Parlementaire et ministre ayant laissé son empreinte, Joceline Minerve, bien qu’elle ait pris du recul de l’arène politique, n’est jamais restée inactive. Membre fondatrice de la plateforme militante Fam Ape Zwenn (FAZ) – Women Meet, elle s’échine, épaulée et soutenue solidement de plusieurs autres Mauriciennes, à être aux côtés de tous ceux et celles qui « souffrent d’une multitude d’injustices, de non-respect de leurs droits fondamentaux, comme l’accès au logement, à l’éducation et à la santé ».
Vous êtes la fondatrice de Fam Ape Zwenn. Où en est cette plateforme commune après deux années d’existence ?
Depuis le 10 décembre 2022, nous nous rassemblons régulièrement, d’une part pour marquer la Journée internationale de la Déclaration universelle des droits « dits » de l’Homme, mais également d’autres événements pour lesquels la plateforme FAZ s’est engagée sur le plan national. Au niveau de nos membres exécutifs, il y a eu des mises en retrait du fait de la participation active au titre de candidates aux dernières élections. Et ce, sous différentes bannières partisanes.
Comme stipulé également dans notre Plaidoyer de juillet 2024, FAZ (Fam Ape Zwenn) – Women meet, bien que composées de femmes de tous bords politiques est, en soi, de caractère non partisan. Ce qui induit, incidemment, ni confessionnel au plan religieux, et ne se réclamant non plus de quelque revendication de type ethnique.
Nous nous réjouissons qu’une des nôtres ait été appelée à une très haute fonction indépendante, soit devenir le quatrième personnage de l’État en sa qualité de Speaker de l’Assemblée nationale.
Pour répondre directement à votre question, nous n’avons pas chômé depuis que nous nous sommes lancées activement sur le terrain !
Un rapide bilan…
FAZ a lancé, le 21 juillet dernier, son modeste Plaidoyer qui reprenait, en résumé, tout ce qui avait été recueilli de nos membres eux-mêmes ou auprès des groupes ou associations de femmes engagés activement sur le terrain sur différents champs d’action spécifiques. Ce lancement a été fait en présence des potentiels candidats de presque tous les partis en lice pour l’échéance électorale, devant les médias ainsi qu’une relative présence diplomatique. C’est comme un contrat tacite de mandants à aspirants mandataires.
Nous avons été attentives, parallèlement, à l’élaboration des dits programmes gouvernementaux, surveillant leur publication. La semaine précédant le jour des élections, certaines parmi nous se sont lancées dans un exercice d’analyse comparative entre les promesses et nos demandes précises. Le résultat était clairement inégal et pas toujours réconfortant. La question d’inégalité salariale et du statut professionnel a été surtout prise en compte par certains partis.
Le pays a changé de gouvernement. Quelles devraient être les priorités des nouveaux dirigeants ?
Oui, le pays a changé de gouvernement. Un raz-de-marée inattendu, exprimé dans la discipline, le jour du scrutin ! Cela, dans une forte mobilisation civique, empreinte d’un silence quasi religieux. Ce comportement exemplaire envoyait un fort signal de rejet incontestable.
Et maintenant, l’alliance qui a bénéficié de cette protestation véhémente dans les urnes porte une bien lourde responsabilité sur ses épaules. Les priorités à l’ordre du jour pour ce gouvernement fraîchement sorti des urnes ? Pléthore ! Les attentes sont énormes eu égard au très grand pourcentage de participation. L’impatience risque vite de se montrer face aux difficultés réelles, aux grosses souffrances et frustrations en l’état des choses. Ça me renvoie un peu à la Crisis of Expectations de 1982.
Des ministres se sont, certes immédiatement, mis à la tâche, s’occupant de dossiers brûlants, au propre comme au figuré. Le vaste chantier si complexe qui commence à s’esquisser laisse voir du désordre institutionnel, des gabegies managériales, des ruines et la destruction de nos rares ressources naturelles, laissant des décombres irrémédiables dans bon nombre de cas. Dilapidation au niveau des caisses et fonds publics par ces investissements irresponsables dans des projets, une pratique politicienne machiavélique de terre brûlée indéniable… à tel point que nous nous demeurons hébétés, sonnés, éberlués comme nous l’avons rarement été !
Il ne faut pas oublier non plus que « lepep admirab » a déjà donné et sera réticent à en payer doublement le prix à nouveau. Alors, que faire ? Comment s’y prendre ? Il n’y a pas de réponses faciles. Sinon, qu’aucun droit à l’erreur ne serait toléré ! Ni erreur de philosophie politique, ni stratégique, ni programmatique et encore moins méthodologique !
Pour reprendre vos propres mots donc, que faut-il faire ?
Il est impératif de montrer que, dans un même élan, va s’enclencher un vrai changement de paradigme visant les long, moyen et court termes. En se donnant les moyens adéquats pour réussir dans l’immédiat et dans la durée. Ce qui est quasi impossible comme mission s’il manque une dynamique sociale évidente qui embarquerait chacun et tous, de bon gré !
Il faut aussi prévenir le spectre d’une déchirure sociale et politique après avoir subi l’image d’un Parlement inutile et impuissant à protéger l’intérêt général. Celle aussi du spectacle désespérant des partis politiques au pouvoir totalement discrédités. Quid alors ?
Nous héritons d’une société assez résiliente mais qui montre aussi ses défaillances. Nous nous retrouvons avec un mouvement syndical qui rame durement pour recruter de nouveaux adhérents conscients et lucides des enjeux, dans certains secteurs clés de l’économie sociale. Au final, c’est un champ de multiples problématiques avec de nombreux défis de toutes sortes.
Ces graves perspectives doivent nous inciter tous à nous serrer les coudes, en retroussant nos manches, parce qu’il me semble bien qu’on est déjà dans le mur, n’est-ce pas ? Quelle sortie de crise ? Si un désir de trouver les vraies causes qui ont produit ce marasme fait défaut, comment amener notre peuple à regarder ensemble dans la même direction ?
D’abord, pour prendre acte que notre civilisation, à cause de l’indifférence insensible et coupable de ceux qui ont précédemment gouverné, nous a conduits dans une impasse d’écologie humaine globale ! Cela, à l’instar de pratiquement partout ailleurs sur la planète, nombre d’humains devenus si matérialistes qu’ont été détruites les bases matérielles de notre vie ! La dernière Conférence mondiale sur le climat, la COP 29, illustre mes propos
Si nous ne nous unissons pas tous dans un acte citoyen articulé et harmonisé à tous les niveaux, il n’y aura plus qu’à… tirer l’échelle !
Les derniers jours passés ont été marqués par des incidents/crimes/agressions commis sur des enfants. Comment en sommes-nous arrivés là et qu’est-ce qui doit être fait ?
Encore une vaste question très compliquée. Tous ces faits divers complexes ajoutés aux autres crimes odieux et assassinats crapuleux, par motivation passionnelle ou politique, révèlent la duplicité humaine capable du meilleur… comme du pire. Vous me direz que la violence sous toutes ses formes existe depuis toujours, remontant aux origines de l’humanité.
C’est vrai. Nous sommes là confrontés au mystère du Mal ! Ces actes perpétrés, soit sous le coup de pulsions de mort innées en l’humain ou calculés de sang-froid, ne sont pas acceptables. Mais punissables par nos lois, dans un État de droit. Ce qui relève du pathologique doit être considéré en tant que tel. Donc, traité professionnellement comme tel. Et ce qui relève strictement du pénal alors doit être traité dans toute la rigueur de notre législation en place ou être perfectionné là où il comporte des lacunes.
Vous avez une longue et riche carrière de politicienne. Quels messages avez-vous à celles qui sont au gouvernement ? Qu’attendez-vous d’elles ?
Mon message est que nous parlions des attentes des filles et femmes de toutes générations et de chaque partie géographique de notre territoire – y compris de la diaspora qui s’est bruyamment manifestée pendant la campagne électorale. Ce message pourrait se résumer en ces phrases : Pran kont nou lavi. Time is of the essence. Agissons vite et bien ! Comme l’exprime si solennellement le thème officiel 2024 des Nations unies pour ce 76e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme : « Nos droits. Notre avenir. Maintenant. »
La représentation féminine reste un point très faible. Que diriez-vous aux Mauriciennes pour les encourager à faire de la politique active ?
Cette épineuse question de la représentation des femmes dans tous les domaines ! Mais, en particulier dans la sphère politique. Ce si vieux débat devient fatigant à la fin. Souvenons-nous qu’au cours de la longue Histoire de l’humanité, il y a eu des périodes où les femmes ont contrôlé le pouvoir tant social, politique qu’économique, juridique, voire culturel ! Eh ben, oui. Ce fut à l’ère du matriarcat. Préhistorique.
Même qu’il y eut aussi l’époque des femmes guerrières dite des Amazones ! Le mouvement du balancier. Sauf que dans la période moderne et post-moderne, tous les combats suivants, ceux des suffragettes, les discussions houleuses et vigoureuses menées par des femmes de poigne du monde slave comme Clara Zetkin contre le sexisme, le racisme, le capitalisme, l’impérialisme et ses reliquats qui structurent nos sociétés jusqu’aux campagnes intenses sur les réseaux virtuels…
Suivez mon regard également vers les Chagos et Agalega qui nous concernent au premier chef, n’est-ce pas ? Déconstruire le patriarcat est encore profondément ancré dans les imaginaires, quel défi que cette charge mentale à affronter !
Sur cette question de la représentation politique effective des femmes, peu a été obtenu dans le choix et la nomination à des postes où elles ne seront pas que des vases à fleurs ! Nous nous sommes retrouvés avec un si petit nombre de femmes sur la liste des candidates au bout du compte, et que deux nommées aux postes ministériels ! Ces gros problèmes sont hélas restés dans l’impasse ! Et combien de luttes sous tous les cieux ? Pour des conquêtes petites et grandes qui varient selon la volonté et la détermination de nos dirigeants, mais pas qu’eux.
Des seconds couteaux jusqu’aux simples représentants à la plus petite échelle des structures des partis continuent de bloquer et faire barrage. Le combat pour l’égalité, l’équité, qui revendique une juste répartition des rôles et des places entre femmes et hommes, est un combat de très longue haleine. Continuons de nous engager, de nous battre et d’agir…
Propos recueillis par Husna Ramjanally