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À Bain de Rosnay : Inquiets, des pêcheurs écrivent aux ministres Obeegadoo et Maudhoo

Des pêcheurs de la région de Bain de Rosnay ont décidé de reprendre les choses en main. Durant la semaine, deux lettres ont été envoyées aux autorités. La première sur la réhabilitation urgente de la Fish Landing Station a été envoyée au ministre de la Pêche Sudhir Maudhoo et la seconde au ministre du Tourisme, Steven Obeegadoo, pour la proclamation de la petite plage sauvage de Bain de Rosnay publique. Deux actions citoyennes fortes qui résultent de plusieurs années de frustration face à des autorités qui semblent faire fi de l’existence et des doléances de cette petite communauté de pêcheurs de Goodlands.

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Ils sont une vingtaine de pêcheurs, 22 pour être plus précis. Généralement timides, ils ont aujourd’hui décidé de faire entendre leur voix, de nouveau. En effet, en 2017, à l’annonce d’un projet immobilier comprenant la construction de plusieurs villas de luxe, les habitants de la région s’y étaient vertement opposés. Huit ans après, les choses n’ont pas beaucoup bougé dans ce petit village du nord-est de l’île.

Ils réagissent, entre autres, à la déclaration du ministre d’octroyer un millier de permis supplémentaires aux pêcheurs. “On est choqués de voir ce qui se passe en ce moment. Que l’on recrute encore d’autres pêcheurs et qu’on leur accorde des permis, d’accord, mais dans quelles conditions ces jeunes vont-ils travailler ? Aujourd’hui, nous-mêmes qui avons grandi dans des familles de pêcheurs de pères en fils, nous décourageons nos enfants de se lancer dans ce métier”, nous confie Jérôme Lafrance. Âgé de 46 ans, cela fait 20 ans depuis qu’il pêche dans la région de Goodlands.

“Je suis né dans une famille de pêcheurs. Et même quand j’étais jeune, j’ai essayé d’autres métiers, disan peser ti dan mwa”, dit-il. « Nou montre bann’la kouma lapes pou zot nouri zot fami, wi, me samem tou », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, il nous parle en son nom, mais aussi au nom de ses 22 collègues pêcheurs inquiets comme lui de l’avenir de leur village et de leur gagne-pain. “On a décidé de se regrouper pour faire remonter nos problèmes aux autorités et, malheureusement, ceux-ci ne datent pas d’hier.” Jérôme Lafrance poursuit que les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles pour la communauté de pêcheurs de Bain de Rosnay. “Le sentier que nous empruntons de chez nous vers notre lieu de travail, soit la mer, est rocailleux. Ena bizin sarye moter bato toulezour lor zot ti motosiklet. Li pa fasil”, dit-il. En effet, Jérôme Lafrance explique que la majorité des pêcheurs de la région de Bain de Rosnay habitent de petits villages de Goodlands, dont Madam Azor, Mamzel Zann ou encore Triang. “Les gens ne le savent peut-être pas, mais dans ces petits villages excentrés, il y a des générations entières de pêcheurs.”

Jérôme Lafrance regrette aussi qu’il n’y ait pas de débarcadère comme dans de nombreux villages de pêcheurs de l’île. “Les autorités savent qu’on existe, on a reçu nos permis, mais alors pourquoi n’avons-nous pas de débarcadère digne de ce nom pour amarrer nos pirogues ? Pourquoi personne ne nous voit ou nous écoute ?” s’indigne-t-il.

“Vous savez, beaucoup de pêcheurs préfèrent ne pas élever la voix, mais moi je pense qu’il est temps de le faire, car c’est un métier qui disparaît mais qui reste noble.” Il nous explique qu’aujourd’hui « les gens consomment du poisson importé de pays étrangers qui est frigorifié et vendu dans des supermarchés, alors qu’il y a du poisson quasiment au même prix chez le poissonnier du coin. De plus, il n’y a pas de comparaison possible au niveau du goût. »

Il soutient, par ailleurs, que “les gens disent que le poisson frais est cher, oui, mais il faut comprendre pourquoi.” Jérôme Lafrance explique ainsi que les frais de l’essence pèsent de plus en plus lourd « car on n’a pas de duty free, nous » et qu’ils sont obligés d’augmenter les prix, même si “quand on voit que des gens n’ont pas à manger et il y en a de plus en plus, on donne ces poissons gratuitement.” Quant à l’avenir du métier, Jérôme Lafrance est on ne peut plus conscient du réchauffement climatique. “Les habitants de la mer, soit les espèces marines, sont les premières victimes et pourtant beaucoup semblent ne pas comprendre. Nous les pêcheurs, les gens de mer, nous connaissons la mer plus que personne, mais on ne nous écoute pas.”

De plus, il explique que la “petite plage sauvage” de Bain de Rosnay est laissée pour compte depuis trop d’années et qu’elle n’est surtout pas à l’abri de promoteurs qui souhaiteraient “accaparer et privatiser cette partie de la plage.” Jérôme Lafrance ne veut pas que cela se produise, ayant vu cela ailleurs dans d’autres régions de l’île.

“Cette plage est surtout fréquentée par les gens de Goodlands et ses alentours, et elle reste pour nous un héritage à protéger”. Ainsi, dans la lettre adressée au ministre du Tourisme Steven Obeegadoo, le regroupement de pêcheurs demande noir sur blanc que “we are calling on you in your capacity of Minister responsible for the subject of housing and lands to declare as public beach, the coastal region situated in the district of Rivière du Rempart known as Bain de Rosnay as per section 2 of the Beach Authority Act.”

Cette reconnaissance de l’État aiderait non seulement à protéger la plage de Bain de Rosnay de développement sauvage, mais aiderait aussi à l’entretenir. “Il n’y a aucun éclairage. Les habitants doivent eux-mêmes apporter leurs lumières. Il n’y a pas de banc non plus pour les habitants. Quant aux poubelles, ce sont nous-mêmes qui les apportons… ” confirme Jérôme Lafrance. Stefan Gua, porte-parole de Rezistans ek Alternativ, qui accompagne la communauté des pêcheurs depuis quelques années déjà, tire lui aussi la sonnette d’alarme, et ce, depuis 2017 !

En effet, un projet immobilier privé dans la région occupée par les pêcheurs et les habitants serait en gestation. Présent sur le terrain en novembre 2020 pour s’opposer à ce projet, Rezistans ek Alternativ et les pêcheurs craignent que le promoteur n’ait pas lâché l’affaire. Ils demandent ainsi aux autorités d’agir tant qu’il est encore temps.

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