« D’un côté, il y a les promesses, et de l’autre, les réalités économiques auxquelles nous faisons face », a expliqué le chef du gouvernement
Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, aux côtés de son adjoint Paul Bérenger, entouré du gouvernement, était face à la presse hier pour expliquer la décision du Cabinet d’accorder un boni du 14e mois et une compensation salariale en janvier prochain à ceux touchant moins de Rs 50 000; et Rs 1000 aux pensionnés à partir de janvier, ainsi que la baisse du prix l’essence et du diesel. Navin Ramgoolam a affirmé que ces décisions, qui ne sont pas à la satisfaction du gouvernement, ont été prises pour apporter un soulagement immédiat à la population. Mais face au cataclysme économique hérité du précédent régime, le gouvernement doit être responsable et crédible. Dans le contexte, pour pouvoir redresser la situation, Paul Bérenger fait comprendre que le gouvernement fera appel aux pays amis, notamment l’Inde, les USA et la Grande-Bretagne, la Chine et d’autres partenaires.
S’il a fait une déclaration mardi dernier à l’Assemblée nationale sur le « State of Economy, un héritage désastreux du gouvernement MSM », le PM a donné quelques autres détails macroéconomique « pour que les Mauriciens sachent ce qui s’est passé sous l’ancien régime et comprennent à quelle crise le pays fait actuellement face. » « Non seulement nous avons eu de mauvaises surprises, mais pli nou fouiller, pli nou trouv triangaz ki minis des Finances finn fer avec la bénédiction du Premier ministre Pravind », dit-il. Ainsi, si l’ancien régime de Pravind Jugnauth évoquait un “boom économique”, le seul boom que voit le présent gouvernement c’est “le boom d’un ballon de mensonges qui éclate aujourd’hui,” dit Navin Ramgoolam, dénonçant ce qu’il qualifie de “crime économique”.
« Aujourd’hui nous devons aller calmer les organismes internationaux, les institutions comme Moody’s », a dit le Premier ministre, évoquant la manipulation des chiffres. Il affirme que l’ancien régime a fait croire à un “boom économique”, alors qu’en réalité, le PIB a chuté de Rs 32 milliards en 2023 et pourrait encore se contracter à Rs 36 milliards en 2024. Il déplore la manipulation des chiffres et l’underestimation du déficit, qui a abouti à une situation de manque de devises sur le marché et une perte de valeur de la roupie mauricienne, qui a baissé de 46% en 10 ans.
Mettant en lumière la situation désastreuse de la dette publique, qui a atteint 83,4% du PIB en juin 2024, le chef du gouvernement avertit que chaque nouveau-né porte déjà une dette de Rs 500 000, sans compter les dettes colossales des entreprises parapubliques comme Metro Express, Air Mauritius, ou encore la STC… “Le cauchemar ne se termine pas là”, dit-il, évoquant les déboursements des caisses de l’État pour s’acquitter des procès perdus contre Betamax, NeoTown, entre autres. La crise économique actuelle relève aussi de l’injection d’argent de l’État dans de gros projets — des éléphants blancs.
Face à la situation catastrophique des finances, le gouvernement estime qu’il aurait fallu une Fiscal Authority Act pour qu’une telle situation ne puisse pas se répéter. D’autant qu’outre la situation de la Mauritius Investment Corporation (MIC) qui a également été évoquée comme une source majeure de gaspillage et de mauvaise gestion, avec des prêts douteux accordés à des projets à haut risque, comme Pulse Analytics, qui ont été approuvés sous la pression de l’ancien ministre des Finances, il y a aussi des scandales, comme celui touchant la Silver Bank. À ce propos, Navin Ramgoolam s’est attardé sur la situation de l’institution, faisant ressortir la “complicité du gouverneur de la banque et de son chairman”. Le Premier ministre confie que si des officiers ont prévenu qu’il y avait trop de prêts octroyés et que l’ancien ministre des Finances a aussi demandé au gouverneur de la banque de ne plus octroyer de prêt, ce même ministre des Finances a fait pression pour que la banque accorde des prêts à “deux grands voleurs” qui ont eu des prêts tout de même.
Le Premier ministre a aussi cité le cas de Pulse Analytics et ses faux sondages. Selon Navin Ramgoolam, le CEO de la MIC, M. Bisessur, avait dans un premier temps rejeté le projet de Pulse Analytics considérant que c’était un “highly Risk project unlikely to be able to refund”. Cependant, suite aux pressions, le projet est revenu sur la table et c’est le gouverneur de la Banque centrale lui-même qui s’est rendu au bureau de la MIC pour changer la décision qui avait été prise et ainsi accorder un prêt à Pulse Analytics, et tout cela sans conditions. L’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, aurait aussi créé des sociétés-écrans pour approuver des loans à travers la MIC, dit Navin Ramgoolam. La Banque centrale continue d’enquêter, dit-il, insistant encore une fois sur l’aspect “criminel envers l’économie perpétré par l’ancien régime qui n’a pas hésité à defraud public funds”.
Pour expliquer la décision arrêtée par le conseil des ministres quant au boni du 14e moins aux personnes touchant jusqu’à Rs 50 000 seulement, Navin Ramgoolam a fait ressortir que “nous avons fait des promesses, mais nous ne connaissions pas l’ampleur de la situation économique du pays”. Face au constat que la situation est encore plus dramatique que ce qu’il pensait, le gouvernement compte tenir ses promesses dans la mesure du possible, mais “il y a des choses que nous pouvons faire de suite et d’autres qui seront faites au cours de notre mandat de cinq ans”, dit le chef du gouvernement. “D’un côté, il y a les promesses, et de l’autre, les réalités économiques”, dit-il, insistant que le gouvernement agira en tant que gouvernement responsable avec comme priorité de remettre l’économie sur les rails.
Ainsi, pour le 14e mois, un effort a été fait, certes à « pas notre satisfaction », souligne le chef du gouvernement, « mais nous l’avons fait car nous savons qu’il y a des gens qui ont souffert sous précédent le gouvernent. Seki kapav fer nou finn fer.Nous avons fait un effort pour alléger leur fardeau. » Dans cette optique, afin de ne pas augmenter davantage le taux d’inflation, le paiement du 14e mois se fera en deux tranches, une en décembre et une autre en janvier. L’idée est aussi de montrer aux organismes mondiaux que nous avons un plan de redressement de la situation, dit Navin Ragoolam. Dans la conjoncture, le GM compte aider les PME avec une somme de Rs 2,3 milliards qui sera déboursée. Le déficit atteindra 9,7%, avec en parallèle la dette publique touchant 89%. “Mais nous avons fait cet effort, car nous sommes confiants de remettre l’économie sur les rails”, dit Navin Ramgoolam.
Paul Bérenger a lui aussi fait ressortir que le gouvernement est en train de découvrir que la situation est bien pire que ce que le Premier ministre a présenté dans son statement mardi dernier à l’Assemblée nationale. “Partout situation pire”, dit le Premier ministre adjoint, citant en exemple le Metro Express, dont les dettes s’élèvent aujourd’hui à plus de Rs 17 milliards. « Nous avons perdu jusqu’à présent Rs 3 milliards à travers le foreign exchange et les operating expenses s’élèvent à Rs 837 millions chaque mois. Si rien n’est fait, l’average deficit de Metro Express sera de plus de Rs 2 milliards par an pour les années à venir », prévient-il.
Pour relever ces défis colossaux, Paul Bérenger annonce que le gouvernement envisage de solliciter l’aide des pays amis, notamment l’Inde, les États-Unis et la Grande-Bretagne, la Chine ainsi que des institutions comme le FMI et la Banque mondiale. « Cependant, pas à n’importe quelles conditions. Les termes devront être soigneusement discutés »,dit-il.
Paul Bérenger demande par ailleurs à la population de comprendre la situation et la nécessité de mesures urgentes pour redresser l’économie. « Nous faisons le maximum, mais des réformes profondes sont indispensables, notamment sur deux axes prioritaires : réduire la dette publique et mettre en place un programme de consolidation fiscale », dit-il, d’autant que l’ombre d’une notation négative de Moody’s plane sur le pays. Dans le sillage, il est nécessaire d’introduire des mesures correctives, à commencer par l’annulation de la MIC, dont la gestion a été désastreuse et ne correspond pas au rôle de la Banque de Maurice (BoM).
Paul Bérenger affirme par ailleurs que pour le paiement du 14e mois et de la compensation salariale, « nous avons fait notre maximum ». « La aussi ena dimounn pou dir nous donne trop boukou », dit-il, faisant état des pressions exercées pour que le capping reste sur un salaire de Rs 30 000. « Nou, nou finn strike the balance et nou finn fer zefor pou alege fardo population », dit-il. « Pour éviter la situation économique catastrophique qui nous pend au nez, le GM devra s’appuyer sur une Fiscal Responsability Act », dit Paul Bérenger, indiquant que cette option est à l’étude. Le modèle adopté par la Jamaïque où la Fiscal Responsibility Act est en vigueur mais où existe aussi une Independent Fiscal Commission pour veiller à ce que la loi soit respectée serait intéressant à ce propos, dit-il.
Le ministre de la Sécurité sociale, Ashok Subron, s’est lui attardé sur les modalités de paiement du 14e mois aux pensionnés, indiquant que ce déboursement prévu en cette fin d’année coûtera Rs 5 milliards à l’État. Le ministre a précisé que les paiements commenceront dès le 16 décembre 2024 et s’étendront jusqu’au 24 décembre. Les bénéficiaires pourront retirer leur 14e mois dans les bureaux de poste, ou à partir du 17 décembre, dans les banques. De même, à partir de janvier 2025, tous les pensionnés percevront Rs 1000 supplémentaires sur leur pension mensuelle portée à Rs 15 000, l’objectif du gouvernement étant d’aider les pensionnés à compenser l’augmentation du coût de la vie.
À l’heure des questions, notamment sur le plafonnement à un salaire de Rs 50 000 pour le paiement du 14e mois, le Premier ministre a fait ressortir que « pena kass pou donner, mais nou finn fer le maximum ». Face à la situation économique désastreuse, envisage-t-il de faire un nouveau budget ? « Nous étudions toutes les options, mais la priorité c’est d’arrêter l’hémorragie », répond Navin Ramgoolam. Paul Bérenger ajoute que « s’il faut un budget d’urgence, nous le ferons, mais pas n’importe comment. Il y a des priorités à adresser d’abord ». Quant aux arrestations ou autres enquêtes contre ceux qui ont fauté, ils insistent que la loi suivra son cours…
Par rapport aux négociations sur les Chagos et notamment les milliards sur lesquels l’ancien gouvernement de Pravind Jugnauth comptait sans doute pour payer le 14e mois à toute la population, Navin Ramgoolam explique que son gouvernement n’est « pas du tout satisfait de la manière dont l’ancien Premier ministre a négocié ». Dès lors, d’autres discussions doivent continuer et sa rencontre avec Harriet Matthews, le 11 décembre dernier, a été une occasion pour Maurice de faire certaines propositions que la directrice générale pour l’Afrique, les Amériques et les Territoires d’outre-mer au Foreign, Commonwealth & Development Office (FCDO) du Royaume-Uni devait transmettre au PM britannique, Keir Starmer.