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Économie bleue version Maudhoo – Pêche : la face cachée du budget suscite des inquiétudes

La Fisheries Act amendée pour permettre l’utilisation des Driftnets et les Demersal Trawl Nets, techniques très controversées dans les eaux mauriciennes

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Vassen Kauppaymuthoo avertit : « Pe met later dan nou bouse manze »

En annexe du budget 2024-25 et en prévision de l’Omnibus Bill qu’est le Finance Bill, le gouvernement prévoit d’amender la Fisheries Act pour introduire officiellement les Driftnets et les Demersal Trawl Nets (filets dérivants et les sennes démersales). Or, ces deux types de pêche sont très controversés de par leurs impacts négatifs sur l’environnement et la biodiversité marins. Cette mesure est en totale contradiction avec l’objectif visant à mettre fin progressivement à la pêche à la senne dans le lagon et les initiatives pour restaurer le récif corallien.

Une mesure du budget 2024-25, qui risque de passer inaperçue, vu la mention anodine d’amendement annoncé à la Fisheries Act dans les annexes. Le libellé se lit ainsi : « the Fisheries Act will be amended to allow a Mauritius fishing vessel to use large scale driftnets or demersal trawl nets where this is authorised and in compliance with conservation and management measures.»

Ce détail n’est pas passé inaperçu aux yeux Joanna Bérenger du MMM, qui a décrié une telle démarche lors de son discours sur le budget, car l’utilisation des filets dérivants et des sennes démersales sont réputées pour être très néfastes à l’environnement marin. S’évertuant de lui donner la réplique, le ministre de la Pêche Sudheer Maudhoo, est venu mettre en avant les initiatives de Maurice auprès de la Commission des Thons de l’océan Indien, en vue de protéger l’environnement et limiter la surpêche.

Au-delà de ce bras de fer politique, l’autorisation de ces nouvelles techniques de pêche suscite de nombreuses interrogations auprès des défenseurs de l’environnement et au sein de la communauté des pêcheurs. À plusieurs reprises, lors de l’ouverture de la pêche à la senne, le ministre Maudhoo avait fait référence au fait qu’il faudra maintenant privilégier la pêche en haute mer.

Le gouvernement a d’ailleurs mis en place un projet de « phasing out » de la pêche à la senne dans le lagon. D’ailleurs, dans le budget 2024-25, la compensation pour ceux qui abandonnent la senne est passée de Rs 100 000 à Rs 125 000 pour les individus et de Rs 200 000 à Rs 250 000 pour les coopératives. Mais de là à introduire les filets dérivants et les sennes démersales, beaucoup ne s’y attendaient pas.

Pour l’océanographe et ingénieur en environnement, Vassen Kauppaymuthoo, la décision du gouvernement d’amender la Fisheries Act pour permettre l’utilisation des filets dérivants et des sennes démersales est en contradiction avec les mesures visant à protéger la biodiversité. « D’une part, le budget prévoit des mesures pour la restauration des récifs coralliens et d’autre part, il autorise l’utilisation d’outils de pêche hautement néfastes à l’environnement. Le driftnet est un grand filet qu’on dépose dans la mer et qui prend tout ce qui passe. C’est-à-dire, incluant les prises accessoires qu’on appelle les by-catch, comme les dauphins, les tortues ou les requins », fait-il ressortir.

Ce qui est d’autant plus dangereux, explique-t-il, c’est que ces filets, déposés en mer, peuvent se perdre en cas de mauvais temps : « Cela va poursuivre sa route et continuer ce qu’on appelle le Ghost Fishing. Des espèces seront toujours prises dans les filets à la dérive. »

Pour ce qui est du Demersal Trawl Net », les conséquences sont d’autant plus graves, puisqu’il s’agit d’atteintes aux fonds marins. « Ce filet gratte les fonds marins comme un peigne. Non seulement il y a des prises accessoires, comme c’est le cas pour le Driftnet, mais cela détruit également l’habitat et la biodiversité. Ce sont des endroits riches qui peuvent permettre à l’océan de se guérir », dit Vassen Kauppaymuthoo trouvant surprenante cette décision du gouvernement d’autoriser ces deux types de pêche, alors que Maurice s’y est toujours opposé depuis l’indépendance, en dépit des pressions.
Ce qui est d’autant plus intrigant, dit-il, c’est le terme utilisé dans l’annexe du budget. « On parle d’autoriser a Mauritian Vessel. Est-ce que cette activité sera réservée à un bateau de pêche en particulier ? Si tel est le cas, à qui et pourquoi? », s’interroge-t-il.

Espèces en danger

La démarche du ministère de l’Économie bleue, de la Pêche et du Transport maritime, fait fi de l’impact du changement climatique et de la situation concernant certaines espèces en danger. « Aujourd’hui, le stock de thon dans la mer Méditerranée s’est effondré et celui de l’océan Indien est en train de s’épuiser aussi. Il en est de même pour un tiers des stocks au niveau mondial. Malgré tous les signaux scientifiques, le ministère ouvre la voie à des techniques de pêche destructrices, auxquels nous avons toujours résisté jusqu’ici », trouve Vassen Kauppaymuthoo.

Il précise que des bateaux étrangers opérant dans la zone économique exclusive utilisent déjà des Purse Seiners et des Long Liners, qui sont tout aussi néfastes à l’environnement marin. « Un Purse Seiner peut atteindre entre 50 et 100 tonnes de poissons en une prise. Un Long Liner comprend 10 000 hameçons. Ces techniques engendrent également beaucoup de prises accessoires, dont 15 à 30% sont jetés à la mer. Donc, il y a déjà beaucoup de dégâts avec les bateaux étrangers, maintenant, nous voulons aussi permettre aux Mauriciens d’utiliser des outils de pêche tout aussi dangereux », dénonce-t-il.

Vassen Kauppaymuthoo s’interroge sur la pertinence des accords de pêche avec les pays étrangers. « Un accord de pêche avec l’Union européenne, par exemple, rapporte autour de 500 000 euros par an. En retour, nous leur vendons nos thons à environ Rs 2.50 le kilo, alors que les Mauriciens en achètent à Rs 150 sur le marché. Au final, on n’a rien à gagner, puisqu’on leur vend le poisson à tellement bas prix. Cela s’applique également pour les accords avec les pays asiatiques », ajoute-t-il.

L’océanographe et ingénieur en environnement estime qu’il aurait été plus approprié d’élaborer une vision globale du secteur de la pêche, surtout dans un contexte où les prises sont en baisse et que les pêcheurs locaux rencontrent beaucoup de difficultés. « Beaucoup de familles dépendent directement de ce secteur. Pe met later dan nou bouse manze », dénonce-t-il.

De son côté, Judex Rampaul, secrétaire du Syndicat des Pêcheurs, juge également alarmante la démarche du ministère de la Pêche. « Cette situation nous préoccupe. Il y a déjà les senneurs étrangers qui font beaucoup de dégâts dans notre mer ; maintenant, on va autoriser l’utilisation de ces filets très controversés. Il y a suffisamment de vidéos sur les réseaux sociaux montrant comment ces techniques de pêche sont néfastes pour notre environnement. Les autorités doivent être au courant », fait-il comprendre.

Le secrétaire du Syndicat des Pêcheurs ajoute qu’il y a quelques années, cinq bateaux chinois avaient déjà obtenu un permis pour le Trawling dans la zone économique exclusive. « Nous avions alors soulevé un tollé et on a mis fin à cette pratique. À moins que cela continue en catimini », indique-t-il.

Judex Rampaul se dit d’autant plus étonné que cette mesure est destinée aux opérateurs mauriciens. « Qui parmi les opérateurs mauriciens a les équipements et la formation nécessaire pour utiliser les filets dérivants et les sennes démersales ? En ce qui nous concerne, nous n’allons pas utiliser ces types de pêche. Nous allons poursuivre avec nos techniques traditionnelles et durables », rajoute-t-il.
Il lance également un appel au ministère de la Pêche de ne pas aller de l’avant avec ce projet.

Sudheer Maudhoo récidive

En novembre 2020, le ministre Maudhoo avait eu un clash virulent avec son Senior Chief Executive de l’époque, Bojrazsingh Boyramboli, parce qu’il voulait réintroduire l’utilisation des Shrimp Nets, soit l’épervier. Cet outil de pêche avait en effet été banni depuis longtemps dans le lagon en raison de son effet néfaste sur l’environnement. Il s’avère que c’est Bojrazsingh Boyramboli lui-même qui était Permanent Secretary à la Pêche, au moment de cette interdiction. D’où sa forte opposition à la décision du ministre.
Toutefois, le SCE a été transféré et peu de temps après, les formulaires pour un permis d’épervier étaient distribués à travers les Fisheries Posts dans l’île. Avec l’introduction des filets dérivants et des sennes démersales, c’est un nouveau pas dans la même direction, qu’entreprend le ministre.

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