Kavy Ramano :« Utiliser l’éligibilité de la vulnérabilité climatique pour les prêts concessionnels »

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Kavy Ramano, qui dirige la délégation mauricienne à Dubaï, accueille favorablement l’adoption de la mise en œuvre des fonds pour les pertes et dommages des pays vulnérables à la COP28. Il souhaite toutefois que la communauté internationale s’engage à utiliser l’éligibilité de la vulnérabilité climatique au lieu de se limiter aux seuls critères du Produit intérieur brut et du Revenu national brut (RNB) pour les financements concessionnels par le biais de mécanismes de financement non climatiques.

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Alors que Maurice participe à la COP28, quels sont les priorités et les messages clés que Maurice, en tant que PEID, transmettrait à la communauté internationale ? 

Il faut en tout premier lieu bien saisir les effets du changement climatique sur Maurice afin de bien comprendre notre vulnérabilité. La température moyenne a augmenté d’environ 1,39 degré Celsius à Maurice et de 1,41 degré Celsius à Rodrigues. Les précipitations annuelles ont enregistré une baisse de 8% sur l’île Maurice depuis les années 1950. Nous prévoyons une réduction supplémentaire de la quantité d’eau disponible de 13% d’ici à 2050.

Une élévation du niveau de la mer de l’ordre de 5,6 mm par an a été observée. Ce qui dépasse la moyenne mondiale de 3,3 mm par an. La projection de l’élévation du niveau de la mer d’ici à 2100 est de l’ordre d’un mètre. D’autre part, nous sommes en présence d’une augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, pluies torrentielles plus fréquentes entraînant des crues soudaines. L’intensification rapide des cyclones augmentera jusqu’à la catégorie 5…

Maurice est donc l’un des pays les plus exposés aux phénomènes météorologiques extrêmes et à l’élévation du niveau de la mer et nous souffrons déjà des conséquences désastreuses du changement climatique.

Quelles ont été les mesures prises pour limiter les effets du changement climatique ?

Maurice reste engagée sur la voie d’une transition juste, axée sur les personnes, en aspirant à devenir résiliente et neutre en carbone d’ici à 2070, tout en atteignant les objectifs de développement durable.

Nous avons l’intention de protéger les vies et les moyens de subsistance grâce à l’adaptation, au renforcement de la résilience et à la décarbonisation de notre économie et à des mesures d’atténuation concertées.

Notre priorité reste l’adaptation et nous visons à promouvoir des solutions fondées sur la nature pour faire face aux inondations causées par des événements météorologiques extrêmes et à la gestion des zones côtières face à l’élévation du niveau de la mer.

Quid du financement de ces projets ?

Le mécanisme international de financement de la lutte contre le changement climatique s’est avéré inadéquat, lourd et extrêmement chronophage, avec des exigences onéreuses en matière de ressources.

Quel est le message que Maurice a transmis à Dubaï ?

La communauté internationale doit s’engager et adhérer à une trajectoire d’émissions de 1,5°, éliminer progressivement le charbon et toutes les autres subventions aux combustibles fossiles. Que la communauté internationale se penche sérieusement sur les impacts différenciés du changement climatique sur Maurice et d’autres pays en développement, y compris les PEID et les pays africains, et qu’elle prenne note du leadership exemplaire dont les petits pays ont fait preuve en dépit de graves contraintes de ressources !                                                                            

Les partenaires au développement et les donateurs doivent honorer les promesses faites lors des COP précédentes pour soutenir la mise en œuvre de nos contributions déterminées au niveau national (CDN). Il faut que le mécanisme de subvention inconditionnelle à l’adaptation spécifique aux Petits États insulaires en développement (PIED) soit opérationnalisé au plus tôt.

Il faut également que des mécanismes pertinents soient mis en place pour faciliter l’adoption d’échanges de dette contre nature pour les PEID afin de créer une marge de manœuvre budgétaire adéquate pour financer des projets d’adaptation au changement climatique à fort investissement. Nous réitérons notre demande d’opérationnalisation du mécanisme de financement des pertes et dommages, qui sera réactif et répondra à la fois aux événements météorologiques lents et aux phénomènes météorologiques extrêmes.

Quelles sont les attentes de Maurice à la COP28 ?

En tant qu’un des pays les plus vulnérables aux impacts du changement climatique, Maurice s’attend à ce que la COP28 aboutisse à une série de décisions et d’actions concrètes qui refléteraient l’urgence de ne plus aggraver les impacts du changement climatique.

Les pays industrialisés et les plus grands émetteurs doivent revoir à la hausse leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et s’engager à atteindre zéro émission nette d’ici 2050.

La communauté internationale, c’est-à-dire les pays industrialisés, doit s’engager à respecter la trajectoire d’émissions de 1,5 °C et la communauté internationale doit collectivement éliminer progressivement l’utilisation du charbon et des combustibles fossiles et accélérer la transition juste vers des sources d’énergie durables.

Nous accueillons l’adoption et la mise en œuvre du fonds destiné à financer les pertes et les dommages climatiques des pays vulnérables. Alors que cette question est cruciale. Cela ne signifie pas que nous pouvons nous permettre de renoncer à l’adaptation.

Nous devons veiller que le programme de travail de Glasgow, de Charm el-Cheikh sur l’objectif mondial d’adaptation aboutisse à un accord sur un cadre solide qui faciliterait notre capacité à mesurer les progrès et, plus important encore, à promouvoir une action cohérente à long terme, soutenue par le soutien financier, technologique et de renforcement des capacités nécessaire pour mener à bien le travail.

Nous souhaitons que la communauté internationale s’engage à utiliser l’éligibilité de la vulnérabilité climatique au lieu de se limiter aux seuls critères du Produit intérieur brut et du Revenu national brut (RNB) pour les financements concessionnels par le biais de mécanismes de financement non climatiques.

De plus, les institutions de financement doivent s’engager à adapter le processus d’allocation des fonds pour répondre aux besoins et au contexte des pays vulnérables, y compris les PEID. Nous attendons une déclaration politique de haut niveau en réponse aux conclusions du bilan mondial. Il doit y avoir un message clair sur les mesures qui doivent être prises pour accélérer et améliorer les actions climatiques.

La communauté internationale devrait soutenir la mise en place de mécanismes pertinents pour faciliter l’adoption d’échanges de dette contre nature pour les PEID afin de créer une marge de manœuvre budgétaire adéquate pour que nos gouvernements puissent financer des projets d’adaptation au changement climatique à fort investissement et des progrès dans la mise en œuvre des Objectifs de Développement durable (ODD).

Compte tenu de l’urgence de limiter la hausse de la température mondiale à 1,5°, que fait Maurice pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux effets néfastes du changement climatique ?

Malgré le fait que Maurice ne contribue qu’à environ 0,01% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle s’est engagée dans un esprit de solidarité à contribuer aux efforts mondiaux de décarbonisation.

Quels sont les objectifs fixés par Maurice ?

Pour ce qu’il s’agit de la mise à jour des contributions déterminées au niveau national soumises à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en octobre 2021, Maurice vise un objectif d’atténuation renforcé de 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

L’objectif de la CDN sera atteint grâce aux mesures d’atténuation stratégiques clés suivantes : une production de 60% des besoins énergétiques à partir de sources vertes d’ici 2030 ; l’élimination progressive de l’utilisation du charbon d’ici 2030 ; l’augmentation de l’efficacité énergétique de 10% par rapport aux chiffres de 2019 ; le détournement de 70% des déchets de l’enfouissement d’ici 2030 ; l’élaboration d’une feuille de route pour l’intégration des véhicules électriques 2020-2030 ; l’adaptation des pratiques agricoles intelligentes, y compris les systèmes agricoles naturels et l’agroforesterie ; la promotion de techniques d’irrigation efficaces ; et la plantation d’arbres à l’île Maurice et à Rodrigues.

D’autre part, Maurice a formulé une stratégie nationale d’atténuation du changement climatique et un plan d’action qui soutiennent l’objectif à long terme de contribuer à l’atteinte d’une société à zéro émission nette de carbone.

La stratégie et le plan d’action définissent les domaines prioritaires pour cinq secteurs clés. Maurice devra mobiliser environ USD 3 milliards d’ici à 2030 pour mettre en œuvre le plan, le secteur privé devant contribuer à environ 92% des fonds. Cela est conforme aux dispositions de la loi de 2020 sur le changement climatique.

Afin d’atteindre 60% d’énergie renouvelable dans le mix électrique, une feuille de route pour les énergies renouvelables a été élaborée pour l’île Maurice. Il promeut l’utilisation de technologies d’énergie renouvelable émergentes et innovantes telles que l’énergie solaire photovoltaïque pure et hybride, les systèmes de batteries, la biomasse, l’énergie éolienne, l’éolien offshore et d’autres énergies marines renouvelables.

Nous parlons beaucoup de l’économie circulaire ; où en sommes-nous ?

Un cadre sur l’économie circulaire pour les dix prochaines années, de 2023 à 2033, a été élaboré. Une feuille de route et un plan d’action chiffré sur la circularité ont été formulés, avec une série de 110 actions dans cinq domaines d’intervention prioritaires.

Les domaines d’intervention prioritaires sont les suivants : agroalimentaire ; la construction et l’immobilier ; le transport et la logistique ; les biens de consommation et la gestion des déchets. La feuille de route a également abordé des thèmes transversaux, à savoir la gouvernance, l’éducation et la sensibilisation, la recherche et le développement, le soutien aux entreprises, les marchés publics et l’écologisation des politiques fiscales et du financement. Pour permettre une transition efficace vers l’économie circulaire, ces actions comprenaient le renforcement des cadres politiques et législatifs, des infrastructures physiques et numériques, de la recherche et de l’innovation.

Sur la base du modèle de l’économie circulaire, nous mettons en œuvre une stratégie et un plan d’action de récupération et de recyclage des ressources pour promouvoir le tri à la source afin d’atteindre les objectifs de la CDN de réacheminement de 70% des déchets solides d’ici 2030 de la décharge et également celui de l’ODD 12,5 qui consiste à réduire considérablement la production de déchets par la prévention, la réduction, le recyclage et la réutilisation d’ici à 2030.

L’objectif de 60% de renouvelable dans le bouquet énergétique est-il vraiment réalisable ?

Le gouvernement, en collaboration avec le Central Electricity Board, le seul distributeur d’électricité, a mis en place divers programmes pour stimuler la mise en œuvre de projets renouvelables, y compris la technologie mature de l’énergie solaire.

Ces programmes visent à encourager l’adoption des énergies renouvelables dans les ménages, les micro et PME, les grandes industries, les entreprises, les entités du secteur public, les institutions caritatives, les ONG, les organismes religieux et les établissements d’enseignement. Dans le cadre des programmes susmentionnés, l’électricité produite serait intégrée au réseau national, contribuant ainsi à la part des énergies renouvelables dans le réseau et encourageant la participation du secteur privé et du grand public à l’effort national de décarbonisation de l’économie.

La biomasse est par ailleurs reconnue comme une source majeure d’énergie renouvelable alternative. Et Maurice a développé un cadre pour la biomasse, ce qui constitue un tournant décisif dans la stratégie visant à éliminer l’utilisation du charbon pour la production d’électricité et à utiliser la biomasse comme une charge de base énergétique fiable, garantissant ainsi la sécurité et la durabilité énergétiques.

Pour tenir compte de la production intermittente d’énergie renouvelable et atteindre notre objectif de 60% d’énergie renouvelable dans le bouquet électrique, des efforts sont déployés en faveur d’un réseau intelligent, d’un système de stockage d’énergie par batterie, d’une infrastructure de comptage avancée composée de compteurs intelligents et de systèmes de gestion de l’information.

Les ressources actuelles ne permettent que 38 MW de stockage par batterie. Des ressources durables supplémentaires sont donc nécessaires pour améliorer le système de stockage d’énergie par batterie et l’infrastructure de recharge.

Quelques mesures clés sont-elles prises pour faciliter l’accès aux financements climatiques ?

Une plateforme de mobilisation des ressources a été élaborée sous l’égide du ministère des Finances pour l’enrôlement continu de propositions visant à faciliter l’utilisation des fonds par le biais de la coopération bilatérale et des organismes multilatéraux.

Dans le cadre du Centre d’accès au financement climatique du Commonwealth, le conseiller national a fourni un renforcement des capacités en matière d’élaboration de propositions de projets bancables à 200 membres du personnel gouvernemental. Un renforcement continu des capacités est nécessaire pour permettre la rédaction de propositions de projets solides répondant aux critères des organismes de financement.

Il convient aussi d’améliorer les dépenses climatiques en intégrant une planification et une budgétisation sensibles au climat dans les budgets nationaux et en incitant le secteur privé à améliorer le financement de la lutte contre le changement climatique.

Dans le but de tirer parti d’une marge de manœuvre budgétaire adéquate pour financer des projets d’adaptation et d’atténuation du changement climatique à fort investissement, Maurice assure des flux financiers durables grâce à la formulation d’instruments de financement innovants et de cadres pertinents.

Propos recueillis par Jean Marc Poché

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