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Première année de la primature de Pravind Jugnauth : Des couacs en série à la com à fond

Si l’an 1 a été mouvementé, l’an 2 démarre sur une tentative de redressement d’image

C’est le 23 janvier 2017 que Pravind Jugnauth a prêté serment comme Premier ministre. Après une année marquée par des couacs en série qui ont considérablement plombé son début de mandat, c’est au moyen d’une nouvelle stratégie de communication, ciblée sur sa personne et ses décisions administratives, que le Premier ministre tente de se construire cette image de leader qui lui a cruellement fait défaut jusqu’ici. Il faut dire que son année a commencé sous de très mauvais auspices. Son arrivée dans le fauteuil de papa, qui n’avait pas été évoqué lors de la campagne électorale où c’était le tandem du « miracle » Sir Anerood Jugnauth et Vishnu Lutchmeenaraidoo qui était vendu, avec accessoirement Xavier Duval au poste de Premier ministre adjoint, a été vécue comme une énorme supercherie teintée de dérives monarchistes.
En fait, la manœuvre consistait à le nommer rapidement avant que ne tombe la décision de la Cour suprême sur la demande d’appel du Directeur des poursuites publiques (DPP) de cette même instance qui avait exonéré Pravind Jugnauth de toute responsabilité de conflit d’intérêts dans l’affaire Medpoint.
Même dans le camp du MSM et de ce qui constituait alors Lalians Lepep, ce n’est ni l’enthousiasme ni la ferveur, la cérémonie de passation ne mobilisant que quelques partisans du MSM devant l’Hôtel du gouvernement. L’opposition — sauf le MMM, qui ne veut pas se montrer en compagnie de Navin Ramgoolam — est, quelques jours plus tard, dans la rue pour dénoncer le « deal papa piti ». Le procès en légitimité trouvant de larges échos dans l’opinion.
Ce qui devait être une consécration pour le « fils de » SAJ sera assombri par la démission de Roshi Bhadain, devenu un pion important dans le dispositif du MSM, d’autant qu’il avait l’oreille de Sir Anerood Jugnauth, le jour même de l’investiture, le siège réservé au ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance demeurant désespérément vide.
Ramassage d’ordures dominical à Floréal
C’était le début d’une série de couacs qui ne s’arrêtera, en fait, jamais depuis qu’il a été propulsé Premier ministre. Les sorties qui se voulaient novatrices et originales, comme aller ramasser les ordures sur la voie publique le dimanche matin à Floréal, seront vite tournées en ridicule. C’était vraiment mal parti.
Son autorité ne s’imposant pas d’emblée, les troupes vont profiter de la transition pour s’en donner à coeur joie. L’arrivée du remplaçant de Roshi Bhadain, Sudhir Sesungkur, va coïncider avec sa convocation devant les tribunaux pour une histoire de détournement de fonds, dont l’accuse un ancien partenaire.
Cet épisode terminé, voilà qu’éclate l’affaire Sobrinho, ce milliardaire angolais impliqué dans des affaires au Portugal et qui est venu se refaire une santé financière à Maurice avec la complicité de personnalités haut placées et d’institutions manipulées. Il est traité comme un vrai VIP et bénéficie de 31 accès au salon d’honneur de l’aéroport de Plaisance en moins de deux ans.
Un scandale chassant l’autre, voilà que ce sont les biscuits de la fille de la Speaker Maya Hanoomanjee, une intime de la famille Jugnauth qui éclate. Sa firme Rum and Sugar remballe des biscuits Esko dans des coffrets avec des illustrations piratées de la maison coloniale Eureka pour les vendre à 17 euros à la boutique hors taxes de l’aéroport.
Dans l’entourage, ça sent la poudre
Comme si tout cela n’était pas assez pour assombrir le primeministership de Pravind Jugnauth, voici que ce sont des proches qui vont être sous le coup d’accusation de trafic de drogue. Geeanchand Dewdanee, un ancien conseiller du ministre travailliste Mahen Gowressoo qui l’a suivi au Sun Trust, est interpellé comme celui qui aura facilité l’entrée de157 kilos de drogue d’une valeur Rs 2,6 milliards.
Ce « zanfan lakaz » tant du Sun Trust que des couloirs du ministère des Finances est tellement proche de Pravind Jugnauth que la liste des passagers d’un vol retour de l’Inde à Maurice révèle qu’ils avaient pris, au moins une fois, le même avion.
D’autres proches vont aussi se retrouver au coeur de la Commission d’enquête sur la drogue. Et ils sont en plus des parlementaires. Le Deputy Speaker, Sanjeev Teeluckdharry, un des tombeurs de Navin Ramgoolam au No 5 avec Soodesh Callychurn et Sharvanand Ramkaun, va livrer une longue bataille de procédures avec l’ancien juge Lam Shang Leen avant d’abandonner la partie.
Une autre élue sera également convoquée, elle aussi, pour ses visites multiples à des trafiquants condamnés pour le commerce de la mort. Roubina Jadoo-Jaunbaccus, convoquée, va fondre en larmes devant l’interrogatoire serré auquel elle est soumise par le président de la commission d’enquête. Cela ne l’empêchera pas de devenir ministre, le Premier ministre Pravind Jugnauth faisant apparemment avec ce qu’il a.
Cette connexion mafieuse de son entourage le rend tellement nerveux que le Premier ministre va même, lors d’une de ses sorties publiques, jusqu’à accuser la presse de se faire « complice des trafiquants de drogue ». Ce qui en disait long sur son état d’esprit et son incapacité à s’imposer par des arguments.
Il n’y a pas que les élus. Ceux qui ont été rejetés par le peuple aux dernières élections font aussi parler d’eux. Il en est ainsi du candidat battu du MSM au No 3, Raouf Gulbul, l’avocat personnel du Premier ministre dans l’affaire Medpoint et président de la Gambling Authority dont la gestion sera très contestée.
Il est dans le collimateur de la commission d’enquête dès le début des travaux de celle-ci, des témoignages l’ayant directement incriminé et ses liens avec des trafiquants présentés comme ses « clients », ainsi qu’une affaire de sac contenant des millions échangé lors de la campagne électorale de décembre 2014 étant mise en lumière.
Alors que sa démission est réclamée depuis un bon bout de temps, avec insistance par Rajesh Bhagwan à l’Assemblée nationale, ce n’est qu’après son ultime audition devant la commission d’enquête qu’il se décidera, en novembre 2017, à débarrasser le plancher. Une décision que le Premier ministre présente comme personnelle, ce qui laissait penser que si ce n’était que lui, il l’aurait gardé.
A l’Assemblée nationale, où ses adversaires ne lui montrent aucun respect, du fait des conditions dans lesquelles il s’est approprié le poste suprême, il n’a définitivement pas la partie facile. Toutes les oppositions lui tombent dessus. Et dès qu’il hausse le ton, sa voix est couverte par un concerto de « l’imposte » particulièrement désagréable.
Ce « diplomate » capable de vulgarité
Le jour même de la rentrée du 28 mars, c’est le choc. Le nouveau ministre de la Santé, Anwar Husnoo, révèle, suite à une question de Rajesh Bhagwan, que Vijaya Sumputh, la copine d’Anil Gayan, nommée par lui à la tête du centre cardiaque, perçoit des rémunérations de Rs 323 000 par mois après s’être octroyé une rallonge de Rs 100 000 mensuelle.
Quand bien même des observateurs ou universitaires aux « vested interests », parce qu’ils ont des proches bien casés, veulent lui trouver des qualités de « diplomate », ce Premier ministre-là est capable de pires diatribes et même de vulgarités — un digne fils de son père-dès qu’il est coincé.
Lorsque son ancien collaborateur Roshi Bhadain le soumet à un feu roulant de questions, tout ce qu’il trouve à répondre en pleine séance est que « you were licking my hand and other parts ! ». On a beau être Premier ministre, la fonction ne fait pas toujours l’homme d’État.
Mais il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’il y ait un nouveau scandale sous le primeministership de Pravind Jugnauth. Le ministre Seesungkur, lui-même, est accusé de harcèlement par une dame, son agent Ganesh Niko est arrêté pour avoir insulté une sentinelle affectée au domicile du ministre, son fils est impliqué dans un accident rocambolesque, alors que son permis de conduire est mis en doute et que son épouse s’est, elle aussi, retrouvée sous le coup d’une déposition d’un agent de l’ordre.
D’autres ministres ne sont pas en reste. Empêtré dans une affaire d’intervention en faveur d’une petite frappe aux pratiques douteuses, l’Attorney General nommé, Ravi Yeerigadoo, un autre pilier du Sun Trust, est obligé de soumettre sa démission.
Quant à l’inénarrable Showkutally Soodhun, s’il sauve curieusement sa peau après son impardonnable déclaration selon laquelle si son garde du corps lui avait donné son arme de fonction « il aurait tué Xavier Duval » au Parlement même », et en plus d’être l’objet d’une charge formelle d’outrage, il sera forcé de quitter son poste ministériel après la diffusion d’un enregistrement où il dénigre une communauté en l’associant à la drogue et à la prostitution.
Pour ne pas terminer la série, Kalyan Tarolah envoie de son portable des photos de sa langue « and other parts », en pleine séance du Parlement. Ce n’est que lorsque l’affaire prend des proportions gigantesques que le Premier ministre lui demande de se retirer de son poste de PPS.
Annus horribilis
Annus horribilis. C’est donc une première année calamiteuse qu’a connue Pravind Jugnauth. Pour compenser son absence de légitimité populaire, le Premier ministre et ministre des Finances multiplie les initiatives sociales. Dans son budget, il annonce une mesure novatrice, le Negative Income Tax, qui consiste pour la Mauritius Revenue Authority (MRA) à payer ceux qui touchent un bas salaire.
Cette mesure est déjà entrée en vigueur, tandis que le salaire minimum de Rs 9 000 est applicable à compter de la fin de ce mois. Ce sont là avec les Rs 360 de compensation salariale également payables en cette fin de janvier 2018 des mesures qui permettent au Premier ministre de respirer.
Pour mieux se vendre en cette deuxième année de mandat, Pravind Jugnauth a décidé de se séparer de quelques grosses pointures. Prakash Maunthrooa, sa main droite, est toujours confronté à un procès pour corruption et il verrait ses responsabilités diminuées au PMO.
Ramesh Basant Roi, un choix personnel de Vishnu Lutchmeenaraidoo, n’a pas vu son contrat renouvelé. Il a été remplacé par un proche du clan Jugnauth/ Yandraduth Googoolye et ce n’est pas Vickram Panchoo, second gouverneur adjoint, qui a été promu premier gouverneur, mais Renganaden Padayachee, un proche collaborateur d’Azim Currimjee à la Chambre de commerce et d’industrie.
Azim Currimjee, dont l’épouse Sarah est tant conseillère auprès de Pravind Jugnauth que de la ministre Leela Devi Dookun, est une pièce maitresse du dispositif du Premier ministre dans la mesure où les deux familles sont devenues intimes avec la proximité de leurs enfants respectifs.
Renganaden Padayachee et Azim Currimjee siègent tous deux sur le conseil d’administration de l’EDB, de même de Dev Manraj qui a néanmoins été prié de lâcher la présidence de la Financial Services Commission, tandis que Gérard Sanspeur, autre conseiller du Premier ministre, a été évincé de cet EDB qu’il a, lui-même, aidé à monter. D’autres organismes seraient également sous le coup de cette opération de restructuration comme l’a indiqué Pravind Jugnauth dans ses interventions publiques.
Le Premier ministre a aussi renforcé son implication dans le socioculturel. Pravind Juganuth s’est emparé de toutes les fêtes, Maha Shivaratree, Thaipossum Cavadee, Père Laval. Il vient d’annoncer qu’il se chargera du Hadj, sans dire s’il s’occupera aussi de la fête du Printemps. Tout cela est évidemment bien plus important que les 50 ans de l’indépendance du pays.
Sorties ciblées
Il y a aussi la stratégie de communication qui a été retravaillée. Son fidèle soutien de la campagne de décembre 2014, Rudy Veeramundur, a été rétrogradé et ne s’occupe plus que de la communication des Finances, après qu’il s’est plaint des pressions exercées sur lui par des personnes externes au PMO, qu’on désigne couramment comme « la cuisine ».
C’est Ken Arian, quelqu’un qui opérait dans le même secteur que Charles Cartier, qui est nommé président de l’Economic Development Board et qui, apparemment, n’a pas laissé que de bons souvenirs au sein de cette entreprise où l’avait fait venir Dass Thomas qui a été chargé de la réorientation de la communication du Premier ministre.
Les sorties sont dorénavant bien ciblées. Côté presse, en sus d’un journal à la gloire du Premier ministre financé par le Sun Trust et animé par une équipe de « journalistes » qui n’ont pas arrêté de virer leur cuti, une ouverture a été faite en direction de la presse mainstream qui a vite fait de changer de regard sur Pravind Jugnauth en lui donnant toutes ses chances.
La première interview du Premier ministre en une année sera pour un journal plutôt périphérique que grand public comme les grands titres de la presse ou les radios privées. Coté contenu, ça ne soulève pas des montagnes, mais il faut dire qu’avec le père SAJ qui est passé sur une radio privée juste avant pour dire qu’il était prêt à revenir comme Premier ministre si c’était nécessaire, cela l’a un peu gêné aux entournures.
C’est dans le cadre de cette nouvelle stratégie que le Premier ministre a décidé de passer du temps avec les enfants de SOS Children Village pour marquer sa première année de primeministership et qu’il est sorti en plein avertissement de cyclone de classe 3 pour aller à la rencontre des sinistrés.
D’autres initiatives de ce genre sont dans les tuyaux parce qu’il court toujours après ce charisme qu’il ne possède pas et que seul Business Magazine est capable de lui trouver. Il a encore quelques mois pour essayer de convaincre. A moins que la décision du conseil privé ne vienne tout chambouler.
Et, à en croire son épouse Kobita, Pravind Juganuth a le « stamina », même s’il est devenu un peu « nerveux ». Avec ses deux ingrédients, il est en train de faire dans le « hard », comme dirait l’autre, le caricaturiste maison, Deven T… Ce n’est évidemment pas une raison qu’en guise de cadeau pour une année passée au Bâtiment du Trésor, des esprits tordus lui mettent le portrait sur un site pornographique ! Année 2018 à suivre.
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