Le Guide - Législatives 2024

Incendie à Mare-Chicose : Tout feu, tout drame

— Maux de tête, toux et de problèmes respiratoires, les riverains demandent des mesures urgentes au nouveau gouvernement
— Suivant la direction du vent, la volute de fumée s’étend jusqu’à Curepipe !
— « Le feu qui est sous contrôle… Il faudra cependant deux mois pour l’éradiquer », disent les autorités
10 jours se sont écoulés depuis que les habitants de Mare-Chicose et des régions avoisinantes sont confrontés à la pollution atmosphérique engendrée par l’incendie du centre d’enfouissement de Mare-Chicose. « À hier, le feu s’entendait sur 10% de la superficie du site et il faudra au moins deux mois pour l’éradiquer », souligne une source au sein du Mauritius Fire and Rescue Service (MFRS). Ce nouvel épisode ne finit pas de faire couler de l’encre car, outre l’imposant nuage de fumée qui étouffe les riverains, l’autre potentiel danger demeure l’abondance du jus de poubelle, connu comme le lixiviat, résultat de l’accumulation de déchets qui pourrait bien avoir contaminé les cours d’eau (voir plus loin). L’extension verticale du centre d’enfouissement orchestrée par le consortium Sotravic Ltée/Strata pourrait aussi avoir accentué le phénomène.
À hier, sur les 350, 000 m² recouvrant le centre d’enfouissement, le feu s’étendait sur une superficie de 42 000 m² surplombée par un nuage de fumée. Du côté du Mauritius Fire and Rescue Service (MFRS), on souligne que « l’intensité du feu diminue de jour en jour et la situation est sous contrôle. » Le feu perd du terrain, mais l’incertitude plane toujours sur le sort qui sera réservé aux personnes directement touchées par cet incendie. Le manque de vision du gouvernement au cours de ces 10 dernières années et la tergiversation de l’ex-ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, passé maître dans l’art de faire l’autruche, ont entraîné la situation dans laquelle se trouve le centre d’enfouissement. Si cette pollution peut être ressentie par les riverains les plus proches du site, la qualité de l’air s’est aussi nettement dégradée dans d’autres villages.
Maux de tête, toux et de problèmes respiratoires. L’inhalation de l’air suffocant leur rend la vie dure, bien que la situation se soit assainie. Le ministère de l’Environnement a beau tenté de rassurer quant aux effets nocifs des émanations du centre d’enfouissement — en s’appuyant sur des analyses effectuées entre le 6 et le 12 novembre, « conformes au Lowest Observed Adverse Effect Level » —, il n’en demeure pas moins que suivant la direction du vent, la volute de fumée s’étend jusqu’à Curepipe, à en croire les nombreux témoignages qui pullulent sur la toile.
« Le précédent gouvernement
n’a rien fait »
Pressentie pour occuper le portefeuille ministériel de l’environnement et de la gestion des déchets solides, la représentante de la Commission de développement durable du MMM, Joanna Bérenger, a effectué une visite à Mare-Chicose mercredi. « Le constat est accablant, car le précédent gouvernement n’a rien fait. Il faut repenser toute l’organisation de Mare Chicose, en commençant par le tri des déchets à la source. Avec l’extension verticale, là où cela brûle, les déchets sont à une hauteur de 250 mètres. L’autre méthode est l’utilisation d’eau. Encore une fois, l’efficacité est limitée. L’eau est principalement utilisée pour refroidir les machines. Il y a aussi des sprinklers qui ont été installés. De plus, les jets des pompiers n’atteignent pas la hauteur des 250 mètres de déchets », dit-elle.
Comment a-t-on pu en arriver-là ? Avec une population de 1,3 million de personnes, le site d’enfouissement de Mare Chicose doit absorber environ 1 500 tonnes de déchets par jour. Or, cette décharge, qui existe depuis 1997, a atteint son niveau de saturation depuis belle lurette. Pour éviter une crise majeure de gestion des déchets à Maurice, la décharge a dû être agrandie dans un premier temps. Cependant, au fil des années, la décharge recevait quatre fois plus de déchets que prévu. Par conséquent, cela a réduit la durée de vie de la décharge de 19 ans à 8 ans. Pour faire face aux déchets supplémentaires, la décharge a été étendue de 20 hectares à 32 hectares, portant la capacité au double, soit de 6 millions de mètres cubes. En 2020, l’option de surélever le centre d’enfouissement pour fournir une capacité d’élimination par le biais d’un agrandissement vertical du site est sérieusement envisagée par le gouvernement.
« Les préoccupations environnementales
ont été écartées »
Le projet sort de terre dans la polémique, non seulement du côté des ONG Environnementales, mais également au sein de la classe politique. Au Parlement, la députée Joanna Bérenger affirme qu’ « une extension verticale est encore plus dangereuse, car elle accroît les risques d’accumulation de liquides et de gaz, ce qui peut provoquer des explosions et des incendies ». Au sein même de la majorité, les voix s’élèvent pour émettre des réserves sur ce projet. C’est le député Ivan Collendavelloo qui sonne la charge, le 18 avril 2023, en qualifiant cette expansion comme étant une manœuvre visant à ériger un « gratte-ciel de déchets ». « L’octroi de ce contrat de plus de Rs 3 milliards montre clairement que les préoccupations environnementales ont été écartées sans ménagement. Ces déchets pourraient être valorisés pour la production énergétique », avait souligné le leader du ML.
En conférence de presse, jeudi, le nouveau Premier ministre a fait ressortir que le dossier lié à une gestion efficace et pérenne dudit centre d’enfouissement sera pris très au sérieux par son gouvernement. Reste à savoir si les actes suivront les paroles.
HT 1
Les zones d’ombre, pour ne pas dire les traitements de faveur
Ce nouvel incendie jette une lumière crue sur le rôle de Sotravic Ltée dans la gestion du centre d’enfouissement. Ses détracteurs, qui sont des experts dans le giron, rappellent que le contrat de la firme en tant que gestionnaire du site a pris fin en décembre 2019. Or, elle continue à bénéficier des extensions de son contrat sur une base mensuelle, quand bien même elle a soumis une offre financière nettement supérieure aux deux autres soumissionnaires qui disposent, subséquemment, d’un arsenal d’équipements modernes et adaptés dans le compactage des ordures… contrairement à Sotravic Ltée qui, en partenariat avec la compagnie Strata a été désignée, en juillet 2024 pour entreprendre, au coût de Rs 3 milliards, les travaux d’agrandissement vertical de Mare Chicose.
Pour comprendre la genèse entourant les zones d’ombre, pour ne pas dire le traitement de faveur, dans le processus de sélection du nouveau gestionnaire et de l’entrepreneur des travaux de l’extension verticale du site, il faut remonter à septembre 2021, lorsque qu’un Bid Evaluation Committee (BEC) explique dans un rapport détaillé avoir noté « a bid abnormally low as it was lower by 54% of the estimated budget whereas as per directive 46 of the PPO Act 2006, a bid is considered abnormally low when it is lower than the estimated budget by 15%. » Le comité fait alors référence à l’offre de Rs 1,7 milliard soumise par Sotravic Ltée au Central Procurement Board (CPB), qui avait tablé sur un contrat de Rs 4,5 milliards sur 10 ans.
A contrario, les deux autres soumissionnaires, le consortium hispano-mauricien Serveng-Square Deal & Ubaser et la compagnie chinoise Sinohydro Corporation Ltd, en l’occurrence, ont respectivement proposé des offres de Rs 3,2 milliards et Rs 3,7 milliards. À lumière du constat dressé par le CPB, c’est le consortium hispano-mauricien qui avait été recommandé pour être désigné pour prendre les rênes du site d’enfouissement, alors que Sotravic avait été écarté à l’issue de cette première évaluation compte tenu du faible montant de soumission et de ses lacunes en termes d’outils et d’infrastructures. Puis, il y a eu un deuxième rapport d’un consultant dit indépendant, à savoir une firme comptable, qui a tout bonnement recommandé l’annulation de l’exercice d’appel d’offres pour des motifs nébuleux.
Quid du compostage ?
Rebelote en avril 2022. Dans une missive adressée aux soumissionnaires par le bureau du secrétaire permanent du ministère de l’Environnement, celui-ci informe les soumissionnaires que « l’exercice a été annulé compte tenu clause 39 (1) (e) de la Public Procurement Act, stipulant que dans l’intérêt public, the bidding documents requires substantial modification making it more convenient to restart a new bidding process. » L’actuel gérant du site, Sotravic Ltée, bénéficie d’extension sur extension de son contrat sur une base mensuelle, depuis cinq ans, pour un coût supplémentaire de Rs 393,9 millions. Pour couronner le tout, ladite entreprise s’est vu confier, en juillet 2024, la responsabilité d’entreprendre les travaux d’extension verticale du centre d’enfouissement.
Là où le bât blesse, selon un acteur de ce secteur d’activité, Sotravic ne dispose pas de machines aux normes permettant de compacter les ordures. « Les centres d’enfouissement, comme Mare Chicose, sont truffés d’éléments tels que le méthane, l’oxygène et le plastique qui émanent naturellement des déchets en fermentation. Du coup, lorsque les déchets sont mal compactés, la catastrophe devient inévitable avec ce cocktail explosif. Le fait que Sotravic Ltée et le ministère de l’Environnement n’aient toujours implémenté le système de compostage qui contribue d’une part à la réduction des pollutions liées aux transports, à l’enfouissement et à l’incinération. Et d’autre part, elle contribue à la préservation des équilibres naturels », confie notre source.

Le lixiviat, un paramètre tout aussi périlleux
Outre la pollution atmosphérique et olfactive, deux autres paramètres, encore plus périlleux, s’ajoutent à cette équation. Il s’agit à la fois du réseau, conduites et puits de biogaz présents à l’intérieur de la décharge et, également, des quantités de lixiviat, un mélange d’eau de pluie et de fermentation des déchets enfouis, emmagasinées dans le bassin de stockage du site. Ils contiennent une pollution de type azoté (ammoniac, NH4), de type carboné (déchets organiques, DCO) et des métaux lourds. À en croire certaines sources dans le milieu, le lieu d’enfouissement de Mare-Chicose produit des milliers de litres de lixiviat qu’il faut traiter tous les jours dans des bassins d’aération. Puis, les liquides retournent dans la nature.
Nos informateurs se rejoignent sur un autre constat : le site n’a pas toujours eu la capacité d’accumuler les eaux toxiques des déchets qui percolent, ce qui fait que, depuis l’ouverture du site en 1997, des rejets ont dépassé les normes à quelques reprises. La question des effets néfastes de cette soupe chimique, alors que l’inquiétude des riverains ne faiblit pas dans la conjoncture : « Les effets du jus de poubelle sont multiples, à l’instar de la pollution des eaux, y compris souterraines. Outre les colonnes de fumée et l’odeur nauséabonde qui se dégage, la santé des citoyens est plus que jamais en danger. Nous demandons au nouveau gouvernement de faire preuve de transparence en rendant publics les rapports d’analyse de l’air et des eaux. »

L’absence d’équipements adéquats décriée
L’intensité du feu a nettement diminué grâce au courage et à l’abnégation des sapeurs-pompiers. Sauf que lorsque Week-End avait souligné, dimanche dernier, que les soldats du feu des casernes de Rose-Belle, Mahébourg et Curepipe se relayaient quotidiennement pour circonscrire l’incendie, on n’avait pas encore été mis au parfum du manque de moyens logistiques et techniques auxquels ils font face.
Le Chief Fire Officer (CFO) du Mauritius Fire and Rescue Service (MFRS), Asok Kumar Kehlary, assis sur un siège éjectable depuis lundi dernier, n’a jamais pu fournir d’explications probantes sur l’absence sur les sites ou la défectuosité de certains équipements, machines et véhicules, acquis à coups de centaines de millions de roupies. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les sapeurs-pompiers combattant le feu au centre d’enfouissement de Mare-Chicose. « Le camion Hazmat, stationné aux casernes de Coromandel et disposant de bacs et d’autres équipements pouvant asperger les pompiers de produits de décontamination, n’a pas été vu sur le site une seule fois. Acheté en provenance d’Allemagne en 2021, ce camion abrite aussi tous les engins techniques et spéciaux destinés au transfert et la manipulation de liquides corrosifs, de liquides inflammables et de gaz comprimés, mais aussi un appareil de mesure pour calculer la direction du vent, essentiel dans le cadre du type d’opération se déroulant à Mare-Chicose. Des officiers aguerris ont même été formés pour manier lesdits bacs », confie un soldat du feu.
Des zones d’ombre subissent également sur l’absence de véhicules de remorque à échelle pivotante disposant de tuyaux rigides télescopiques qui permettent d’acheminer de l’eau en haut. Ce type d’équipement aurait été d’une grande aide dans la conjoncture.

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