Hans Margueritte : « Il s’agit d’une erreur de compréhension. »
SOS Patrimoine en Péril : « Le ministère de l’Environnement, qui doit opérer dans le cadre d’un État laïc, s’engage encore une fois dans un projet à vocation religieuse »
Largesse politique ou maladresse linguistique ? En tout cas, le Jardin botanique de Curepipe suscite des inquiétudes depuis quelque temps, tout comme ce fut le cas pour le Jardin de Pamplemousses il y a quelques mois. Une installation en béton, une « Religiously Platform » érigée sur la berge de la rivière du jardin, présageant l’ouverture éventuelle d’un spiritual park, inquiète. D’une part, parce qu’il s’agit avant tout d’un jardin public géré par l’État mauricien qui reste laïc et, d’autre part, parce qu’il est question de la préservation d’un patrimoine naturel, commun à tous.
Un tollé, un mouvement citoyen. C’est ce qu’a suscité cette affaire durant la semaine. Plus de 2 000 personnes ont à ce jour signé une pétition en ligne pour faire enlever cette installation en béton du Jardin botanique de Curepipe.
En effet, depuis décembre déjà, l’on évoquait l’aménagement d’un espace pour accueillir les dévots. S’il est vrai que tous les ans, la rivière du jardin botanique accueille différentes processions religieuses — occasion d’ailleurs pour les riverains de découvrir la beauté pluriculturelle de notre île —, force est de constater qu’il n’a jamais été question de transformer le jardin en parc spirituel. Car, attention, c’est ici que repose le contentieux : pourquoi transformer un jardin botanique bicentenaire, espace commun à tous, en lieu de prières après toutes ces années de cohabitation ?
Valeur historique et culturelle du jardin
Du côté des autorités, notamment de la mairie de Curepipe, l’on parle de maladresse linguistique. Dans une déclaration à la presse durant la semaine, le député de la circonscription Kenny Dhunoo a ainsi évoqué une erreur de la part du contracteur, qui aurait inscrit « Religiously Platform », alors qu’il s’agirait en fait de travaux pour un mur de soutènement pour un land stabilisation…
D’ailleurs, l’aval a été donné par le ministère de l’Environnement. Le maire de Curepipe, Hans Margueritte, pour sa part, ne s’aventure pas trop sur ce terrain glissant (voir déclaration en encadré). « Il s’agit plus d’une erreur de compréhension, selon moi », nous dit-il. Rappelant, dans la foulée, les nombreuses initiatives prises pour redonner vie au jardin, dont la sécurisation des accès aux véhicules et les zones de circulation piétonne, il martèle qu’il s’agit « d’un espace de recueillement pour tout le monde. Tout le monde peut y avoir accès ! »
Arrmaan Shamachurn, président de SOS Patrimoine en péril, lui, s’interroge avant tout sur la cohabitation de ces deux espaces à vocation bien distincte et de l’avenir du jardin. « À notre niveau, quand on parle de préservation d’un jardin ou parc comme patrimoine, un aspect est de s’assurer que la vocation initiale soit conservée ou améliorée », dit-il. Or, la vocation initiale du Jardin botanique de Curepipe est, comme son nom l’indique — et comme tous les contestataires le martèlent —, de rester dans le domaine de la botanique…
« Comme nous n’avons pas encore été au jardin pour faire un constat visuel des travaux, on ne peut que se baser sur les informations qui ont été rapportées dans la presse », indique-t-il. « Ce qu’on a pu comprendre, c’est que suite à la demande d’une ou plusieurs associations religieuses, une plateforme est en train d’être construite par un contracteur privé pour le compte du ministère de l’Environnement pour accommoder certaines activités religieuses qui se tiennent en ce lieu pendant maintenant plusieurs années. »
Face aux différentes versions des parties concernées, SOS Patrimoine en Péril se concentre sur l’essentiel. « Comme nous sommes en présence de différentes versions des faits, et prenant en considération la valeur historique et culturelle indéniable du jardin, nous avons jugé mieux de demander l’intervention du National Heritage Fund comme l’autorité étatique en matière du patrimoine. »
L’ONG demande ainsi de faire un Visual and Heritage Impact Assessment de ces travaux et aussi des activités éventuelles à cet endroit ; de confirmer si effectivement un ancien bâtiment a été démoli ou pas, et d’entreprendre des mesures correctives à la lumière des évaluations. Arrmaan Shamachurn, toutefois, remarque qu’ « on ne peut ne pas souligner le fait que le ministère de l’Environnement, qui doit opérer dans le cadre d’un État laïc, s’engage encore une fois dans un projet à vocation religieuse et que les fonds sont disponibles facilement pour des initiatives religieuses, tandis que pour nos patrimoines tangibles qui appartiennent à l’État, l’argent fait toujours défaut. »
Cohabitation des activités botaniques, récréatives et religieuses
En effet, un jardin botanique et un parc spirituel sont deux choses complètement différentes, bien qu’ils soient tous les deux importants. « Notre association n’a aucune expertise en matière de jardin ou parc, mais logiquement, ils peuvent soit avoir des vocations distinctes ou ils peuvent être intégrés l’un à l’autre, par exemple, un parc spirituel peut prendre la forme d’un jardin botanique. Ils peuvent prendre ou intégrer d’autres vocations. Tout dépend du concept que le promoteur veut développer », dit-il. Le promoteur, dans ce cas-ci, étant l’État mauricien… « S’il y a un changement qui est apporté à un tel jardin ou parc, la question à se poser est quel est l’impact de ce changement sur sa vocation initiale. Si l’impact est considérable et négatif, alors nous sommes d’avis que des consultations publiques avec les citadins s’imposent a priori. »
Pour Arrmaan Shamachurn, dans le cas du Jardin botanique de Curepipe, « qui a sans conteste une vocation botanique qui ne peut maintenant être modifiée, on se demande comment vont cohabiter les activités botaniques, récréatives et religieuses. L’emplacement et la dimension de cette plateforme, qui va automatiquement consolider la pratique religieuse à cet endroit, sont ainsi importants. »
Il indique par ailleurs que « si elle est dans un coin retiré, il se peut qu’elle passe inaperçue et à long terme elle fera partie du décorum du site. Par contre, si elle se trouve dans un lieu plus stratégique, cela nous fait poser beaucoup de questions : est-ce que les activités dans le jardin seront dorénavant réglementées, voire contrôlées ? Est-ce qu’une personne pourra consommer n’importe quelle nourriture sur cette plateforme quand de l’autre côté les rites que les autorités ont mentionnés demandent l’observation d’un certain niveau de piété ? Est-ce que la nature fragile de cet environnement pourra soutenir les activités ou initiatives qu’on veut promouvoir ? »
Tant de questions qui restent à ce jour sans réponses et qui ne font qu’accentuer les inquiétudes des riverains. Gageons que la voix citoyenne ne tombera pas dans l’oreille de sourds et que des mesures correctives seront apportées, si erreur, voire maladresse ou largesse il y en a eu. Comme dirait Voltaire, « il faut cultiver son jardin », car le but c’est de faire avancer la société et pas l’inverse… À bon entendeur !
Le maire, Hans Marguerite : « Une plateforme pour la pratique du reiki, de sessions de prière… »
Critiqué par des Curepipiens et autres Mauriciens indignés par la tournure des travaux de construction d’une plateforme « religieuse » au jardin botanique, le maire de la ville, Hans Marguerite, défend bec et ongles le projet en cours. Il affirme que la polémique n’a pas lieu d’être. « Sa pe fer dimounn fer bann fos komanter ! » déclare-t-il. Et d’insister : « Chaque année, le jardin accueille des prières lors de certaines fêtes religieuses: c’est un fait connu. En outre, il y a un problème d’érosion au bord de la rivière qui passe par le jardin et auquel la mairie et le ministère de l’Environnement ont décidé de remédier. Le ministère a donné son approbation pour aménager une plateforme qui pourra être utilisée pour la pratique de reiki, du yoga, des sessions de prières indépendamment de la religion par ceux qui le souhaiteront. Cette plateforme n’est pas dédiée uniquement à des fins religieuses », dit d’emblée Hans Marguerite.
« Il est même dit que ce projet n’a jamais été présenté au conseil. C’est faux ! Il l’a été à deux reprises. Ki ou krwar ? Est-ce que je suis à ce point aveugle pour lancer un projet sans le présenter au conseil ? Le projet a été présenté et approuvé par le ministère de l’Environnement », martèle Hans Marguerite. Ce dernier précise qu’il ne sait pas pourquoi la nature du projet — « Religiously Platform » — a été inscrite sur le panneau explicatif qui accompagne tous les travaux publics. Si le député de la ville, Kenny Dhunoo a déclaré dans la presse que cette inscription relèverait « d’une erreur du contracteur », pour sa part, Hans Marguerite dit ne pas avoir d’explications à donner ici.
En revanche, il tient à rappeler « qu’en 2014, certains ont fait ériger une plaque commémorative sur laquelle on peut lire que l’endroit est devenu un espace spirituel ! Personne n’a eu à redire. Quand nous faisons des travaux pour construire un mur de soutènement, on subit des accusations injustes. Contrairement à certains, nous n’avons détruit aucun arbre dans le jardin botanique pour les besoins de ce projet. Jusqu’a aujourd’hui, on ne sait toujours pas où sont passées les pierres d’une ancienne bâtisse qui se trouvait dans le jardin. Ça, personne n’en parle ! Quand j’ai fait fermer le jardin aux voitures, j’ai entendu toutes sortes de critiques. Pourtant, c’était nécessaire pour éviter des accidents. Le jardin ne pouvait plus être un raccourci pour les automobilistes qui pouvaient provoquer des accidents. »
Les travaux au jardin botanique vont se poursuivre, assure Hans Marguerite. Il explique même qu’à la fin des travaux, la plateforme sera à la disposition des citadins qui souhaiteraient l’utiliser pour leurs séances d’exercice de bien-être et de prières. Au cas où ils sont nombreux à participer à ces activités, une demande devra être faite, au préalable, à la mairie de Curepipe.