réclamait de l’aide pour se libérer de l’emprise de la drogue. Il devait commencer le traitement de substitution. Je l’ai accompagné dans ce centre résidentiel. Ce matin (ndlr : jeudi), le personnel de l’établissement m’a appelé. Cet homme réclamait, sa sortie, à cor et à cri. J’ai appris qu’on lui avait prescrit 2.5mg de méthadone. C’est un dosage qui n’a aucun effet sur une personne comptant 25 ans d’addiction. Je n’ai jamais compris pourquoi les autorités ne veulent pas revoir leur protocole!  Enn dimounn ki ena 26 ans toksikomani ek enn dimounn ki ena 6 ans pa kapav donn zot mem tretman sa! Le protocole de traitement implique, certes, une  révision du dosage, mais chaque personne est différente. Cet homme était gravement en manque et il a préféré partir pour se procurer de la drogue. J’étais profondément attristé par cette situation, non seulement pour lui, mais pour sa famille. J’imagine toute sa détresse quand elle l’a vu revenir à la maison”, raconte Éric. La souffrance dans l’entourage d’un toxicomane est permanente. “Quand j’ai entamé le processus de réhabilitation, j’ai demandé pardon à ma mère avec qui je vivais et mes sœurs. C’est une étape importante pour avancer”, dit-il.

“Ena zour li bon…”

Tous les matins, à six heures, Éric est présent devant l’enceinte du poste de police de sa localité. Il ne rate jamais la distribution de la méthadone. “Mo konn méthadone bien. Ena zour li bon, ena zour li pa bon. Mon corps réagit selon la qualité du produit. Ce qui me pousse à dire que celui-ci n’est pas toujours de bonne qualité. D’ailleurs, pour avoir continué mon traitement à l’étranger, précisément en Europe, j’ai pu noter une différence dans la qualité et les effets du produit de substitution. De plus, contrairement à Maurice où l’on vous remet une fiole non cachetée ; ailleurs, le contenant est scellé”, indique Éric. Et s’il concède que la discipline pendant la distribution de la méthadone peut s’avérer problématique, il fait ressortir que “la plupart des bénéficiaires rentrent chez eux ou vont travailler, après avoir reçu leur dose respective.”

Les lieux de distribution restent stigmatisants, insiste-t-il. “Si, à l’époque, quand la distribution de la méthadone se faisait dans des centres de santé et hospitalier, la police assurait la discipline et la sécurité avec sévérité, on n’en serait pas là. C’est déjà stigmatisant d’être un usager de drogue, ça l’est encore plus lorsqu’on doit se présenter au poste de police, et plus difficile pour celui qui doit aller travailler. De plus, la méthadone n’arrive jamais à la même heure, ce qui met en retard ceux qui doivent se rendre au travail”, déplore Éric, qui rappelle que le ministère de la Santé avait annoncé que la distribution de la méthadone allait se faire “dans un centre de santé” et que “l’on serait obligé de prendre notre méthadone sur place. Lerla pa ti pou ena trafik.”

De découverte en addiction

Avant de passer au programme de substitution, Éric comptait une vingtaine d’années d’addiction à l’héroïne. “Mon premier shoot, je l’ai fait à 21 ans”, raconte-t-il. “À cette époque, poursuit-il, le produit venait des pays asiatiques et n’avait rien à voir avec ce qu’on trouve actuellement sur le marché. La qualité était pure. Ena enn kan prepar-li, li fini kaye dan sering. Be sa pa sipoze pas koumsa. Aujourd’hui, les substances sont des mélanges qui causent encore plus de tort aux consommateurs. Zot mem pa kone ki zot pe mete dan zot lekor ! D’ailleurs, il suffit de regarder les dégâts que ces opiacés font sur des toxicomanes qui refusent de se faire aider. Certains décèdent beaucoup plus tôt que des anciens”, fait-il remarquer.

Éric n’a pas été une exception : comme pour beaucoup, sa rencontre avec l’héroïne est arrivée par la pression de ses “amis.” Toutefois, la raison derrière le désir de vivre une nouvelle sensation, confie-t-il, était d’ordre professionnel. “À l’époque, je travaillais dans la construction. L’héroïne nous procurait une sensation qui décuplait notre énergie et nous travaillons à une vitesse qui étonnait plus d’un. Cela nous plaisait d’autant qu’on arrivait à réaliser des travaux parfaits”, raconte-t-il.

Mais cette découverte a fini par devenir une addiction destructrice. Pour se procurer de la drogue, il s’est engagé dans le trafic, l’une des raisons pour lesquelles il a aussi été condamné. “Mo ti rant dan trafik zis pou mo pa al kokin. Je me suis retrouvé en prison à quelques reprises. Mais je n’ai eu accès à la drogue qu’une seule fois, c’était à une époque où il était facile de s’en procurer contre de l’argent”, affirme Éric. C’est avec un regard à la fois réaliste et pessimiste qu’il analyse l’intérêt de certains jeunes de la présente génération pour la drogue. “Cet empressement à acquérir des biens matériels les pousse à se tremper dans le trafic”, dit-il.

Après avoir consulté des médecins, suivi un programme de réinsertion au Centre de Solidarité pour une Nouvelle Vie pendant 14 mois et passé par la phase de réinsertion en 1996, Éric pensait avoir trouvé la voie pour se défaire de l’héroïne. “J’avais tout essayé”, dit-il, mais il rechute. “Ma réhabilitation ne pouvait pas marcher. La décision d’arrêter la drogue avait, alors, été prise non par moi et pour moi, mais par mes sœurs. Elles avaient insisté pour que j’entame une thérapie, c’est ce que j’ai fait. Une chose doit être comprise : la personne qui veut arrêter la drogue doit le faire pour elle, d’abord. Après ma réinsertion sociale, j’avais remis ma thérapie en question et avais au final compris que je ne voulais pas abandonner mon addiction.”

Soulagement

Éric dit devoir sa renaissance à la méthadone, grâce à laquelle il a une vie quasi normale. “J’ai rencontré une personne avec qui j’ai construit un foyer et j’ai trouvé mon équilibre. Ma relation avec ma famille a changé pour le mieux. Avant, quand je n’avais pas les moyens de me procurer de la drogue, j’avoue que je devenais violent”. Toutefois, après avoir adhéré au programme de la méthadone en 2011, il s’est laissé, dit-il, envahir par le doute. “Dès ma première dose de méthadone, j’avais senti direct un grand soulagement. J’avais respecté les procédures : la veille, je n’avais pas consommé de la drogue pour être en état de manque”, raconte-t-il. Au bout d’un temps de transformation positive, il reprend de l’héroïne pendant le traitement. “Cela a duré quelques mois jusqu’au jour où une de mes sœurs a tout dévoilé en famille”, avoue Éric. Décontenancé, il se ressaisit et ne touche plus à l’héroïne.

“Enn bouson méthadone”

“On peut s’en sortir grâce à la méthadone. Malheureusement, beaucoup d’usagers de drogue que je rencontre disent, par manque de volonté, peut-être, ne pas croire dans la méthadone. Ils me disent que Dieu les sauvera. Je suis croyant mais aussi réaliste, et donc triste pour eux”, dit Éric. Il sait qu’en tant que pair éducateur, son travail ne diminuera pas tant que la situation de la drogue dans le pays ne cessera de s’aggraver. Chaque matin, il voit de nombreux jeunes approcher les bénéficiaires du programme “pou rod enn bouson méthadone ar sak dimounn.” Ce qui l’inquiète ce sont aussi ces toxicomanes en réhabilitation, mais incapables de décrocher du travail, faute de certificat de caractère. “Ceux qui ont de la chance peuvent tomber sur des contracteurs qui les embauchent, le temps d’un chantier.”

PILS : “Nou imin avan tou”

En marge de la Journée internationale contre l’abus et le trafic illicite de drogues, l’organisation non gouvernementale (ONG) Prévention Information Lutte contre le Sida (PILS) centre sa réflexion sur l’humain. En marge également de la campagne mondiale Support. Don’t Punish de l’International Drug Policy Consortium – dont PILS est membre – l’ONG  axe son plaidoyer sur les actions ayant pour objectif la réduction des risques. Elle rappelle, dans un communiqué, que “les personnes usagères de drogues sont trop souvent victimes de politiques répressives. Les récents amendements aux lois existantes s’inscrivent dans une politique favorable à leur santé, efficace pour lutter contre les transmissions du VIH et de l’hépatite C, et bénéfique pour l’ensemble de la société. Nous souhaitons que ces mesures salutaires ne soient pas des exceptions. Soutenir, pa pini, parski nou imin avan tou !”

L’ONG estime que, trop souvent, les réflexions sur les grandes problématiques autour de la drogue s’orientent vers les progrès en matière de lutte du trafic dans une perspective principalement punitive. “En occultant le fait que les usagers sont avant tout des femmes, des hommes, des jeunes, qui travaillent, étudient, ont une famille, des amis, des voisins, des collègues, des responsabilités, qu’ils et elles respectent et assument pour la plupart. Sauf quand leur consommation devient problématique. Dans tous les cas, ces personnes ont besoin de compassion, de soutien, d’accompagnement et d’une prise en charge globale qui leur permet de vivre, de travailler, d’accéder aux soins, à un travail.” PILS rappelle que les actions de réduction des risques (distribution de matériel, accompagnement et éducation aux risques liés à l’injection, distribution de méthadone, etc.) ont fait preuve de leur efficacité en termes de santé publique.

“Le nombre de nouveaux cas de VIH chez les personnes usagères de drogues par injection est passé de 92% en 2005 à 22% en 2020. À l’inverse, les mesures répressives perpétuent un cycle de sanctions et de marginalisation. Cette approche entrave l’emploi et limite les possibilités de réinsertion. L’impact du certificat de caractère dans la vie quotidienne des usagers est un exemple concret nécessaire au niveau pénal. En effet, une sanction inscrite sur un certificat de caractère pour consommation de drogues peut entraîner des répercussions sur une vie entière en créant des obstacles à la réintégration sociale et place les individus dans des situations de vulnérabilité. Le tout-répressif est inefficace, contre-productif et contre la santé publique. L’État mauricien s’est engagé dans une politique moins rigide face à la consommation de drogue. Nous demandons à nos décideurs politiques de poursuivre dans la voie d’une approche compatissante et fondée sur des preuves, avec l’humain au centre, où les personnes usagères de drogues ne sont plus criminalisées. PILS maintient ainsi son plaidoyer en réaffirmant avec force que Maurice doit Soutenir, pa pini, en rappelant que nou imin avan tou.”

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