Notre invité de ce dimanche, Patrick Assirvaden, est à la fois le président du PTr et le nouveau ministre de l’Énergie et des Utilités Publiques. Dans l’interview qui suit, il répond à nos questions relevant de ses deux capacités.
Est-ce que vous vous attendiez à ces troisièmes 60/0 ?
— Non. Nous avions senti un dégoût de la population, la montée d’une vague en faveur du changement, mais nous ne pensions pas que cela irait jusqu’à un 60/0. L’électorat mauricien a été beaucoup plus sévère que nous le pensions.
Est-ce que ces 60/0 ont obligé l’Alliance du Changement à modifier ses plans ?
—Nos plans ont été effectivement chamboulés, dans la mesure où les décisions ont dû être prises en tenant compte du résultat des élections. Un 60/0 c’est un mandat clair…
…une carte blanche ?
—Je n’utiliserais pas ce terme qui peut signifier qu’on peut tout faire, alors que nous sommes tenus par le système à rendre compte et expliquer nos décisions. Cela dit, ce n’est pas la même chose de prendre des décisions avec un gouvernement qui a obtenu un 60/0 et un autre qui a obtenu une bonne majorité. Ce qui explique que le Premier ministre a pris du temps pour constituer son cabinet. Je dois dire que je suis impressionné par le choix de certains ministres qui, dans le passé, ont démontré une maîtrise des dossiers. Mais maîtriser des dossiers est une chose, et gérer un ministère et des corps para étatiques, en est une autre. Cependant, je pense que nous avons the right men at the right places.
Dans tous les ministères ?
— Je le crois mais, bien sûr, chacun fonctionnera selon son rythme, ses qualités et ses faiblesses. Nous en avons tous. Ceci étant, je suis convaincu qu’ils ont la tête sur les épaules et qu’ils auront deliver.
Revenons à la situation avant les élections. En fin de compte, le fait que le PMSD a quitté l’Alliance du Changement, en provoquant un moment de panique, a joué en faveur de l’opposition.
— Quand le PMSD s’est retiré de l’Alliance, cela a provoqué des doutes de notre côté parce que nous avions une équipe, un plan, et que nous avions commencé à travailler ensemble depuis des mois. Cependant, nous avions des renseignements selon lesquels le PMSD, tout en étant avec nous, avait commencé à négocier avec le MSM. L’électorat n’accepte pas tout ce que les politiciens lui vendent, il l’a démontré en rejetant l’alliance MSM/PMSD et autres. En quittant l’Alliance du Changement pour l’Alliance Lepep, Xavier-Luc Duval a fait plus qu’une erreur, il a fait son parti, ce qui en restait, commettre un suicide politique. Avec son départ, la ligne que j’ai toujours défendue : que l’alliance de l’opposition s’ouvre à d’autres partis et sensibilités politiques, dont Résistans ek Alternativ, a pu être réalisée. Je pense que la présence de Résistans a été un game changer dans l’élection puisqu’elle a apporté de la crédibilité, de la fraîcheur, de nouvelles idées et, surtout, la contradiction nécessaire au fonctionnement d’une équipe.
Quel est le sentiment que l’on a ressenti au PTr de revenir au gouvernement, après avoir passé dix ans dans l’opposition ?
—Il faut dire que ces dix ans, entre 2014 et 2024, dans l’opposition ont été pour le PTr, son leader et ses membres les années les plus dures, dramatiques et cauchemardesques de notre histoire. On a essayé de nous étouffer financièrement, émotionnellement et physiquement. On a voulu éliminer le PTr, son leader et ses dirigeants de la scène politique. Pendant ces dix ans, nous avons été considérés comme des pestiférés, personne n’osait nous fréquenter, nos familles ne nous invitaient plus, on ne nous saluait plus dans la rue, on ne répondait plus à nos appels téléphoniques, on a bloqué notre argent en banque, illégalement, à travers la MRA et la FIU et la police… C’était une tentative d’épuration, mais nous avons fait face et, malgré tout ce qui a été tenté contre lui, tout ce qu’on lui a fait subir, le Dr Ramgoolam a résisté et aujourd’hui, la roue a tourné et nous sommes retournés au pouvoir grâce au vote massif de l’électorat !
Est-ce que vous n’allez pas avoir la tentation de faire payer pour ce que le PTr a subi, au cours des dix dernières années, de penser à finir politiquement le MSM ?
— Non. Je ne crois pas que la vengeance aidera le pays à redémarrer. Nous n’avons aucune intention de finir le MSM, ils ont le droit d’exister. Nous ne sommes pas comme eux. Mais nous sommes dans un État de droit et ceux qui ont été coupables de certaines choses auront à expliquer, à répondre et à assumer la responsabilité et les conséquences de leurs décisions.
Ces 60/0 ont suscité une immense attente dans le pays. Est-ce que vous pensez que le nouveau gouvernement pourra répondre à cette attente et la satisfaire ?
— Évidemment que je réalise l’étendue de l’attente de la population avec un 60/0 d’une telle ampleur. Je vous donne un exemple : je suis sorti second dans la circonscription de la Caverne-Phœnix en battant mes adversaires par plus de 23,000 votes ! L’ampleur de ce résultat oblige à bien réfléchir, avant de donner un conseil au Premier ministre ou à ratifier un accord en tant que ministre. Il faut faire attention car plus l’attente est grande, plus la déception risque d’être de la même ampleur.
Quelle doit être la principale priorité de ce gouvernement ?
— La première a été réalisée : faire les Mauriciens respirer, donner librement son opinion, sans crainte d’être écouté et de subir des représailles. Maintenant, il faut permettre au Mauricien d’espérer que lui et ses enfants pourront vivre dans un meilleur Maurice, que ses enfants auront le droit de donner son opinion sur les réseaux sociaux, même si elle est critique, sans craindre de voir 20 membres de la SS Team débarquer devant sa porte. Que les jeunes pourront avoir un travail, dans le secteur public ou le secteur privé, sans backing politique, uniquement sur ses compétences. Nous devons prendre les mesures nécessaires pour réaliser ces espoirs.
La priorité n’est pas le paiement du 14ème mois et la baisse du prix de l’essence ?
— Ce que vous venez de citer sont des engagements que nous allons tenir. Mais il faut dire que quand nous avons mis la main à la pâte, quand nous avons decouvert la réalité des chiffres…
…est-ce que vous avez découvert que la caisse du gouvernement a été défoncé et que vous n’avez pas les moyens de réaliser vos engagements ?
— Pas du tout. Les engagements pris par l’Alliance du Changement seront respectés et des communications auront lieu très bientôt sur ce sujet.
Vous m’avez dit être satisfait de la composition du cabinet ministériel, mais est-ce que vous savez que beaucoup de Mauriciens trouvent qu’on a donné les premières places à des âgés ?
— Diriger un pays c’est comme diriger une compagnie qui a besoin de personnes capables de deliver the goods. Je vous rappelle que l’équipe gouvernementale fait partie des candidats de l’Alliance qui ont été plébiscités par l’électorat. Nous sommes dans un pays arc-en-ciel et certaines de ses réalités doivent être respectées dans la constitution d’un cabinet. Je crois que ce cabinet est très homogène et qu’il est un peu tôt, trop tôt même, pour faire des procès d’intention aux ministres. Laissons-les travailler et évoluer, et nous verrons après.
Quelles sont les réalités qui ont été respectées pour que sur 24 ministres, il n’y ait que 2 femmes (et aucune du PTr), alors que les Mauriciennes, donc les électrices, sont majoritaires dans le pays ?
— Je vous rappelle que l’Alliance est composée de 4 partis politiques et que chacun a ses réalités, ses exigences, et il a fallu faire des concessions et des arrangements pour former le gouvernement, et croyez-moi : ce n’est pas aussi simple qu’on le croit ! Je vous rappelle que le Chief Whip du gouvernement sera une députée et que le Speaker sera une femme.
Comment se fait-il que le PTr, partenaire majoritaire de l’Alliance, n’ait pas de représentante au Conseil des ministres ?
— Je vous répète qu’il y a des réalités de notre pays arc-en-ciel que nous avons dû respecter. Le PM n’a pu faire autrement dans la constitution de son cabinet.
Savez-vous que l’attribution du poste de Speaker à Mme Aumeeruddy-Cziffra est loin de faire l’unanimité ?
— Êtes-vous en train de me dire que ses compétences sont contestées ?
Je suis en train de vous dire que c’est sa présence dans les gouvernements qui se sont succédés qui interpelle. Elle fait partie des personnes qui sont toujours nommées, quel que soit le régime en place ! Quel est le signal fort, en faveur du changement, que le gouvernement veut envoyer au pays avec cette nomination ?
— Le fait qu’une personne a servi plusieurs gouvernements n’a rien à voir avec sa compétence. Je crois que pour faire oublier comment le précédent Speaker a souillé et dégradé le Parlement, Mme Aumeeruddy-Cziffra est tout à fait à sa place.
Vous êtes le nouveau ministre de l’Énergie et des Utilités Publiques responsable du CEB, de la CWA, du Waste Water, de la Utility Regulatories Authority, entre autres. Qu’avez-vous découvert dans les épais dossiers, qui sont sur votre bureau, sur le fonctionnement de ces corps para étatiques ?
— Dès le lendemain de ma nomination, j’ai demandé à voir les dossiers de ces corps para-étatiques et j’ai eu des réunions avec les officiers de mon ministère. Je dois vous dire que je suis extrêmement inquiet de la situation du CEB. Ca fait dix ans que je suis les dossiers du CEB et de la CWA, qui sont les facilitateurs de l’économie mauricienne. Ce sont eux qui permettent au port, à l’aéroport, aux hôpitaux, aux usines, aux entreprises, bref à tout le pays, de fonctionner. Un premier constat de la réalité énergétique du CEB est extrêmement inquiétant pour l’avenir. Nous avons du gros matériel indispensable pour augmenter notre capacité énergétique, qui doit être renouvelé l’année prochaine. Ce ne sont pas des équipements tout prêts, disponibles en super marché, mais des machines qui doivent être commandées longtemps à l’avance.
Est-ce que vous êtes en train de dire que les décisions indispensables pour augmenter la capacité énergétique à travers les commandes de matériel n’ont pas été prises à temps ?
— C’est pour cette raison que j’avais déclaré au Parlement que le ministre Lejongard, mon prédécesseur, passera dans l’histoire comme le ministre de l’Énergie avec zéro mégawatt. Pendant son mandat, il n’a pas ajouté un seul mégawatt. Ivan Collendavelloo, qui était au ministère avant Lejongard, avait fait certaines choses, pas comme il le fallait, à mon avis. Mais quand Lejongard l’a remplacé, après la révocation, il a annulé les mesures de son prédécesseur, en faisant pire que lui, et nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation inquiétante. Il faut prendre des décisions pour le renouvellement du matériel. Il faut remplacer des machines qui datent de 20 ans au moins et qui sont arrivées à expiration. À Rodrigues, le passage du cyclone Beti a affecté plus de 70% du réseau et on a dû utiliser des machines qui avaient été mis hors service pour rétablir le courant dans l’île ! Le CEB fonctionne avec des machines datant de 30 et 35 ans. À l’heure où nous parlons, on utilise des machines qui ne servent qu’en cas d’urgence, pour distribuer l’électricité à Maurice. Vous comprenez pourquoi je suis inquiet.
Je commence à l’être autant que vous. Mais théoriquement, un ministre ne décide qu’après avoir écouté ses techniciens, ses conseillers et, dans le cas qui nous occupe, le conseil d’administration qui est chargé de gérer le CEB. Si je vous ai bien compris, aucune de ces personnes ou instances n’a expliqué à votre prédécesseur qu’il y avait des décisions urgentes – comme le renouvellement des équipements – à prendre pour éviter la situation que vous venez de décrire !?
— Savez-vous que dans une réunion que j’ai eue, cette semaine, avec les hauts cadres du CEB, certains m’ont dit que la situation était correcte ! Voyons maintenant le côté administratif du CEB en commençant par le General Manager qui présente sa démission le 14 novembre avec un mois de préavis. Je convoque une réunion pour savoir quelle est la situation administrative et financière du CEB et le GM, qui est encore en poste, envoie un certificat médical qui le couvre jusqu’à la fin de son préavis ! J’ai dû faire appel à ses subordonnés pour obtenir les renseignements demandés.
Est-ce que ce GM démissionnaire était un blue eye boy de l’ex-ministre ou de l’ancien gouvernement ?
— Je ne le sais pas. Ce monsieur était sur l’establishment du CEB comme chef de département pendant un certain nombre d’années. Quelque temps avant les élections générales, le 2 avril, le board du CEB le nomme General Manager avec beaucoup plus que le double de son salaire de Chef de Département. Le 4 avril, il demande sa mise à la retraite qui est acceptée et sa pension est calculée sur le salaire de General Manager. Le 5, le board du CEB lui accorde un nouveau contrat de deux ans en tant que General Manager du CEB !
Est-ce que le représentant légal du CEB a avalisé toutes ces « nominations » du board ?
— Je ne le sais pas encore. Mais la séquence des évènements fait plus que m’interpeller.
Mais qui sont les membres du board du CEB qui prennent de telles décisions ? Ces hauts fonctionnaires et techniciens qui en font partie doivent expliquer pourquoi ils ont recommandé/accepté cette suite de décisions !
— Ils auront à le faire. Mais en attendant, on peut comprendre pourquoi le fonds de pension du CEB a été défoncé ! Autre chose : deux mois avant les élections, ce fameux board a décidé d’offrir un poste permanent à quatre personnes qui étaient sous contrat dans différents départements du CEB ! Pour quelle raison ? La personne qui doit répondre à cette question est le General Manager, qui assiste aux réunions du board, mais qui, selon un certificat médical, ne peut travailler avant la fin de son préavis ! Passons maintenant à la situation financière du CEB dont tout le monde disait que le déficit était estimé à Rs 4.9 milliards, mais les chiffres que je viens de consulter disent qu’il a atteint Rs 5.9 milliards ! Le CEB qui, il y a quatre ans, avait un surplus de Rs 4 milliards, n’a plus un sou dans sa caisse, en dépit de la récente augmentation des tarifs !
Pour trouver les fonds nécessaires aux dépenses obligatoires, vous allez devoir augmenter, encore une fois, les tarifs d’électricité ?!
— Non. Il est hors de question que la population fasse les frais de la mauvaise politique financière du board du CEB.
Quelle est la solution, alors ?
— Une restructuration et des réformes dans ce secteur, en tenant compte des nouvelles exigences énergétiques de l’année prochaine. Nous aurons à faire appel aux cadres et professionnels du CEB – il en existe – pour faire face aux situations. Dans ce contexte, j’ai nommé M. Hassen Hakim, un homme d’expérience qui connait les rouages, comme nouveau Chairman du CEB. Je suis en train de reconstituer le board du CEB avec des personnes qui ont de l’expérience pour faire un plan d’ensemble.
Est-ce que quand vous avez demandé à consulter les dossiers de la CWA, vous avez eu le même choc qu’au CEB ?
— La-bas, le déficit est d’environ Rs 500 millions, mais on n’a pas encore fait d’audit pour savoir quelle est la situation, comprendre, entre autres, le scandale des laying of pipes et les réalités techniques. Il faut dire que la CWA est une des institutions du pays qui n’a pas été modernisée au cours des dernières 10-15 années. Pour le moment – et ça vaut aussi pour les autres corps para-étatiques tombant sous mon ministère –, j’en suis encore au stade du constat, de l’audit.
Finalement, en vous confiant ce ministère et ces corps para-étatiques, on ne vous a pas fait un cadeau !
— Si c’était un cadeau, il était empoisonné ! Rajesh Bhagwan m’a dit qu’avec Mare Chicose, il a hérité d’une bombe. Je lui ai répondu que pour ma part, j’étais assis sur une caisse de bâtons de dynamite !
Est-ce qu’il y a des moyens de faire face aux situations alarmantes que vous avez décrites ?
— Définitivement oui. Il faut faire confiance aux techniciens que l’on a, jusqu’à présent, mis de côté, écarté des circuits de décisions. Il faut voir la composition du board et exiger de ses membres d’assumer la responsabilité des décisions qu’il ont prises avec ou sans instructions venues d’ailleurs. Je peux vous dire que beaucoup d’institutions du pays ont fonctionné comme celui du CEB et même pire, paraît-il, sous le règne du MSM.
Est-ce qu’il y aura un audit général de la situation de tous ces ministères et autres corps para-étatiques et leurs boards qui ont mené le pays là où il se trouve aujourd’hui ?
— Je l’espère sans passer pour un revanchard ou quelqu’un qui veut régler des comptes. Je n’ai pas de rancune personnelle contre qui que ce soit, je me contente de dire les choses, incroyables, que je découvre au fur et à mesure, et je crois qu’il faut le dire à la population dans la transparence qui n’a pas existé pendant 10 ans. Je dis dès à présent qu’au Parlement, je répondrai aux questions sur les décisions que je serai appelé à prendre, aux nominations qu’il faudra faire, et sur les négociations avec les partenaires internationaux et locaux.
Malgré les premiers résultats des bilans que vous venez de recevoir, vous restez optimiste ?
— Il y aura des décisions radicales à prendre, mais il faudra surtout changer de cap pour faire face à la situation et aux conséquences négatives de la mauvaise gestion – ou l’absence de gestion des 10 dernières années dans le domaine énergétique. Je suis obligé d’être optimiste pour répondre aux attentes de la population et de la confiance qu’il a placée en nous.
Deux dernières questions pour terminer : est-il vrai qu’en tant que président du PTr, vous avez reçu une demande d’adhésion venant d’un député nouvellement élu et mécontent ?
— Non.
Pour répliquer aux enregistrements de Missié Moustass, il y a eu une tentative de diffuser des enregistrements impliquant des dirigeants de l’Alliance du Changement. Dans un de ces enregistrements, on entend une voix qui vous est attribué tenir une conversation salace ou coquine. Votre commentaire ?
— J’ai écouté cet enregistrement et je ne reconnais ni ma voix ni les propos que l’on m’attribue. J’ai l’impression que c’est un montage de toutes pièces.