Arnaud Marrier d’Unienville, CEO d’Alteo Agri Ltd – « l’industrie affectée par le coût aux champs et la rareté de la main-d’œuvre »

Dans une interview accordée à LeMauricien, Arnaud Marrier d’Unienville observe que l’industrie sucrière est confrontée à deux défis majeurs : le coût élevé de l’exploitation des champs et la rareté de la main-d’œuvre.

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Arnaud Marrier D’Unienville, vous êtes bien placé pour nous parler de la production sucrière pour la récolte de cette année. Comment se présente-t-elle ?

Le 11 juin dernier, le Crop Estimate Coordinating Committee avait estimé la production sucrière pour la récolte 2024 à 250 000 tonnes, soit représentant une augmentation d’environ 5% par rapport à la récolte précédente. Toutefois, il est important de rester prudent quant à ces prévisions, car elles dépendent largement des conditions climatiques et de la maturation de la canne à venir.

La moyenne de la production sucrière ces dernières années était d’environ 250 000 tonnes, ce qui paraît relativement faible. Est-ce cela désormais notre potentiel de production ?

Évoquer une moyenne de production sucrière de 250 000 tonnes ces dernières années peut sembler faible, mais il est crucial de considérer la diminution constante des superficies cultivées. En effet, la superficie récoltable de l’île est passée de 60 380 hectares en 2009 à 35 863 hectares en 2023, soit une diminution annuelle moyenne de 3%. Cette tendance à la baisse, constatée depuis plusieurs années, s’accentue progressivement, posant la question essentielle : comment stopper cette hémorragie ?

L’industrie sucrière est confrontée à deux défis majeurs. Tout d’abord, les coûts élevés liés à l’exploitation des champs récoltés manuellement, amplifiés par la rareté de la main-d’œuvre agricole locale et la saisonnalité de l’activité. Ensuite, il est crucial de considérer les coûts et la nécessité de transition vers la mécanisation, de la plantation à la récolte, pour assurer la pérennité du secteur, dû à un manque de main-d’œuvre.

La production sucrière est-elle toujours une activité rentable ?

Actuellement, la production sucrière est rentable, avec des prix atteignant environ Rs 27 000/tonne lors de la coupe de 2023, bien que ce prix élevé ait été influencé par la crise en Europe.

Nous anticipons une baisse des prix pour la coupe de 2024, se situant autour de Rs 23 000 par tonne. Malgré cela, en raison de nos méthodes de culture optimisées, avec plus de 90% de nos champs entièrement mécanisés, nous restons confiants quant à la rentabilité future de la culture de la canne à sucre chez Alteo.

Chaque année, nous convertissons 150 hectares de champs précédemment exploités manuellement en champs entièrement mécanisés pour renforcer notre position pour l’avenir.

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la prochaine « re-certification » Bonsucro ?

La prochaine re-certification Bonsucro revêt une importance cruciale en termes de crédibilité et d’engagement envers le développement durable. En renouvelant notre certification, nous démontrons notre engagement continu en faveur de pratiques durables.

La certification Bonsucro est reconnue à l’échelle internationale, ce qui renforce notre réputation et nous différencie de nos concurrents sur le plan mondial. De plus, elle nous ouvre les portes de marchés de plus en plus exigeants en matière de responsabilité sociale et environnementale, ce qui est essentiel pour notre croissance et notre pérennité.

Quelles mesures spécifiques Alteo a-t-il prises pour s’assurer qu’il respecte les normes Bonsucro pour une production durable de canne à sucre ?

Chez Alteo, nous avons mis en place des mesures supplémentaires pour nous conformer aux normes de durabilité de Bonsucro, en mettant l’accent sur la fertilisation. En 2023, nous avons lancé un projet pilote de compostage qui sera pleinement opérationnel lors de la présente récolte.

Notre objectif principal est d’améliorer la fertilité de nos sols tout en réduisant de manière significative l’utilisation de fertilisants chimiques, allant au-delà des exigences de Bonsucro. Cette initiative témoigne de notre fort engagement en faveur du développement durable.

L’urbanisation gagne de plus en plus de terrain. Jusqu’où irons-nous ? Comment établir un équilibre entre la production sucrière et l’urbanisation ?

Alteo détient une vaste étendue de terres dans l’est, dont plus de 90% sont consacrés à l’agriculture, principalement la culture de la canne à sucre et l’élevage de cerfs. Comme je l’ai déjà mentionné, nous prévoyons d’augmenter les superficies sous culture de canne à sucre à raison de 150 hectares annuellement au cours des dix prochaines années.

Cependant, nous sommes pleinement conscients de l’importance de l’urbanisation croissante et de la nécessité d’établir un équilibre harmonieux entre notre activité agricole et le développement urbain. En tant qu’acteur économique majeur et responsable, il nous incombe de valoriser nos acquis tout en préservant ce qui rend notre région unique. Nous nous engageons à travailler en étroite collaboration avec les autorités locales, les communautés et les autres parties prenantes pour garantir un développement durable qui profite à tous, tout en préservant l’environnement et le caractère distinctif de notre région.

Êtes-vous affecté par le problème de main-d’œuvre ?

Je mentionnais au début de cet entretien la rareté de la main-d’œuvre agricole locale. Tout planteur de canne exploitant des champs cultivés manuellement aujourd’hui fait face à de grandes difficultés pour trouver de la main-d’œuvre agricole. L’âge moyen de cette catégorie d’employés est aujourd’hui proche de 60 ans. Il ne reste donc pas beaucoup de temps pour trouver des solutions pérennes.

La mécanisation est-elle l’une des uniques options ? Pourrait-on mécaniser toute la production sucrière de l’île ? Pourriez-vous nous parler des alternatives ?

La mécanisation offre des avantages indéniables en termes d’efficacité et de productivité, mais il est essentiel de noter que même avec une mécanisation poussée, une certaine main-d’œuvre restera indispensable. Une mécanisation complète de toute la production sucrière de l’île est un processus complexe qui prendrait des décennies et qui n’est pas réaliste.

Il est donc préférable de se concentrer sur la mécanisation des activités saisonnières et intensives en main-d’œuvre, telles que la coupe, où des solutions efficaces existent déjà, comme cela a été démontré à La-Réunion. Par exemple, la coupeuse pays est une technologie qui mérite d’être explorée davantage.

Quid de la main-d’œuvre étrangère ? Le ministre de l’Agro-Industrie a parlé récemment de l’introduction de petites récolteuses à l’intention des petits planteurs. Qu’en pensez-vous ?

Il est indéniable que l’introduction de petites récolteuses pour les petits planteurs, tel que mentionné par le ministre de l’Agro-industrie, constitue une mesure nécessaire et louable pour atténuer temporairement la pénurie de main-d’œuvre sur le marché agricole et soutenir les petits planteurs.

Cependant, il est impératif d’accélérer le processus d’intégration de main-d’œuvre étrangère, étant donné que l’âge moyen des travailleurs agricoles mauriciens avoisine les 60 ans, avec un manque de relève dû au désintérêt des jeunes pour l’agriculture.

Bien que le cadre régissant la main-d’œuvre étrangère dans le secteur agricole devrait être revu selon les indications du dernier budget national, des détails supplémentaires sont nécessaires avant de s’avancer. Il est crucial de permettre le recrutement d’ouvriers agricoles étrangers pouvant travailler dans l’ensemble du secteur agricole, et non limités à un seul domaine, comme c’est actuellement le cas lorsque nous recrutons de la main-d’œuvre étrangère pour le secteur sucrier.

Les petits planteurs rencontrent des difficultés en raison de leur petite taille, ce qui les empêche d’accéder directement à la main-d’œuvre étrangère et les contraint à recourir à des jobs contractors. Ces derniers font face à des obstacles pour faire venir la main-d’œuvre étrangère, notamment en raison de la nécessité d’offrir un travail continu toute l’année, une exigence parfois difficile à satisfaire dans des secteurs à activité saisonnière comme l’industrie sucrière.

Ce cercle vicieux entrave la capacité des petits planteurs à garantir un emploi stable aux jobs contractors, les dissuadant ainsi de faire venir de la main-d’œuvre étrangère et contribuant à l’abandon progressif de la culture des champs manuels des petits planteurs.

Vous êtes aussi engagés dans la production alimentaire avec la création de la marque Origin’Est. Pouvez-vous nous parler de vos projets dans ce domaine ? Par ailleurs, le Covid a remis sur le tapis la question de l’autosuffisance alimentaire. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, la question de l’autosuffisance alimentaire est cruciale pour Maurice, nécessitant des solutions rapides pour renforcer sa sécurité alimentaire et réduire sa dépendance aux importations. Dans le cadre de notre engagement envers cette cause, l’équipe de direction d’Alteo Agri a entrepris une réflexion approfondie pour repenser nos projets de diversification en mettant l’accent sur le respect de l’environnement, du bien-être animal et de la santé des consommateurs.

En adoptant des pratiques culturales durables, nous avons rapidement compris l’importance de regrouper nos produits diversifiés sous une marque commune, mettant en avant notre engagement en faveur d’une production durable et raisonnée. C’est ainsi que la marque Origin’Est a vu le jour.

Origin’Est propose des tomates et des laitues cultivées sous serres, certifiées sans pesticides de synthèse, ainsi que de la viande de cerf provenant d’un élevage en semi-liberté, sans apport alimentaire extérieur.

Pourriez-vous définir l’agriculture de précision et expliquer ses principes et technologies clés ? En quoi se distingue-t-elle des méthodes agricoles traditionnelles ?

L’agriculture de précision est une approche moderne de la gestion agricole, qui utilise des technologies avancées pour observer, mesurer et récolter des données dans les champs afin d’optimiser les opérations agricoles et d’améliorer la productivité et la durabilité des cultures. Ces informations permettent de prendre des décisions plus éclairées et de mettre en œuvre des pratiques agricoles plus ciblées. En résumé, l’agriculture de précision en culture de canne à sucre vise à optimiser les rendements, réduire les coûts de production, minimiser l’impact environnemental et favoriser une gestion plus durable des terres agricoles.

Comment Alteo a-t-elle intégré les technologies de l’agriculture de précision dans ses pratiques agricoles ?

Par exemple, dans la culture de la canne à sucre, lors du processus de replantation d’un champ, nous redessinons les parcelles pour accroître la productivité. Pendant cette phase, le positionnement optimal des lignes de canne est calculé par des ordinateurs. Ces lignes géoréférencées sont ensuite transmises aux équipements, tous équipés de systèmes autopilotés à la précision centimétrique.

Enfin, nos techniciens, qu’il s’agisse de la plantation, de la récolte, de la lutte contre les mauvaises herbes ou de la fertilisation, positionnent leurs équipements avec une grande précision, réduisant ainsi la largeur des passages et augmentant la surface cultivable. Cette méthode de mécanisation préserve les souches de canne et est essentielle pour maintenir des rendements élevés dans la culture de la canne à sucre, où les engins utilisés sont de plus en plus lourds.

Quels sont les principaux objectifs de ces initiatives ? Comment sont-ils mis en œuvre sur le terrain ?

Les objectifs principaux de ces initiatives sont variés. En premier lieu, nous visons à réduire les coûts de production tout en améliorant les rendements agricoles. Pour cela, nous optimisons les processus, réduisons les gaspillages et augmentons l’efficacité globale de nos opérations.

Pour atteindre ces objectifs, une équipe de techniciens hautement qualifiés, spécifiquement formés aux technologies de pointe utilisées dans nos pratiques agricoles, est en place. Ces techniciens travaillent en collaboration avec nos spécialistes pour intégrer efficacement ces technologies dans nos opérations quotidiennes.

Sur le terrain, cela se traduit par une utilisation précise d’équipements dotés de systèmes avancés de géolocalisation et d’autopilotage. Chaque étape, de la préparation des sols à la récolte, est réalisée de manière optimale pour maximiser les rendements et minimiser les impacts environnementaux. En résumé, notre approche repose sur l’excellence opérationnelle, la formation continue du personnel et l’engagement envers des pratiques agricoles durables et innovantes. Ainsi, nous parvenons à concilier efficacité, rentabilité et respect de l’environnement dans nos activités agricoles.

Quels sont les avantages spécifiques de la mise en œuvre de l’agriculture de précision sur l’île ?

L’agriculture de précision offrira des avantages significatifs aux producteurs. En plus de permettre une réduction des coûts de production, elle permet également une utilisation plus efficace des ressources, telles que l’eau et les intrants agricoles, ce qui contribue à la préservation de l’environnement. De plus, en ciblant de manière précise les besoins des cultures, l’agriculture de précision aide à optimiser les rendements et à assurer une meilleure qualité des produits. En outre, en réduisant les gaspillages et en améliorant la gestion globale des exploitations, cette approche contribue à une agriculture plus durable et rentable.

Propos recueillis par Jean Marc POCHE

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