Ce sera un des landmarks judgments de cette année 2023. Le Conseil privé du roi a, dans une décision verbale rendue jeudi dernier (ndlr : 6 juillet), renversé la décision de la Cour suprême en date du 20 mai 2022 rejetant la demande de Stanford Asset Holding Limited et The Greenway PCC, deux entités basées aux Seychelles, pour un ordre intimant la banque AfrAsia de divulguer des informations dans le cadre d’une fraude alléguée de plus de USD 11M qu’elles déclarent a été commise à leur préjudice.
En attendant qu’ils rendent leur jugement en écrit et les raisons motivant leur décision, les Law Lords (Lord Reed, Lord Briggs, Lord Hamblen, Lord Burrows et Sir Nicholas Underhill) ont émis un ordre invitant la banque AfrAsia à rompre le secret bancaire et de divulguer aux compagnies plaignantes les informations nécessaires afin qu’elles puissent « make progress as quickly as possible in tracing the missing funds. »
Les faits de cette affaire remontent à février 2022, avec comme toile de fond une fraude alléguée. Plus de USD 11M appartenant à Stanford Asset Holding Limited et The Greenway PCC et se trouvant sur un compte à la banque AfrAsia avaient été transférés, sans autorisation, à celui d’une autre compagnie, notamment Key Stone Properties Limited. Des USD 11M, seulement 4 M ont pu être retracés et gelés par les plaignantes. La somme restante, soit USD 7M, a été transférée sur des comptes d’entités inconnues des plaignantes jusqu’ici. C’est dans cette optique qu’elles avaient fait une demande à la Cour suprême pour qu’elle ordonne à AfrAsia de divulguer des informations complètes sur l’identité des récipiendaires des USD 11M afin qu’elles puissent retracer, geler et éventuellement recouvrer la somme en question.
« No barrier for the making of such an order »
Dans un jugement rendu le 20 mai 2022, la Cour suprême (Mungly-Gulbul CJ, Aujayeb J) a rejeté la demande, estimant qu’un ordre de cette nature ne serait pas en ligne avec les lois régissant le secret bancaire. Les juges avaient statué que « even in the context of the alleged wrongdoing, there are no sufficient reasons to justify the granting of such an order which is of exceptional nature. There is a indeed a strong public element in allowing the law enforcement agencies to pursue their enquiries and obtain for that purpose any relevant and material banking information, subject to the stringent conditions that the Mauritian legislator has sought fit to impose by virtue of legislation which has been expressly enacted for that purpose, and which offers all the necessary safeguards and guarantees for the permissible disclosure of information which is secured by bank secrecy. » Le Conseil privé a trouvé que l’interprétation accordée par la Cour suprême aux lois bancaires était « mistaken » et qu’il n’y avait « no barrier for the making of such an order in the circumstances of the present case. »
La décision du Conseil privé vient réactualiser la jurisprudence sur le sacro-saint principe du secret bancaire, qui interdit aux banques de divulguer à des tiers des informations bancaires et personnelles sur leurs clients. Jusque-là, la Cour suprême avait adopté une approche plutôt restrictive à ce sujet, estimant que ce principe est au fondement même de la relation de confiance entre les banques et leurs clients (voir l’arrêt Foondun v Banque des Mascareignes & autre (2019)). Ce que semble dire le Conseil privé, c’est qu’il y a des exceptions à ce principe, un cas de fraude étant un exemple.