38 ans du Centre Idrice Goomany – Imran Dhanoo : « On nous a retiré les traitements pour soigner les accros au Brown Sugar »

– Cassam Uteem : « Mes amis politiciens me chicanaient car je voulais résoudre le problème de la drogue en 24 heures tant l’urgence était grande ! »

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Le Groupe A de Cassis et le Centre Idrice Goomany (CIG) de la Plaine-Verte, à Port-Louis, ont plusieurs points en commun, notamment du fait qu’ils sont tous deux engagés dans le soutien aux personnes dépendantes aux substances nocives, essentiellement aux drogues. Ces deux centres partagent aussi un dénominateur commun très important : ils ont démarré leurs opérations la même année, soit en 1986.

Et si le Groupe A de Cassis offrait écoute, conseils et soins médicaux élémentaires, « le CIG a pu proposer également un premier traitement médical de désintoxication, à base de comprimés (nommément la Tricodéine Solco/Codéine phosphate) pour aider les victimes dépendantes. Grâce, nommément, aux nombreux médecins qui sont venus nous épauler et nous soutenir dans nos efforts, au fil des années. Cette première étape se fait en attendant que ces patients puissent opter pour un traitement, soit à base de la méthadone soit suivant d’autres options qui sont disponibles », explique le responsable du centre, Imran Dhanoo.

Cependant, depuis quelques années maintenant, « le ministère de la Santé ne nous permet plus d’offrir cette partie de nos prestations ». « Ce qui complique la donne, et de manière importante, car l’on sait que quand un toxicomane a décidé de décrocher, si les avenues de traitement ne sont pas accessibles dans un laps de temps correct, il va inévitablement rechuter, se tourner vers d’autres types de drogues… Tout cela vient rendre notre tâche bien difficile », soutient encore M. Dhanoo.

Il se souvient que « quand le brown sugar est arrivé à Maurice au début des années 80, c’était rapidement la catastrophe ». Il suivait, à l’époque, une formation auprès de l’IDP (Institut Développement et Progrès), sous la houlette du diocèse de Port-Louis. « Très spécifiquement, c’était une formation de base de travailleur social. Ally Lazer, Sam Lauthan, Sattar et Samad Dulloo, père et fils respectivement, le Dr Reychad Abdool, m’ont approché pour me demander de les rejoindre au sein de ce qui allait devenir le CIG », dit-il.

Imran Dhanoo se souvient encore que « je voyais tomber des jeunes de mon âge, de jeunes adultes qui avaient, par curiosité et recherches de sensations fortes, goûté au Brown Sugar et ne pouvaient plus s’en passer ». Ces victimes d’addictions cherchaient de l’aide. Le Dr Abdool, A. Lazer et ces autres personnes qui m’avaient approché voulaient venir en aide à ces jeunes et leurs familles. « Nous ne pouvions voir autant de souffrances autour de nous et rester indifférents. » Pourtant, il se préparait parallèlement à d’autres avenues.

Au final, indique-t-il, comme il avait à se rendre au centre dans le cadre d’un projet sur lequel il travaillait, il finit par y passer plus de temps qu’il ne le pensait… « Et de fil en aiguille, j’ai rejoint la grande famille du centre ! »

À cette époque, relate encore M. Dhanoo, la dose de brown sugar ne se vendait pas comme maintenant. « C’était un papier avec 40 lignes qui coûtait Rs 15 ou Rs 20 » Le produit n’étant pas connu des travailleurs sociaux ni des médecins qui épaulaient le centre en acceptant d’encadrer les patients venus chercher de l’aide, des médicaments leur étaient prescrits par le Dr Abdool, ainsi que les autres qui venaient en aide, comme le Dr Hyderkhan, Esoof, Ghanty, entre autres.

« Ce n’est qu’après plusieurs années que nous avons commencé à donner du Tricodéine Solco/Codéine phosphate aux patients. Pendant plusieurs années, nous avions un accord avec la pharmacie Nazroo qui fournissait à nos patients les médicaments que les médecins du centre leur prescrivaient. » De même, ajoute M. Dhanoo, ils constituaient une équipe très motivée.

« Sincèrement, nous étions convaincus qu’avec nos efforts redoublés, nous allions parvenir à débarrasser le pays de ce démon qu’est la drogue et protéger nos jeunes de cet enfer. » Avec ces bénévoles, se souvient-il encore, « nous étions auprès de ces jeunes victimes jusqu’à fort tard dans la nuit et à 22h, 23h, nous étions toujours à les écouter, les guider, les orienter. »

Pendant de longues années, le profil du toxicomane était surtout de jeunes adultes de 20 à 30 qui s’essayaient au Brown Sugar. En quête de plaisirs et de sensations fortes. Et surtout, il y a ce mythe que la prise de drogues augmente les prouesses sexuelles, ce qui a piégé beaucoup de jeunes, effectivement. Garçons comme filles.

« De nos jours, cette donne n’est plus la même, hélas ». Imran Dhanoo évoque le rajeunissement et la féminisation des consommateurs de substances nocives, d’autant qu’avec les drogues synthétiques, ce sont carrément les enfants qui sont piégés. Et le plus grave, c’est que, comme dans les années 80 quand le Brown Sugar inondait le pays, aujourd’hui encore, « nous n’avons guère d’informations sur ces drogues de synthèse qui sont très différentes et qui contiennent des substances que les fabricants changent tout le temps ! »

Celui qui mène l’équipe du CIG depuis ces trois dernières décennies reconnaît que le gouvernement fait des efforts. « Au niveau du traitement, les choses ont bougé, avec le traitement de la méthadone, les mesures de Réduction des risques (RdR) comme l’échange de seringues, aussi. Néanmoins, c’est un domaine où les progrès ne se constatent pas du jour au lendemain. Il faut beaucoup investir dans l’humain et avoir de la patience. Le soutien, l’encadrement psychosocial, l’accompagnement… tout cela fait partie d’un même contrat moral », poursuit-il.

 

CASSAM UTEEM : « Nous voulions débarrasser le pays de ce problème en 24 heures ! »

Au départ des opérations du Groupe A de Cassis et du CIG, au milieu des années 80, Cassam Uteem était alors maire de Port-Louis. « L’arrivée du Brown Sugar n’a fait qu’amplifier le problème ! Dans les faubourgs des villes, surtout de la capitale, le gandia et l’opium causaient déjà un tort conséquent. Me pa kouma Brown Sugar ! La prolifération dans ces quartiers des périphéries des villes a vu l’arrivée des trafiquants qui s’installaient dans ces régions. Inutile de dire que l’insécurité a gagné rapidement du terrain. Les citoyens avaient peur de voir des bagarres à tout moment du jour comme de la nuit. »

L’autre épisode qui a provoqué la peur et l’incompréhension : des victimes s’écroulant en pleine rue, victimes d’overdose. Et il y avait également ceux qui décédaient à l’hôpital. « Ayant pris naissance et grandi dans la région de la Plaine-Verte, ce que je voyais autour de moi m’affectait beaucoup certainement. Avec quelques amis, travailleurs sociaux de la première heure, bénévoles, surtout, nous ressentions l’urgence d’une riposte, la nécessité d’une réaction concertée », dit-il.

De ce fait, Cassam Uteem décide de verser son allocation mairale au Groupe A de Cassis ainsi qu’au CIG « pour soutenir leurs efforts de venir en aide aux victimes des drogues ». Dans le même souffle, la municipalité mit également à leur disposition des espaces dans les quartiers de la ville où ces animateurs bénévoles pouvaient recevoir les malades, leurs proches et parents, les conseiller, leur parler et démarrer une partie du traitement. « Jusqu’à ce qu’ils parviennent à trouver un local où transférer leurs services. »

« La politique a eu un effet néfaste, car certains étant de mèche avec les trafiquants, ils se servirent de leur position pour se rapprocher de certains politiciens ». L’on voyait ainsi débarquer de gros bras et des voyous dans des meetings, histoire d’intimider les gens. « Pour moi, il n’y avait pas cinq solutions : nous devions tout mettre en œuvre pour débarrasser le pays dans les plus brefs délais de ce problème qui allait rapidement gangrener notre jeunesse ! »

Aussi, quand il intervient lors des rassemblements politiques, « je clamais haut et fort que nous devions trouver des solutions en 24 heures ». Ce qui ne manquait pas d’amuser les autres politiciens. « Nombre d’entre eux me chicanaient et me demandaient si je ne rêvais pas en pensant que j’allais résoudre ce problème en 24 heures ! »

Cassam Uteem avoue que « sur le moment, nous étions tellement troublés par l’ampleur de ce problème et nous nous sentions tellement investis de l’envie de sauver nos compatriotes que cela nous paraissait dans le domaine du possible ! »

Une quarantaine d’années plus tard, dit-il, une situation encore plus compliquée prévaut avec l’avènement des drogues de synthèse. « Nou ti panse nou ti pou resi debaras sa problem la dan kelke zane. »

L’ancien président de la république soutient que « si nous avons pu mes frères, moi, et ceux qui gravitaient autour de nous, échapper aux pièges des trafiquants et ne pas dévernir, nous aussi des esclaves des drogues dès cette époque, c’est bien grâce à nos parents ».

Il se souvient que sa mère, même si elle n’avait pas eu la chance de faire de grandes études, lisait beaucoup le Coran et trouvait le temps, chaque jour, de leur accorder une attention particulière. « Pour nous écouter, nous conseiller, nous guider… Et notre père, bien entendu, en pratiquant une grande fermeté, beaucoup de sévérité, nous mettait en garde contre ces pièges. »

Il conclut : « C’est dommage aujourd’hui que la famille, l’école et la religion n’aient plus autant d’impact et de place dans la vie de nos jeunes ! »

 

Dr Reychad Abdool  : « Nous n’avions ni formation ni connaissances pour aider les victimes »

Ancien membre de l’effectif de l’UNODC pour les régions Afrique de l’Est et océan Indien, et actuel consultant de cette agence onusienne, le Dr Reychad Abdool a participé à la mise en place et la création du CIG. Natif de la région de la Plaine-Verte et des quartiers avoisinants, il revenait à l’époque de ses études universitaires.

« La situation était critique ! Ceux qui consommaient le brown sugar et commençaient à en être malades ne savaient pas quoi faire. Et d’autre part, personne n’avait la formation ou la connaissance ni le savoir-faire pour répondre à ces attentes », explique-t-il.

La priorité des consommateurs, continue le médecin, c’était de guérir. « Trouver un traitement qui les soulagerait. Zot ti bizin sekour ! Me nou mem pa tipe konpran are ki nou pe fight la. » De fait, élabore-t-il, « nous donnions à ces jeunes des médicaments pour calmer leurs douleurs ».

Le Dr Abdool prend alors conseil avec le psychiatre de renom de cette époque, le Dr Rajah : « Je lui expliquais ma démarche et ce dont j’avais besoin. » Le Dr Abdool a établi ainsi le contact avec une Ong Suisse qui lui envoyait de la documentation via la poste. « Et c’est ainsi que j’ai commencé à me familiariser avec le phénomène des addictions. »

Cependant, relève-t-il, ce n’est pas comme maintenant avec l’Internet et les outils technologiques ! Il fallait beaucoup attendre. « There was not much sadly, that we could do on the spot. Heureusement, quand même, avec l’aide que nous apportaient des personnes comme Cassam Uteem, ensuite Jérôme Boulle, nous avions aussi plusieurs médecins, comme les Drs Atchia, Esoof, Ghanty qui sont venus soutenir nos efforts. »

Il se souvient qu’à l’époque, le Dr Piat donnait un coup de main au Groupe A de Cassis. « Ensemble, nous multiplions les efforts pour aider le maximum de toxicomanes à essayer de sortir de cet enfer », indique-t-il.

Ce qui frappe beaucoup le Dr Abdool à l’époque, déjà, c’est le nombre de femmes qui prenaient de la drogue. « Nous avions même des femmes enceintes… Et le nombre allait en augmentant. C’était bien problématique. De nos jours, continue le professionnel de médecine, la situation a énormément empiré avec l’avènement des drogues synthétiques. Avec les produits comme la cocaïne et d’autres substances encore, il nous est encore plus difficile d’aider les victimes. »

De par son poste au sein de l’UNODC, le Dr Reychad Abdool continue à apporter son soutien aux accros des substances, aux centres de traitements et l’État mauricien. « Les 10 à 14 ans sont les victimes les plus vulnérables. Nous ne pouvons pas leur donner les mêmes soins qu’aux adultes. L’approche et le traitement sont différents », fait-il ressortir.

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