Collégien et Père à 16 ans : Il cumule de petits boulots pour élever son fils d’un an

Kevin, 16 ans, est collégien et père d’un enfant d’un an. Son fils est né lorsqu’il avait 15 ans et qu’il était en Grade 10. La mère de son enfant, qu’il appelle « mo madam », a 19 ans. Ils se sont rencontrés il y a trois ans et elle est tombée enceinte après leur premier rapport sexuel. Kevin avait alors 14 ans.

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Pour subvenir aux besoins de son bébé, Kevin, qui vit en alternance chez sa « compagne », travaille après les heures de classe. La parentalité précoce est principalement perçue comme un phénomène féminin. Le cas de Kevin n’est pas fréquent, mais pas isolé non plus et renverse cette perception. Bien plus qu’un problème d’ordre pénal — même si la jeune fille était aussi mineure au moment de sa grossesse, elle est aujourd’hui majeure et vit avec un mineur —, la situation de Kevin soulève des questions éducatives liées à la sexualité. Elle concerne également le rôle du père adolescent dans la parentalité précoce et l’importance de l’accompagnement des jeunes pères.

« Cet après-midi, je ne suis pas allé travailler. Je rattraperai le retard demain », dit Kevin (nom modifié), 16 ans, trop fatigué pour faire des efforts physiques supplémentaires. Ce jour-là, il a fait un break. Il a besoin de souffler avant de reprendre un rythme que la paternité lui a contraint. Pour subvenir aux besoins de son bébé, âgé d’un an, et soutenir la mère de son enfant, Kevin nous explique qu’il n’a trouvé d’autres moyens que de travailler après les heures de classe. Il fait de petits travaux chez des particuliers qui le connaissent. En ce moment, c’est du jardinage. Faire ce choix, admet-il, n’a pas été facile, car cela demande une organisation. Il doit jongler entre l’école, ses devoirs et ses nouvelles responsabilités de père.

Ainsi, dans son sac, il n’y a pas que ses livres et autres matériels scolaires. Il y a aussi des vêtements. « Ce sont mes habits de travail. Parce que je vais directement chez mes clients après le collège. Je me change chez eux. Cela ne leur pose pas de problème », explique l’adolescent. Jardinier, peintre — il a appris la peinture en bâtiment avec son père —, il vient d’ajouter un autre service à sa liste. « J’ai acheté du matériel de coiffure dont une tondeuse à cheveux pour proposer des coupes. Mon tarif est de Rs 150 pour les enfants et Rs 200 pour les adultes. Je vais même à domicile. Mo bizin debriye », confie encore Kevin.

« Mo ti pe bizin pe viv enn lot lavi »
Avec ses petits boulots en dehors des heures d’école, il lui arrive de gagner jusqu’à Rs 17 000, de quoi assurer ses responsabilités de père. À 16 ans seulement, il a l’impression, dit-il, de vivre une vie qui ne lui appartient pas ! « Mo ti pe bizin pe viv enn lot lavi. Pe fer lot zafer. Ena enn kantite zafer ki mo pa pe gagn fer. Mo pa pe kapav sorti ek mo bann kamarad, al fet. Avant je pratiquais le foot, je m’entraînais, j’ai dû abandonner », lâche Kevin. Quand on lui demande ce qu’il fait au lieu de profiter de sa vie d’adolescent, il répond sans détour : « Mo bizin vey tibaba. » Regrette-t-il ? Après un instant de réflexion, il concède : « Mo ena enn ti regre. » Durant cette conversation avec Kevin, il racontera aussi, à sa manière, un peu gauche, sa joie d’être père. Ses sentiments sont confus. Devant la paternité précoce, il doit assumer des responsabilités auxquelles il n’était pas préparé et faire l’impasse sur son adolescence.

« Mo madam »
« Mo’nn zwenn mo madam dan enn konser », confie Kevin. « Madam », c’est ainsi qu’il parle de celle qui est devenue la mère de son bébé, dont il est toujours amoureux, dit-il, qu’il trouve « zoli » et avec qui il se voit dans dix ans. Kevin avait alors 13 ans et elle 16 ans. « Elle ne faisait pas son âge, elle paraissait plus jeune. Je ne savais pas qu’elle était plus âgée que moi. Mo ti kontan so manier », poursuit l’adolescent. S’en est suivi des échanges de numéros de téléphone et d’interminables conversations. « C’est au bout de deux mois qu’elle m’a révélé son âge. Cela ne m’a pas dérangé », dit-il. Les deux adolescents se sont vus et revus. La jeune fille était scolarisée. Et quelques mois plus tard, soit un an après leur rencontre, ils ont leur premier rapport sexuel. Il a alors 14 ans et elle 17 ans. Ce rapport sexuel non protégé a suffi pour que la jeune fille tombe enceinte.

« Elle voulait garder le bébé »
« Elle était à son troisième mois de grossesse quand elle a su qu’elle était enceinte. J’ai eu un choc. Mo pa ti pe krwar. Mo ti pe demann mwa si eski sa laz-la ki mo pou vinn papa ! », raconte Kevin. L’adolescente, inquiète, se confie alors à sa mère. Une fois la nouvelle digérée, cette dernière n’a pas tardé à se rendre chez Kevin, dont les parents sont séparés. C’est la mère du garçon qui accueille l’adolescente et la mère de celle-ci. « Quand ma mère a appris la grossesse de ma femme, elle ne voulait pas entendre parler d’un bébé. La mère de ma femme était plus ou moins du même avis. Mais pas elle, elle voulait garder le bébé », poursuit le collégien.
Il lui a fallu, dit-il, du temps pour réaliser que sa petite amie attendait leur enfant. Cette période jusqu’à l’accouchement l’a perturbé. « J’étais en Grade 10. Ma scolarité a été profondément affectée. J’ai carrément échoué à mes examens et j’ai dû recommencer cette classe cette année. Mes études se passent bien mieux maintenant », explique Kevin, qui a pour matière préférée les mathématiques. « J’adore faire les calculs et les réflexions que cela demande », fait ressortir ce dernier. Au huitième mois de grossesse de sa petite amie, Kevin s’installe chez elle. « Mo’nn al rest kot li pou donn li koudme, akonpagn li dan so bann randevou », explique-t-il.

« Il ne porte pas mon nom »
À la naissance de son fils, Kevin a à peine 15 ans. Et la mère du bébé, déscolarisée et qui ne remettra plus les pieds au collège, en a 18. « J’étais très heureux. Je l’ai pris dans mes bras », confie Kevin. La jeune fille, majeure, déclare son bébé. « Il ne porte pas mon nom », se désole Kevin. « Je vais remédier à cela quand je serai majeur », assure-t-il. Si le petit ne porte pas le nom de son père, en revanche, celui-ci a participé au choix de son prénom, un mélange de celui de ses parents. Depuis la naissance de son enfant, Kevin vit en partie chez sa compagne et chez lui, auprès de sa mère.

Avec l’arrivée d’un enfant dans sa vie, il a délaissé les devoirs à la maison pour les biberons, les couches et le bain du bébé. « Ma belle-mère m’a montré comment lui donner le bain », dit-il. Quant aux devoirs, il s’arrange pour les faire la plupart du temps au collège afin d’être plus disponible pour le bébé. Le matin, lorsque lui enfile son uniforme pour le collège, après avoir aidé sa compagne la veille à faire dormir son bébé ou à lui donner à boire, la jeune femme, elle, va travailler. Elle est femme de ménage. C’est la mère de cette dernière qui garde l’enfant du jeune couple. « Ma mère s’en occupe aussi », confie Kevin.

« C’est un secret »
« Mon but est de vivre avec ma femme et mon fils dans notre maison. Ce sera pour bientôt », avance Kevin, comme si le temps allait s’accélérer pour l’aider à concrétiser son rêve dans les mois à venir. Et de rectifier : « Quand je dis bientôt, ce n’est pas de sitôt. Je dois finir le collège d’abord. » Jardinier, peintre ou encore coiffeur, ce ne sont pas les métiers qu’il souhaite faire plus tard. « Mo ti anvi al travay lor bato krwazier. Me mo pa panse mo pou kapav fer sa », avance le jeune garçon, non sans regret. Malgré les contraintes de la parentalité précoce, il affirme passer de bons moments en famille, notamment avec ses proches, tous réunis lors des occasions spéciales. Kevin a été appelé à prendre ses responsabilités, tout en étant soutenu. « Avec ma femme, nous sortons quelquefois, histoire de passer du temps ensemble avec notre fils. Nou al pas enn ti lazourne parla, manz enn zafer », confie l’adolescent.

Au collège, seuls ses meilleurs amis sont au courant de sa paternité. « C’est un secret », dit-il. Ses enseignants ou encore l’administration ne connaissent pas sa situation. « Si les autres élèves du collège savent que je suis père, ils vont réagir bêtement. Kapav gagn lager tou ar zot », concède Kevin. Les pères précoces, assure-t-il, il en rencontre. « Ils ne sont pas aussi jeunes que moi. Ils ont 18 ou 19 ans », souligne le jeune garçon, qui promet presque de ne pas devenir à nouveau père avant longtemps. « Depuis, nous nous protégeons pendant nos rapports sexuels. J’ai fait une erreur une fois, je ne suis pas près de recommencer », dit Kevin. Et il conseille même aux jeunes de son âge « de prendre des précautions et d’utiliser des protections » pour éviter une grossesse et une paternité juvéniles.

Paternité précoce
Réalité ignorée à Maurice
La parentalité précoce ne se limite pas à la grossesse, mais implique aussi la paternité. Ce phénomène concerne aussi de jeunes garçons. À Maurice, on le sait, la grossesse précoce est un problème social préoccupant, principalement en milieu économiquement précaire. Selon la Banque mondiale, en 2022, 20 filles sur 1 000 âgées de 15 à 19 ans ont accouché à Maurice. Comme nous le constatons depuis de nombreuses années sur le terrain, la grossesse précoce est un phénomène générationnel dans la majorité des cas. Pour plusieurs raisons, la parentalité précoce est souvent associée principalement aux filles, alors qu’elle concerne les deux parents. D’ailleurs, jusqu’ici, toutes les sensibilisations et réflexions ont ciblé les filles. Stigmatisation, médiatisation, impact biologique, prise en charge, scolarité : tous les aspects relevés et traités dans cette problématique peuvent conduire à une perception selon laquelle la parentalité précoce est surtout un phénomène féminin. Même si les garçons sont, peut-être, de plus en plus concernés par la paternité précoce, ils sont cependant moins visibles dans les discussions sur la parentalité juvénile. Dans la majorité des cas rencontrés, le père des enfants des filles-mères est un jeune (parfois très jeune) adulte, quand ce n’est pas un homme de leur entourage ayant abusé d’elles.

Ouvrir la discussion
Dans un contexte où les adolescents sont de plus en plus actifs sexuellement, il est important d’ouvrir la discussion sur la paternité précoce. Si l’éducation à la sexualité est une réponse en termes d’information, de responsabilisation et de sensibilisation, il est nécessaire de définir l’approche et les mesures à adopter en réaction à une paternité à l’adolescence. Gaëlle Schluchter, fondatrice de LespriSexy et animatrice d’ateliers d’éducation affective et sexuelle, rappelle l’importance — en priorité — de l’éducation à la sexualité auprès des adolescents. « Ils n’ont pas conscience des risques d’un rapport sexuel non protégé, ni du coût et des responsabilités qu’engendre un bébé », dit-elle. Lorsqu’un des jeunes, encore mineur, qu’elle a accueilli dans son atelier lui a confié qu’il allait devenir père, Gaëlle Schluchter concède qu’elle s’est retrouvée dans une situation d’impuissance. Pour cause, malgré toutes les informations données, dans la pratique, les adolescents n’ont pas toujours accès à des moyens de protection. « Pour le moment, je ne peux que lui proposer mon écoute, mon accompagnement et le responsabiliser. Il a eu la démarche de me contacter, c’est déjà bien. Il reconnaît son implication dans la grossesse de son amie », explique Gaëlle Schluchter.

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