Le Premier ministre, Pravind Jugnauth a marqué sa présence sur la scène médiatique, cette semaine, sur le thème de l’urgence absolue d’une lutte sans concession contre la drogue à Maurice et dans la région. Une initiative légitime d’un chef de gouvernement symbolisé par le slogan “Unis contre la drogue”, calculé pour se remettre au centre de l’actualité sur un sujet sensible et fédérateur au moment où l’opposition, finalement en alliance, occupe les devants de la scène politique.
Dommage, donc, à ce stade que l’initiative du PM ne soit pas frappée du sceau national, invitant toutes les forces politiques et sociales du pays à s’y joindre, après une période d’apparente latence et une perception, à tort ou à raison, que cette lutte avait aussi pris, ces derniers temps, un relent plus partisan. Il y a, en tout cas, une volonté manifeste et large de s’inscrire dans ce combat nécessaire et indispensable devant l’ampleur inquiétante de l’expansion du trafic de drogue dans notre pays et qui continue de se développer, malgré les puissants outils et volontés politiques et sociales, telles les campagnes de sensibilisation et les stratégies répressives menées par les autorités compétentes et les forces de l’ordre du pays pour combattre sans relâche ce fléau. Dans ce contexte, le PM a lancé un vibrant appel à la réflexion, à l’échange d’idées, à la mobilisation des énergies et à l’adhésion sans réserve au slogan simple et porteur de sens “Unis contre la drogue”, à chacune des trois plateformes de discussion où il s’est entretenu directement avec ses interlocuteurs, cette semaine, à savoir les jeunes à Souillac, mardi ; les acteurs des pays de la région à Balaclava et la presse au bureau du PM, jeudi.
Quelles que soient ses motivations premières et inavouées – politiques, sans doute, avec les prochaines élections en ligne de mire, et stratégiques pour se positionner en tant que PM au-dessus de la mêlée, afin de minimiser autant que possible la dynamique naissante et grandissante de l’union des principales formations de l’opposition parlementaire –, le PM a voulu marquer sa différence pour recentrer le débat sur l’une des urgences absolues de la population et du pays qui est la prolifération de la drogue et certains de ses dérivés synthétiques sous forme d’appel à l’unité pour lutter contre le trafic de drogue dans notre pays. Cette dynamique dévastatrice et mortifère, qui mine et détruit la vie de trop nombreuses familles et, qui surtout frappe de plus en plus de jeunes, reste toujours un sujet proéminent et permanent de l’actualité locale. Dans ce contexte, alors même que les préoccupations de la population sont plus terre à terre, comme les prix exorbitants des produits de première nécessité, la précarité du logement et le sentiment croissant d’un État partial où les institutions indépendantes ne le sont plus tant que ça, recentrer le débat sur l’union de tous contre la drogue sur un thème aussi clivant quant aux stratégies de cette lutte, le PM a réussi partiellement à détourner l’attention sur les misères inutiles infligées à l’opposition pour faire ses meetings ou congrès.
En tout cas, lors de la réunion avec la presse – que le PM ne manquait pas de fustiger il n’y a pas si longtemps à cause du scepticisme parfois des journaux, radios ou réseaux sociaux sur les méthodes de certaines unités de la police contre des opposants au régime et les soupçons de « planting » – sans dévoiler les éléments discutés à huis clos, Pravind Jugnauth a pu prendre la mesure du grand intérêt de la presse pour ce combat permanent, qu’elle mène sans relâche depuis des décennies, aux côtés des travailleurs sociaux, notamment.
La presse n’a jamais failli et ne faillira pas dans cette lutte, avec les gouvernements et la société civile, lorsque leur appel est national et impartial. Le PM qui a joué carte sur table, sans jamais se départir de son devoir de discrétion sur les enquêtes et les prévenus soupçonnés, a pu mesurer la richesse et la diversité de points de vue, parfois musclés, de ses interlocuteurs des différents types de médias, mais surtout de leur volonté unanime de soutenir tout combat national, sincère et dénué de toute notion politicienne. Quand bien même chacun aura pu évaluer la complexité de la problématique, la puissance des réseaux de distribution, l’infiltration des institutions et l’urgente nécessité d’éduquer au plus tôt les plus jeunes de nos citoyens, en sus de leur encadrement permanent.
Non à la drogue : les jeunes, la cible privilégiée du PM
En effet, les jeunes sont les cibles privilégiées et le symbole de la nouvelle croisade du PM dans sa stratégie de lutte contre la drogue qu’il a dévoilée au Souillac Youth Hub, mardi dernier, lors d’un atelier organisé par le Prime Minister’s Office. Les objectifs de cette National Campaign Against Drugs sont de mobiliser et sensibiliser la population sur les dangers et les risques de la consommation de drogues, et de promouvoir la prévention de la toxicomanie qui est, selon le PM, une maladie et que l’assistance appropriée, telle que la réadaptation et la thérapie, doit être fournie aux victimes droguées. « Il ne devrait y avoir ni sympathie ni compromis pour les trafiquants de drogue, qui ont détruit la vie de nombreuses personnes, tout en s’enrichissant sans scrupule », a-t-il affirmé.
Après cet avertissement sans concession, c’est dans une ambiance conviviale qu’il rencontré les jeunes du Sud pour réfléchir et discuter avec eux de la thématique de la drogue et son slogan de la campagne nationale baptisée « Unis contre la drogue ». Avec cet objectif dans le viseur, le PM a exprimé sa conviction que la contribution active des jeunes est une condition sine qua non pour qu’il y ait des progrès substantiels dans la lutte contre l’abus et le trafic de drogue. À cet effet, il a eu une séance d’interaction avec des jeunes participants qui ont partagé librement leurs réflexions et commentaires sur quatre sujets : les raisons de la consommation de drogue chez les jeunes ; la manière dont les parents et enseignants pourraient guider et protéger contre la consommation de drogue et autres méfaits connexes ; comment donner aux jeunes les moyens de sortir de la drogue, et la capacité du pays à lutter plus efficacement contre ce fléau.
Le PM s’est félicité de cette opportunité de rencontre avec des jeunes Mauriciens et a discuté avec eux, sur leur table, de ce problème national hautement prioritaire pour le gouvernement. Il s’est dit ravi des observations et les points de vue des participants qui seront pris en compte pour élaborer des politiques de lutte contre la drogue. Il a annoncé que des ateliers similaires seront organisés avec d’autres jeunes à travers le pays pour recueillir leurs réflexions et suggestions. Il a signifié sa foi en la capacité des jeunes à avoir un impact positif dans la communauté. Il a ainsi fait ressortir qu’un des aspects de la lutte antidrogue est de veiller à ce que les jeunes ne soient pas entraînés dans cette spirale infernale, en leur proposant des activités saines et des programmes de sensibilisation. Il a aussi mis en avant le rôle des parents, des enseignants, du gouvernement et des organisations non gouvernementales dans l’éradication de ce fléau.
La coopération régionale aussi au menu
Et dans ce contexte, la coopération régionale est aussi une clef indispensable dans la lutte contre la drogue. Et ce n’est pas un hasard que la campagne locale du PM se soit construite autour de la High Level Meeting de l’Eastern and Southern Africa Commission on Drugs (ESACD) qui a lieu, depuis jeudi, à l’hôtel Victoria Beachcomber, à Pointe-aux-Piments, en présence du président de l’ESACD et ancien président de l’Afrique du Sud, Kgalema Motlanthe ; de Mark Shaw, Director, Global Initiative Against Transnational Organized Crime ; Manuela Riccio, Chargé d’affaires auprès de la délégation de l’Union européenne à Maurice ; l’épidémiologiste sud-africaine Quarraisha Abdool Karim et l’ancien président de la République de Maurice, Cassam Uteem.
En réitérant sa propre détermination à agir contre l’abus de drogues, le trafic illicite et à continuer à fournir des soins aux victimes de la drogue, Pravind Jugnauth a appelé à des efforts collectifs des pays de la région pour lutter contre la prolifération du fléau et protéger surtout les jeunes. Il a rappelé que la région était devenue un pont focal du trafic de drogue avec des victimes en constante croissance et a souhaité une approche concertée pour que cette conférence puisse apporter une contribution significative aux efforts collectifs pour relever les défis liés à la drogue, que sont des vies et avenirs brisés pour les jeunes, des familles déchirées et des environnements de vie plus dangereux.
Pravind Jugnauth a rappelé les objectifs de l’action gouvernementale qui sont d’être impitoyable avec les trafiquants, tout en étant humain avec les victimes. Il en a profité pour énumérer la gamme de mesures du GM pour tacler le problème de la drogue à Maurice, l’établissement de la commission d’enquête sur le trafic de stupéfiants en 2015, dont le rapport rendu en 2018 est en cours d’exécution – (Ndlr : dont l’une des mesures majeures du démantèlement de l’ADSU a été mis au rencart) – la mise en place d’un conseil de haut niveau sur la drogue et le VIH, et la mise en œuvre du plan directeur mauricien de lutte contre la drogue 2019-2023. Il a indiqué que la police met en application des mesures pour déstabiliser le circuit d’approvisionnement en drogue et que la collaboration entre les différents organismes – chargés de l’application des lois en matière de contrôle des drogues – a été renforcée.
Pour une cause nationale
Enfin, la fourniture de divers services sanitaires et sociaux aux personnes qui consomment des drogues, un programme de thérapie de substitution à la méthadone, des services de réadaptation et la mise en opération de centres de toxicomanie dans les cinq hôpitaux régionaux ont été rajoutés à la panoplie des mesures de lutte contre la drogue de la part du gouvernement lors de cette conférence. Elles comprennent aussi des campagnes de sensibilisation et le programme de prévention de la consommation de drogues, à savoir Get Connected, mis à exécution dans les établissements d’enseignement, tout en annonçant que le Rebound Programme pour les étudiants âgés de 14 à 25 ans sera appliqué incessamment.
Plusieurs intervenants ont également pris la parole, dont Kgalemaa Motlanthe, président de l’ESCAD. Ils ont tous abordé la nécessité d’adopter une approche humaine pour combattre le fléau de la drogue. Les participants ont aussi discuté de la politique et de la législation en matière de drogue, du trafic maritime de la drogue dans la région, des stratégies d’application de la loi pour faire obstacle au développement des marchés illicites dans la région et du rôle de la société civile dans les recommandations fondées sur des données factuelles en matière de politique antidrogue en Afrique orientale et australe.
Cette semaine a été celle d’un sursaut salutaire et nécessaire pour Pravind Jugnauth, dont l’image est incertaine dans l’opinion publique, dans son intention déclarée de mener une lutte sans merci contre le trafic de drogue et ses effets dévastateurs sur la jeunesse, notamment. Mais cet effet s’estompera vite s’il ne s’attelle pas à vouloir lui donner une dimension vraiment nationale en l’élargissant au plus grand nombre, dans un contexte où ses amis s’adonnent à des mesquineries à l’opposition, telles que de lui refuser des emplacements pour des réunions publiques, surtout lorsqu’ils avaient été agréés avant. Un débat politique sain est un préalable indispensable pour bâtir et gagner des causes nationales…