Assises de l’éducation : consultations pour réformer le système

Les Assises de l’éducation se tiendront du 15 au 17 avril. Les parties prenantes ont déjà soumis leurs propositions en vue de réformer le système éducatif et de faire face aux défis que représentent la drogue et la violence en milieu scolaire. Treize thèmes ont été arrêtés pour ces assises qui réuniront les éducateurs, administrateurs et pédagogues, entre autres. Les étudiants auront également voix au chapitre. Voici quelques idées partagées par différents partenaires, dans le cadre de cet événement.

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Dr Pascal Nadal (SeDEC) :

« Élargir notre compréhension du mot éducateur »

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Lors d’une table ronde organisée par l’Institut Cardinal Jean Margéot, le Dr Pascal Nadal, directeur adjoint et responsable de la formation au Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), a plaidé pour une valorisation du personnel non-enseignant, qui agit en complémentarité au personnel enseignant, dans l’éducation. « La réflexion tourne souvent autour de ce que les éducateurs et les administrateurs pensent. Or, comme aime bien le dire mon collègue Jimmy Harmon, les membres du personnel de soutien sont les yeux et les oreilles de cette présence adulte hors des salles de classe et dans la cour de l’établissement scolaire.»

Il cite en exemple, le Gatekeeper, premier point de contact avec l’école. Dans un contexte où l’on parle tous les jours de la présence grandissante de la drogue, ce dernier a un rôle important à jouer. « C’est lui le premier point de contact du personnel scolaire avec quiconque qui s’approche de l’enceinte de l’école, qu’il soit élève, parent, chauffeur de van, policier ou dealer. C’est celui qui connaît le mieux les noms des élèves, car il a en sa possession le registre de toute l’école pour pouvoir noter les noms des retardataires.»

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Il cite encore, le School Clerk qui prodigue les premiers soins lorsqu’un élève se blesse, ou encore, le Library Officer, au courant de certains goûts particuliers des élèves, lorsqu’il voit sur quel livre ou magazine se rue systématiquement tel ou tel élève dès qu’il pénètre dans la bibliothèque. « L’état de ces classes que les membres du personnel de soutien doivent balayer et les objets qu’ils retrouvent en fin de journée ont aussi quelque chose à révéler sur la façon dont cette journée d’apprentissage s’est déroulée à l’école. »

D’où son appel à élargir notre compréhension du mot éducateur et comprendre l’importance que chaque membre du personnel a, au-delà de l’enseignant. « Je ne suis pas un idéaliste quand je parle d’étendre la compréhension du mot éducateur. Il est indéniable que c’est l’enseignant qui a le plus long temps de contact direct avec l’apprenant, mais le curriculum chargé et les enjeux des examens font que l’enseignant connaît souvent l’élève, plutôt à travers le prisme de la matière qu’il enseigne et pas toujours en tant que jeune avec une personnalité complexe.»

La salle de classe, poursuit le Dr Pascal Nadal,  est souvent un lieu de vie artificiel. « La sonnerie de la cloche est le signe déclencheur pour beaucoup d’enfants qu’ils peuvent maintenant être eux-mêmes et faire tout ce qui leur a été proscrit pendant les heures où ils sont restés assis dans la salle de classe.» C’est alors, que le rôle du personnel de soutien prend tout son sens. Une complémentarité entre le personnel enseignant et non-enseignant, permettra un encadrement plus holistique de l’apprenant, insiste-t-il.

Il émet le souhait de voir un jour, des Assises de l’éducation où « des partenaires éducatifs comme des School Clerks, des General Workers, des Attendants, des Library Officers auraient aussi l’occasion de porter leur casquette d’adultes éducateurs dans le sens large et amener une réflexion d’ordre pédagogique sur l’apprentissage. » Au-delà de l’encadrement en dehors des classes, il évoque également le rôle qu’un Library Clerk peut jouer, en partenariat avec l’enseignant, pour apprendre aux élèves de HSC le référencement pour citer les sources. Particulièrement dans le contexte où le risque de plagiat est plus que jamais présent, avec l’intelligence artificielle.

C’est pour cela, dit-il, qu’il faudrait élargir notre conception du mot éducateur, « qui permettra de concevoir l’éducation comme une série de vases communicants, au lieu d’être comme des silos, où chacun se contente de remplir la série de tâches qui lui incombent ». Dans le même ordre d’idées, il regrette que des forums comme les Assises de l’Education réunissent souvent les secteurs, séparément. « C’est certes un arrangement pratique quand vous devez réunir autant de monde, mais il aurait quand même fallu que les différents secteurs puissent s’entendre mutuellement et dialoguer. Ce n’est pas le secondaire qui peut solutionner, seul, le problème d’analphabétisme en Grade 7, puisque c’est un problème hérité du primaire.»

Harrish Reedoy (recteur) :

« Pour un conseil national de discipline scolaire »

Pour Harrish Reedoy, recteur dans un collège d’État, la montée de l’indiscipline dans les écoles mauriciennes demeure une préoccupation majeure, qui appelle à des réformes immédiates et en profondeur. Des perturbations constantes en classe et de l’absentéisme à la possession de drogues et aux comportements violents, le système éducatif est de plus en plus mis à l’épreuve. « Les causes profondes de ce problème sont multiples, mais elles sont aggravées par un système qui privilégie les résultats scolaires au détriment du développement comportemental, l’absence d’une structure disciplinaire solide, et qui n’implique pas suffisamment les acteurs clés tels que les parents et la communauté.»

Il suggère ainsi que pour sortir de cette situation complexe, il y ait des réformes à la fois éducatives, institutionnelles, légales. « Le premier domaine majeur nécessitant une réforme est le programme scolaire. Le système actuel est fortement axé sur l’aspect académique, mettant presque exclusivement l’accent sur la réussite aux examens. Nous célébrons les lauréats, mais nous négligeons de reconnaître ou de récompenser les élèves qui font preuve, de manière constante, de bonne conduite, de respect, d’empathie et de leadership. »

Il fait ressortir que la réforme du Nine-Year Continuous Basic Education (NYCBE) avait introduit le Social and Emotional Wellbeing (SEW) et la Life Skills Education. Toutefois, ces interventions ont manqué de profondeur et de structure pour provoquer un changement systémique. Il propose ainsi que l’éducation civique soit introduite comme matière, de grade 1 à grade 13 et examinable à partir de grade 4. « Cette matière devrait aborder des thèmes essentiels tels que le respect de l’autorité, la résolution de conflits, la citoyenneté numérique, l’état de droit, les droits et responsabilités, la préservation de l’environnement, ainsi que la sensibilisation aux dangers de la drogue et de la violence.»

Bien que la réforme du programme soit essentielle, elle doit être accompagnée d’un cadre disciplinaire structuré au sein des écoles, ajoute-t-il. Il insiste également sur la présence de personnel qualifié, entièrement dédié à la discipline. « Plutôt que de compter principalement sur les psychologues scolaires – dont l’efficacité à endiguer les problèmes de comportement à grande échelle reste à démontrer – il est vivement recommandé que le ministère de l’Éducation donne la priorité au recrutement de Discipline Masters et d’assistants Discipline Masters.»

Ces professionnels, précise-t-il, seraient la référence pour toutes les questions relatives à la discipline et ils travailleront en étroite collaboration avec la direction des établissements scolaires, assureraient la liaison avec les parents et les organismes externes, et dirigeraient des programmes d’intervention comportementale. « Leur présence apporterait cohérence, autorité et soutien tant aux enseignants qu’aux élèves.»

Il partage également l’exemple du Camp de Masque State College où un Behaviour Management Point System a été mis en place avec succès. « Dans ce système, les élèves accumulent ou perdent des points en fonction de leur conduite, de leur ponctualité, du respect envers le personnel et leurs camarades, de leur participation à la vie scolaire et du respect des règlements intérieurs.» Les infractions répétées telles que les perturbations en classe, la non-utilisation des poubelles pour les déchets ou le non-respect du code vestimentaire entraînent des retraits de points, tandis qu’un bon comportement et l’engagement communautaire permettent d’en gagner.

En ce qui concerne la possession des drogues, il indique que les écoles adoptent une politique de tolérance zéro, soutenue par des cadres juridiques et de réhabilitation. « Les incidents impliquant la possession ou l’usage présumé de drogue doivent être traités conformément à la Dangerous Drugs Act. La loi doit être revue afin d’inclure des procédures claires  pour le contexte scolaire.»

Un autre domaine crucial, mais trop souvent négligé, selon lui, est l’implication des parents. « Souvent, quand les parents sont convoqués pour discuter de questions disciplinaires concernant leurs enfants, ils ne se présentent pas. La raison la plus souvent évoquée est l’impossibilité d’obtenir une autorisation de leur employeur.» Pour remédier à cela, il suggère d’amender la Workers’ Rights Act, afin d’y inclure le Congé Éducatif Parental. « Il s’agirait d’un congé de courte durée, justifié, permettant aux parents d’assister aux réunions scolaires concernant le bien-être et le comportement de leurs enfants.»

Par ailleurs, la mise sur pied d’un Conseil national de discipline scolaire devrait également aider à surveiller les tendances, évaluer les résultats et recommander, chaque année, des décisions politiques fondées sur des données probantes.

En conclusion, ajoute Harrish Reedoy, la lutte contre l’indiscipline ne devrait pas se limiter à des mesures réactives ou des réformes fragmentées. Cela nécessite, dit-il, une transformation audacieuse et systémique, fondée sur l’éducation, la loi et la responsabilité.

Vinod Seegum (GTU) :

« L’enseignement des valeurs humaines à tous les niveaux »

Vinod Seegum, négociateur de la Government Teachers Union, lance un appel pressant en vue de relancer l’éducation aux valeurs humaines, sur des bases appropriées, dans les écoles. Il souligne que dans les années 80, les signes visibles et inquiétants d’une société en déclin étaient déjà présents. Un programme d’éducation aux valeurs humaines avait été élaboré, mais sa mise en application a été interrompue pour diverses raisons. Il partage cette expérience afin d’éviter les erreurs du passé.

Dans le cadre de ce programme, s’appesantit-il, des discussions avaient été engagées et une panoplie d’actions élaborées. « Il fut donc unanimement convenu que l’attention ne devait pas se porter uniquement sur la réussite scolaire, mais aussi sur l’enseignement et l’acquisition des valeurs humaines universelles, seuls garants d’une société modèle.»

Ce qui a donné lieu à une réflexion profonde sur la promotion des valeurs et la bonne attitude, susceptibles de stimuler et de favoriser la réflexion éthique, les principes et les valeurs, tout en créant un environnement propice à l’assimilation, par les élèves, de la notion globale de valeurs. « Celles-ci incluent l’honnêteté, l’amitié, le respect, la responsabilité, l’empathie, la compassion, la justice, la citoyenneté, l’équité et la dignité.»

Dans cet esprit, une Académie de l’Éducation aux Valeurs humaines fut créée, sous l’impulsion du défunt Dr Dev Ramnauth. « Ce dernier avait fait appel à quelques-uns de mes amis proches pour prêter main-forte à la production et à la conception de manuels scolaires variés portant sur les Valeurs Universelles, avec de petites histoires illustrant l’équité, la justice, la tolérance et l’empathie.»

Il y avait également unanimité quant à l’intégration de l’Éducation aux Valeurs Humaines (EVH) dans l’enseignement et l’apprentissage, dès la maternelle. « Les manuels scolaires furent prêts en un clin d’œil. Mes amis vinrent me les présenter et m’informèrent que les livres allaient être distribués dans toutes les écoles sous peu. Effectivement, quelques jours plus tard, les manuels furent répartis dans toutes les écoles primaires de l’île.»

Toutefois, ajoute-t-il, le système de Ranking, en vigueur à l’époque et la course vers les meilleurs collèges risquaient de reléguer au deuxième plan l’Éducation aux Valeurs Humaines. « Nous connaissons tous le sort réservé aux matières Non Core dans le système. Elles sont écrasées et étouffées par un système de compétition excessif.»

Cependant, ajoute-t-il,  il fut convenu d’y donner une chance. L’Académie des Valeurs Humaines fut lancée. Des instructions furent données à tous les acteurs pour apporter leur aide et leur contribution au projet, qui fut bien accueilli par l’ensemble. « Mais la tragédie ne tarda pas à survenir. Les détracteurs ne perdirent pas de temps pour tenter de démolir le projet, affirmant qu’il s’agissait d’une perte de temps qui nuirait aux performances académiques des enfants, surtout dans le contexte hautement compétitif de l’examen du CPE.» Pour aggraver les choses, des considérations religieuses s’y sont mêlées, avance-t-il.

Différentes tentatives de sauver le programme à l’époque, n’ont pas abouti. Vinod Seegum est d’avis que face à la situation actuelle, notre seule planche de salut, demeure l’enseignement des valeurs humaines à tous les niveaux, en commençant par la maternelle. Il suggère une approche multidimensionnelle, visant à inculquer des valeurs positives aux élèves, favorisant un développement holistique allant bien au-delà de simples réussites scolaires.

Ce programme, ajoute-t-il, pourrait inclure la participation de role models, des personnalités influentes ou d’anciens élèves ayant réussi dans leur carrière, pour partager avec les élèves et les motiver : « En somme, l’Éducation aux Valeurs Humaines pourrait être déclarée obligatoire. Il n’existe aucune autre cure pour remettre sur les rails notre société en déclin — une société où même des enfants du primaire sont désormais exposés à la drogue. Il s’agit là d’une expression sincère, profonde, venue du cœur. C’est maintenant ou jamais.»

Il ajoute qu’il est impératif d’entamer des consultations intensives pour relancer ce projet, sans plus tarder. « Demain, il pourrait être trop tard !»

ht

Le programme des Assises

Les Assises de l’Éducation se tiendront du 15 au 17 avril au MGI, Moka. La cérémonie d’ouverture verra la participation de plusieurs personnalités étrangères, engagées dans l’éducation. Le Professeur David Stephens, de l’Université de Brighton, fera le déplacement, tandis que le recteur de l’Académie de la Réunion, Rostane Mehdi, délivrera un message enregistré. Albert Nsengiyumva, Executive Secretary, de l’Association for the Development of Education in Africa (ADEA) sera présent, tout comme Louise Haxthausen, Regional Director de l’UNESCO.

Le premier jour des Assises sera réservé au préscolaire. La session plénière est prévue après la partie protocolaire. Le deuxième jour, ce sera au tour des acteurs du primaire d’engager les discussions au cours de la matinée. L’après-midi sera réservé au secteur Special Education Needs.

Le troisième jour, le secondaire est programmé pour la matinée et l’après-midi sera consacré au secteur TVET (formation professionnelle).

Le ministre de l’Éducation, Mahend Gungapersad, fera la conclusion de ces trois jours de discussions en fin d’après-midi.

 Les thèmes retenus

Le ministère de l’Éducation a élaboré une liste de sujets sur lesquels les participants aux Assises ont été invités à soumettre leurs propositions. Ces thèmes seront débattus au cours des différentes sessions plénières. Ceux-ci sont :

La révision du curriculum; l’indiscipline/violence/bullying/drogue; la promotion automatique au primaire; partenariat avec la famille; promotion des activités extra-curriculaires; la mixité dans les académies; formation et renforcement des capacités du personnel; la promotion des apprentissages de base et le développement à la petite enfance;  révision du cadre légal de l’éducation et du secteur informel; l’inclusion et la promotion du secteur SEN; évaluation du Foundation Programme on Literacy, Numeracy and Skills; la promotion de l’orientation professionnelle; l’utilisation de la technologie, de l’innovation et de la créativité dans l’éducation; et tout autre sujet lié à l’éducation.

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