Cherté de la vie : Quand les plus démunis s’enlisent

Emma 11 ans, les journées sans manger, ne sont pas rares

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  Le bain des petits à l’eau froide quand il n’y a plus de gaz

Avec le coût de la vie qui ne cesse d’augmenter, une question revient souvent : Comment font les plus pauvres, ceux au bas de l’échelle de la société mauricienne, pour vivre ? Le revenu minimum garanti et les aides sociales ne sont pas forcément la réponse à la problématique de la pauvreté. Avec une pension d’invalidité de Rs 14 000, Cindy*(Prénom fictif) 46 ans, n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille. Endettée, elle compte sur une ONG pour avoir un vrai repas deux fois par semaine. Il y a des jours où personne ne mange. Même si la bonbonne de gaz ménager est passée de Rs 240 à Rs 190, les plus petits prennent leur bain à l’eau froide. Pour vivre, les plus vulnérables de la société doivent se débrouiller, s’endetter, s’adapter à cause d’une inflation enlisante.

Emma*, 11 ans, ne mange plus à sa faim. La jeune fille, qui est en Grade 6, ne mange que lorsque sa mère, Cindy, peut acheter de la nourriture, c’est-à-dire à la fin du mois, de temps en temps, ou quand elle en reçoit d’autres. Vendredi dernier, Emma n’est pas allée à l’école « pour réviser à la maison ». Ce jour-là, elle a mangé un œuf et une tranche de pain le matin, au petit-déjeuner, puis… rien, si ce n’est une tasse de thé pendant la journée, jusqu’au repas du soir qu’elle est allée chercher avec sa mère auprès de l’Organisation non-gouvernementale Caritas. Cela se passe souvent ainsi, nous raconte Cindy, 42 ans.

Deux fois par semaine, accompagnée d’Emma, la mère de famille se présente au bureau de l’ONG en fin d’après-midi. « J’apporte deux bols : un pour le riz, l’autre pour le curry. Parfois, nous recevons un fruit, parfois un yaourt », dit Cindy. Cette dernière explique qu’elle compte beaucoup sur cette distribution alimentaire pour le repas de sa famille, dont son mari de 46 ans. « J’ai une fille de 22 ans. Elle est mère de deux enfants âgés de 4 et 2 ans. Les trois vivent avec moi. Quand je vais chercher à manger à Caritas, on me donne cinq parts », dit-elle. La mère de famille attendra encore cinq jours avant de retourner à l’ONG pour le prochain repas.

Cindy dit ne pas avoir le choix que de trouver de l’aide pour nourrir sa famille. Pas de place pour l’orgueil ou la gêne. Une fois la fin du mois passée, subvenir aux besoins alimentaires de sa famille est devenu pour elle un parcours du combattant. Il y a encore quelque temps, même lorsqu’elle travaillait, elle avait du mal à s’en sortir. « Avant de rentrer à la maison, j’appelais la petite et je lui disais de se préparer. Nous allions ensuite chez des proches pour demander quelque chose à manger. Si nous ne trouvions rien, je frappais à toutes les portes, y compris celle de la boutique du coin. Mais le plus souvent, le boutiquier refuse de m’aider. Il me dit que lorsque la boutique ferme, il ne va pas l’ouvrir », confie Cindy.

Cindy, épileptique, perçoit une pension d’invalidité de Rs 14 000. Elle vit dans une maison qui appartenait à sa belle-mère et ne paye pas de loyer. « Ce qui est une chance », dit-elle, sinon, un loyer aurait une charge supplémentaire qu’elle n’aurait pu s’acquitter. « Sa ti ogmantasion Rs 500 ki finn gagne la, li bien bon. Me larzan-la fini vit », dit Cindy. Malgré sa pension d’invalidité, elle n’hésite pas à faire le ménage chez des particuliers lorsqu’il y a une demande. Ce qui est risquant, car elle pourrait voir sa pension annulée. « La vie n’a pas toujours été aussi difficile que maintenant. Elle a été très dure, mais pas comme ça ! » lance Cindy, avant d’expliquer que ses crises d’épilepsie ne l’avaient pas empêchée de travailler dur.

« J’étais maçon. Mo ti pe lev boner pou mo al travay avek enn kontrakter. J’ai aussi été jardinier, j’ai travaillé pour l’embellissement des passages du métro. Je gagnais Rs 800 par jour. Mon mari aussi travaillait. Il était jardinier également. Nous pouvions manger », raconte Cindy. C’est lui qui, en premier, se retrouve au chômage à cause des problèmes de santé qui se sont par la suite aggravés. « Je suis devenue le seul pilier économique de ma famille et à assumer les dépenses. Je ne dormais plus. Le stress m’a rendue malade, j’ai fait plusieurs crises nécessitant une hospitalisation. Ajouté à cela les séquelles d’une précédente opération chirurgicale qui limite mes efforts, je ne m’en sortais plus. J’ai dû arrêter mon travail de maçon », confie Cindy.

« Ce matin, j’ai été à la boutique pour acheter trois œufs à Rs 12 l’unité. Enn dizef kout Rs 12 ! Je n’avais pas d’argent pour en acheter plus ! Il n’y a pas de beurre chez moi. Enn bwat diber inn depas Rs 100. Pour que ma fille de 12 ans ne mange pas de pain sec, j’ai été acheter des oeufs pour notre petit-déjeuner. Parfois, quand il n’y a rien à mettre dans le pain, on est obligés de manger notre pain sec, accompagné de thé sans lait ! L’autre fois, ma fille est partie à l’école pendant une semaine avec un oeuf seulement dans son pain », raconte Cindy. Avec ses Rs 14 000, la mère de famille explique, tout en faisant le compte, qu’elle doit rembourser le crédit que lui accorde le boutiquier de son quartier. « Kan get bien, mo pa aste komision, mo ranbours laboutik. Mo pran komision lor kredi, lafin dimwa mo ranbourse se ki mo’nn aste avan. Ale mem komsa », dit-elle. La note : Rs 4 000. « D’ailleurs, je ne peux pas mettre les pieds au supermarché où les produits sont bien moins chers que dans une boutique de quartier », fait-elle remarquer. « Dès que je reçois ma pension, la première chose que je dois faire est d’acheter les médicaments de mon époux, ce qui me fait environ Rs 1 500, sinon plus. Il est suivi à l’hôpital. Mais on préfère acheter ses médicaments à la pharmacie, ils sont efficaces et ceux de l’hôpital ne sont pas suffisants », explique Cindy.

Cindy poursuit le compte en ajoutant les leçons particulières : Rs 800, de sa benjamine. Toutefois, cela fait quelques mois depuis qu’elle ne paye plus l’enseignant d’Emma. « Je dois reconnaître qu’il est très compréhensif », concède Cindy, qui n’a pu acheter non plus les livres dont sa fille a besoin en cours privé. Ce sont les camarades d’Emma qui lui envoient les chapitres et devoirs via l’application WhatsApp. Cindy n’est pas à jour également sur ses factures d’électricité et d’eau. Au mois dernier, le montant pour les deux s’élevait à Rs 2 000. En payant ses factures une fois sur trois pour financer d’autres besoins, Cindy s’est finalement retrouvée dans un cercle qu’elle n’arrive plus à boucler. « À un moment, je suis obligée de payer mon électricité de peur qu’elle ne me soit coupée », admet-elle.

Malgré la baisse de prix du gaz ménager qui est passé à Rs 190, Cindy confie n’avoir pas pu en acheter, n’ayant toujours pas reçu sa pension. « Ces derniers temps, j’ai dû préparer nos repas et faire chauffer l’eau sur les plaques électriques du four. Mo kouran inn vinn ankor pli ser », dit la mère de famille. C’est par souci d’économie qu’elle ne fait pas chauffer l’eau de bain d’Emma et de ses petits-enfants, malgré la température hivernale. « Zot fini abitie ar delo fre », assure Cindy, qui continue à rembourser l’achat, à crédit, du four. Avec moins de la moitié de sa pension en main, Cindy assure les dépenses du quotidien et celles de ses petits-enfants. « Ce n’est que depuis peu que ma fille aînée a été embauchée comme maçon et ne dépendra plus financièrement sur moi. Elle pourra s’occuper de ses enfants », dit-elle. « Mo nepli al bazar. Mo dwa marsan. Mo aste legim zis kan mo kapav », confie-t-elle encore. Quand elle achète une barquette de poulet ou de viande, elle les ajoute à une grande quantité de grains secs ou de la papaye verte pour permettre à tous les membres de sa famille d’en avoir. Dans deux mois, Emma fera sa première communion. C’est grâce à un élan de solidarité qu’elle pourra participer à la cérémonie religieuse. Il ne lui manque que des chaussures. Cindy a deux mois pour les lui acheter.

« Ena zour mo atann tanto vini », confie de son côté Valérie*, 36 ans, mère de trois enfants âgés de 17 à 6 ans. Si elle attend l’arrivée de l’après-midi, c’est pour avoir l’impression qu’il ne lui reste que peu de temps avant qu’une longue journée et son lot de tracasseries ne s’achève. Et aussi parce que chaque jour qui se présente est un défi pour la jeune femme, qui n’a plus un sou dans son porte-monnaie depuis quelques semaines. Valérie, qui travaillait pour le compte d’un propriétaire d’une villa, a été remerciée pour des raisons économiques en janvier de cette année. Elle s’occupait des réservations.

Son mari, un ancien policier qui était parti tenter sa chance à l’étranger, est rentré au pays après avoir réalisé que l’herbe n’était pas plus verte ailleurs. Sa reconversion dans la rénovation de bâtiments n’aura duré que quelques mois avant de se retrouver au chômage. Sans revenu et n’étant bénéficiaire d’aucune prestation sociale, le couple a quasiment touché le fond en un clin d’œil. « Mon mari a trouvé du travail dans une usine comme ouvrier il y a un mois. Il vient de toucher son premier salaire » explique Valérie.

« Tou dimounn pe koz reveni minimem. Ena pe krwar ki ou dan bien ar enn reveni minimem. Sa larzan-la pa enn gran zafer », dit-elle. Après avoir remboursé les crédits pour l’achat de la télévision, de deux portables pour les cours en ligne et devoirs des deux adolescents scolarisés, les emprunts pour acheter des produits alimentaires, payer les factures impayées, entre autres, faire les courses… le premier salaire de son mari ne fera pas long feu. La construction de la maison de Valérie attendra. « Quand nous travaillions, nous avions commencé à rénover notre maison et refaire la toiture. Les travaux n’ont pas pu avancer. An 2024 mo pe viv dan enn lakaz kouver ek zis lamwatie tol ! » se désole Valérie. Les privations alimentaires et sacrifices vont continuer. L’eau chaude pour le bain ne sera pas pour de si tôt. Ni le fromage régulièrement réclamé par les enfants, et encore moins le yaourt.

Lorsqu’elle a perdu son emploi, la jeune femme n’est pas restée les bras croisés. « Je n’ai pas hésité à faire le ménage chez des particuliers pour faire vivre ma famille au jour le jour. Mon mari aussi a accepté de passer à ouvrier pour que nous puissions au moins manger sans demander constamment de l’aide », confie Valérie. Elle explique qu’elle a pu jusqu’ici compter sur l’aide de ses proches pour nourrir sa famille. « Ils savent que nous sommes réellement en difficulté », poursuit Valérie. « Pour payer les frais d’examens de mon fils pour sa deuxième tentative au School Certificate, j’ai pris toute l’économie que j’avais faite lorsque je travaillais. Il voulait arrêter l’école et trouver du travail pour nous aider. J’ai refusé, car pour l’instant, sa place est à l’école », raconte-t-elle.

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