La frustration populaire se déverse dans les rues
Le développement durable, un critère-clé à prendre en compte
Huit ans se sont écoulés depuis la promesse faite par l’alliance au pouvoir, d’une desserte en eau sur une base 24/7. Non seulement elle peine à honorer son engagement, mais le fossé s’est aussi davantage creusé entre l’offre et la demande dans les zones les plus mal loties de l’île, en s’aggravant parfois en situation de grande détresse pour les abonnés. La difficulté d’accès à l’eau courante ne résulte pas seulement du manque d’infrastructures ou du déficit pluviométrique, mais également du rôle déterminant des aspects techniques, institutionnels et politiques dans la fragilité du système. Dans certaines régions rurales, le développement conséquent des projets de morcellements et autres villas a conduit à une multiplication des intermittences et de pénuries du précieux liquide. Cette forte augmentation démographique n’est pas prête de s’arrêter, d’où la nécessité de s’épancher sur ce phénomène.
« Petit à petit, nous devrons avancer vers cette promesse de 24/7 », avait fait ressortir le ministre des Services publics, Joe Lesjongard, lors d’un atelier de travail sur un draft du Water Resources Bill, le 11 octobre dernier. Non seulement cette énième promesse faite par un membre de l’alliance gouvernementale a de quoi rendre perplexe, mais force est de constater que des centaines de milliers d’abonnés de la Central Water Authority (CWA) sont encore à se demander, à l’aube de 2023, si elles seront en mesure de vivre un jour avec une distribution d’eau en quantité suffisante pour subvenir à leurs besoins vitaux tout au long de l’année.
Comment font-ils face à cette forte irrégularité de la distribution d’eau pouvant durer quelques heures ou plusieurs jours ? La liste des régions gravement affectées en 2022 s’est allongée et les autorités ont intérêt à ne pas prendre à la légère la fronde qui n’en finit plus dans les quatre coins du pays, comme ces manifestations qui vont croissant, consistant à obstruer les routes pour attirer l’attention.
La croissance démographique
Cette frustration populaire face à l’incapacité des autorités à lutter contre la crise se déverse dans les rues, comme à Poste-de-Flacq, dans le nuit du 15 octobre, où des habitants ont exprimé leur colère en bloquant la route Royale au moyen de pneus, de charrettes en métal et de pierres pour protester contre la forte pénurie d’eau qui affecte le village.
Cet épisode n’est pas sans rappeler les émeutes qui avaient secoué le village de Bambous-Virieux il y a un an (26 décembre 2021). Les habitants de Poste-de-Flacq qui vivent ces coupures d’eau comme une violation, une injustice, disent se sentir abandonnés par les acteurs politiques et questionnent sur la prioritisation des chantiers, pendant qu’on fanfaronne sur l’extension du métro vers Côte-D’Or et Flacq. Même son de cloche du côté du Nord de l’île, à Triolet notamment, où les riverains se sont mis à scander le refrain « Boukou kas pou metro, me pou delo kuchh nahin ! » Les contestataires ont menacé d’un recours à des mesures d’escalade si la pénurie devait se poursuivre sans jamais jusqu’ici mettre leurs menaces à exécution… Jusqu’à quand ?
À Deux-Frères, village situé dans le sud-est, des centaines de familles, contraintes de passer des jours, voire des semaines, sans une seule goutte de cette denrée essentielle, sont descendues dans la rue le 17 décembre dernier, pour exprimer leur colère. Une fronde révélatrice du sentiment de ras-le-bol qui se répand à vitesse grand V.
Les défis entourant une fourniture adéquate du précieux liquide sont multiples et le développement durable demeure un critère-clé à prendre en compte, alors que les prédictions climatiques laissent entrevoir une multiplication des possibilités de crises sans précédent dans les années à venir. D’où la nécessité de s’appesantir sur l’épée de Damoclès qui pèse sur ces régions du littoral qui se caractérisent, à la fois par leur forte croissance démographique, mais aussi par la vétusté ou l’absence d’installation digne de ce nom. Les nouveaux morcellements et villas, créés parfois sans planification préalable, sont progressivement intégrés à la desserte des services essentiels qui peinent à faire face au pic de la demande, générant des conflits entre les divers usagers. À Flic-en-Flac, Albion, Pereybère, Grand-Baie ou même dans le sud de l’île, où l’agriculture consommait naguère l’essentiel de la ressource disponible, la croissance urbaine et touristique a considérablement changé la donne. L’eau disponible pour l’irrigation est désormais largement injectée dans le réseau de distribution consacré à ces nouveaux quartiers huppés, au point où l’agriculture a été presque abandonnée dans ces zones-là. En cette période de sécheresse, les besoins augmentent de l’ordre de 30% et le déficit se creuse de jour en jour.
Dans ces conditions, développer l’adduction d’eau sur l’ensemble du territoire urbain loti impose la mise en place d’un réseau plus étendu. Les enjeux reposent donc sur une augmentation des quantités disponibles par tête, ainsi que sur un programme social de planification urbaine qui passe notamment par la création des environnements propices à une hausse des investissements du secteur privé dans le secteur de l’eau. L’inauguration, la semaine dernière, d’un réservoir en béton armé d’une capacité de stockage de 1 200 mètres cube et d’une station de pompage à Albion, grâce au concours de Médine Ltd, témoigne en tout cas d’une volonté d’avancer.
Sous le poids du bétonnage
La CWA a réalisé un raccordement sur la canalisation nouvellement posée à partir du réservoir afin d’alimenter les parties hautes d’Albion avec une canalisation dédiée existante.
Les régions concernées, régulièrement exposées aux épisodes de pénurie d’eau, sont Splendid View, Morcellement Terre d’Albion, Morcellement De Chazal et Club Med avec quelque 1 150 abonnés qui bénéficient de l’alimentation en eau de la nouvelle digue à une pression adéquate.
Il reste toutefois un énorme fossé entre ces idées pleines d’espoir et la réalité du pays. La limitation des ressources en eau, les menaces qui pèsent sur leur usage (surexploitation, pollution) et le déséquilibre dans leur répartition ont atteint des niveaux critiques et constituent des défis graves pour les prochaines années. Sous le poids du bétonnage à outrance, les régions situées dans des zones de fortes pluies sont aussi concernées puisque ces précipitations ne parviennent pas à suffisamment infiltrer le sol pour nourrir les nappes souterraines.
Les méthodes de stockage de l’eau doivent donc être repensées, renouvelées et innovées, afin de protéger l’eau de l’évaporation et de la pollution, développer des structures de stockage souterrain, et entretenir les canaux de distribution de l’eau d’irrigation, limiter les construction autour des nappes phréatiques, et valoriser les ressources en eau qui se jettent dans la mer. La balle est désormais dans le camp des autorités, dont les actions seront plus que jamais scrutées dans la perspective des prochaines échéances électorales.