Drogue, face à la crise — Des ONG réclament un programme de prévention urgent en milieu scolaire

CUT : “Nous avons perdu 10 ans de prévention”

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DRIP : “Ne sommes nous pas arrivés à une situation de non-retour ?”

Consciente de l’urgence de la situation de la drogue dans le pays, la société civile réclame une intervention rapide du gouvernement pour instaurer un programme de prévention en milieu scolaire. Les établissements scolaires ne peuvent plus rester obstinément fermés aux Organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans la prévention. La situation de la consommation de drogues à Maurice atteint des proportions alarmantes, affirment-elles. La circulation d’images sur les réseaux sociaux montrant des personnes sous emprise de substances n’est pas qu’un simple reflet du phénomène ; elle révèle une crise qui ne cesse de s’aggraver et témoigne du ras-le-bol des citoyens, en quête de mesures sévères pour combattre ce problème. Dans la chaîne d’un système de trafic bien rôdé, particulièrement dans certaines régions, des enfants sont exposés très tôt aux rouages de ce fléau.

Les établissements scolaires ne devraient plus rester fermés aux ONG spécialisées dans la prévention de l’usage des drogues. Le combat contre la prolifération des drogues et les nuisances qu’elles entraînent doit également passer par l’école. La société civile a, récemment, envoyé un message clair au gouvernement : il est impératif d’agir dans ce sens. Plusieurs ONG souhaitent organiser une rencontre dans les plus brefs délais avec le gouvernement, d’une part, pour l’alerter sur la situation de la drogue sur le terrain et, d’autre part, pour lui expliquer l’urgence de mettre en place un programme préventif au sein du cadre éducatif. Depuis des années, ces ONG réclament un accès direct aux élèves pour intervenir de manière préventive et éducative. L’objectif est de lutter efficacement contre ce fléau qui continue de se propager parmi les jeunes. D’un côté, de nombreux enfants – exposés dans leur environnement familial ou social à des pratiques où le trafic et la consommation de stupéfiants sont banalisés – risquent de se retrouver pris dans le cercle vicieux de la drogue. De l’autre, des adolescents scolarisés ont un accès facile aux substances pour une consommation récréative.

Face à la montée inquiétante de la consommation de drogues chez les jeunes, il devient impératif de mettre en place des mesures concrètes et efficaces pour les sensibiliser aux dangers de ces substances. C’est pourquoi la société civile pense qu’un programme de prévention standardisé doit être développé spécifiquement pour les écoles. Ce programme aura pour objectif de fournir aux élèves les informations nécessaires sur les risques liés à la consommation de drogues, tout en leur enseignant des compétences pour résister à la pression sociale, à la tentation, et à prendre des décisions éclairées. L’approche standardisée permettra de garantir la cohérence et l’uniformité du message, afin que tous les élèves, quel que soit leur établissement, aient accès aux mêmes informations et ressources. L’urgence de ce projet découle du constat alarmant des effets néfastes que la consommation de drogues peut avoir sur la santé, le développement et l’avenir des jeunes. Ce programme de prévention représente, donc, une réponse immédiate et nécessaire face à une problématique grandissante et préoccupante.

Contactée par Week-End, l’ONG Collectif Urgence Toxida (CUT) – l’un des principaux acteurs en matière de prévention contre la drogue et de réduction des risques – se dit prête à participer à la conception d’un programme pour les collèges. Les écoles primaires ne devraient pas être en reste dans ce plan de sensibilisation, d’autant plus que, comme le rappelle Danny Philippe de l’ONG Développement, Rassemblement, Information et Prévention (DRIP), “les jeunes enfants sont de plus en plus utilisés comme guetteurs” dans le système de vente de drogue dans certaines régions. Comme pour la santé reproductive et l’éducation à la sexualité dans les écoles, Maurice accuse un retard considérable en termes de prévention et d’information en milieu scolaire sur l’usage des substances.

Entre-temps, des enfants et adolescents continuent de se retrouver exposés à ces risques, souvent, sans avoir les informations nécessaires pour se protéger.  Et certains sont déjà un maillon dans la chaîne du trafic avec des hommes, des femmes ou… des consommateurs. “En étant absents dans les écoles pendant tout ce temps, nous avons perdu 10 ans de prévention”, déplore Jamie Cartick, directrice du CUT. “Faire passer le message dire non à la drogue est obsolète. La situation est trop critique. Nous avons besoin d’une approche qui parle aux collégiens, d’autant que certains sont déjà des usagers”, insiste Jamie Cartick.

Depuis ces dernières semaines, les réseaux sociaux semblent refléter une recrudescence inquiétante de la consommation de drogues synthétiques à Maurice. Des images et des vidéos montrant des usagers dans un état second, prises dans diverses régions de l’île, circulent largement sur les plateformes en ligne. Ces contenus alimentent une inquiétude grandissante parmi la population, d’autant plus que la visibilité de ce phénomène semble augmenter à mesure que les autorités peinent à maîtriser la situation. De plus, selon Jamie Cartick, après une période de pic – juste après les élections générales –, la situation semblait toujours se stabiliser. Cependant, cette fois-ci, les choses, dit-elle, sont bien différentes. La recrudescence de la consommation de drogues synthétiques ne montre aucun signe de ralentissement et pourrait même continuer à se propager à un rythme inquiétant, d’autant plus que la cocaïne – en surplus sur le marché – est désormais disponible par dose. Il y a quelque temps, cette drogue s’achetait au gramme, à partir de Rs 15,000.

“Ce que nous voyons actuellement était prévisible. Si toutes les mesures recommandées, comme la légalisation du cannabis, avaient été prises, nous n’en serions pas là. Nous sommes obligés de passer par une forme de légalisation si nous voulons endiguer les problèmes qui découlent de la consommation de drogues synthétiques. Nous assistons à une montée de l’agressivité dans la société. Les gens sont de plus en plus enclins à la violence, au road-rage… », constate la directrice de CUT. En décembre dernier, nous confie une habituée d’un quartier des Plaines-Wilhems, connu pour être un point névralgique du trafic de drogue, “les cas de vol à l’arrachée avaient grimpé et amplifié la peur chez les résidents.” Situé en plein cœur de cette région, le poste de police ne semble pas dissuader la vente de drogues, les vols, ni les bagarres ou agressions.

Jamie Cartick prévient : « Si cela continue, il ne serait pas étonnant que, dans peu de temps, le fentanyl (ndlr : opioïde synthétique extrêmement puissant, utilisé principalement dans le traitement de la douleur intense. Il est environ 50 à 100 fois plus fort que la morphine et 50 fois plus puissant que l’héroïne) circule à Maurice.” De son côté, Danny Philippe, de l’ONG DRIP, se demande : “Est-ce que nous ne sommes pas arrivés à une situation de non-retour ?” Comptant des décennies d’engagement dans le combat contre la drogue, Danny Philippe, qui fait partie des figures incontournables de la prévention, avoue : “C’est la première fois que je vois une telle dégradation de la situation. J’ai comme un sentiment d’impuissance face à ce qui se passe en ce moment.”

Les images de toxicomanes sous emprise de drogues chimiques qui circulent sur Facebook ne seraient pas des cas isolés. Selon Danny Philippe, il a reçu une vingtaine de photos et de vidéos montrant la même situation alarmante dans différentes régions de l’île. Facebook est désormais utilisé comme un outil de dénonciation par des citoyens, pour signaler des dealers et des réseaux de trafic de drogues, tout espérant attirer l’attention des autorités et des autres membres de la communauté. “Tou dimounn kone kot vann ladrog! S’il le faut, qu’on déploie la Special Mobile Force dans les endroits stratégique puisque l’Anti Drug Smuggling Unit semble avoir besoin d’aide !”, lance-t-il. Entretemps, ce sont des produits de plus en plus nocifs qui entrent dans la préparation des drogues dites synthétiques, entraînant des séquelles graves, voire fatales.

En attendant qu’une autre structure de coordination prenne le relais du National Drug Secretariat – appelé à être remplacé –, les ONG et leurs partenaires du secteur public n’ont plus la possibilité de poursuivre leurs échanges et leur travail en commun. “L’année dernière, nous avons participé à un atelier de trois jours organisé par le National Drug Secretariat dans le cadre du National Drug Control Masterplan 2024-2028. Qu’en est-il de ce Master Plan ? Est-ce à dire que nous avons travaillé pour rien ? Nous avons besoin d’un pôle de coordination, car nous devons impérativement relancer la réflexion et mettre en place un plan d’intervention national”, réclame Danny Philippe.

Dans ce plan d’intervention, un chapitre dédié à la prévention auprès des enfants est crucial, car ces derniers, plus vulnérables, deviennent des proies faciles dans le système du trafic. “Pourquoi fréquenter un centre d’apprentissage après l’école quand on peut se faire un peu d’argent facile pour s’acheter à manger et subvenir aux besoins de sa famille ? Quand on est dans la pauvreté, sa priorité est ailleurs que l’école ou les activités sociales !”, fait remarquer une animatrice travaillant dans une région affectée par la drogue synthétique.

Des enfants grandissent dans un environnement où des dealers, n’ayant que quelques années de plus qu’eux, les utilisent parce qu’à leur âge, ils ne sont pas encore toxicomanes. Donc, aucun risque que les plus petits sapent leurs affaires. Cependant, ce sont ces mêmes enfants qui, en grandissant, rêveront de devenir “le patron du quartier”, de s’acheter la voiture de leurs rêves, et de faire comme certains qui claquent des liasses lors de soirées musicales et réservent des tables pour des sommes faramineuses dans les clubs les plus fréquentés…

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