Le Central Electricity Board (Amendment) Bill et l’Electricity (Amendment) Bill adoptés par le Parlement la semaine dernière ont été bien accueillis par le secteur privé, observe Mickaël Apaya, Head of Sustainability & Inclusive Growth à Business Mauritius. Il considère toutefois qu’en 2021, l’URA aura la grande responsabilité de concilier la tarification de vente de l’électricité au regard du nouveau contexte international et local. L’autorité devra se prononcer sur le fait d’une possible augmentation des tarifs.
Deux textes de loi, dont l’octroi de pouvoirs exécutifs à l’URA, ont été adoptés par le Parlement la semaine dernière. Est-ce que cela répond aux attentes des consommateurs et des producteurs privés ?
Cela répond évidemment aux attentes des acteurs du secteur de l’électricité depuis plus de 15 ans. Avoir un cadre régulateur avec une autorité forte qui exerce pleinement ses pouvoirs est un élément central dans le paysage de l’électricité. En 2020, ce paysage doit pouvoir réconcilier décarbonation, décentralisation et digitalisation. Il est bon de rappeler que l’URA Act date de 2004. Elle a été promulguée en 2008 et enfin opérationnalisée en 2016. Nous avons donc une institution naissante qui doit encore ancrer ses prérogatives pour être efficace. Les deux nouveaux textes de loi étaient absolument nécessaires afin que l’URA gagne en efficacité. Même avec une opérationnalisation en 2016, il était impossible pour l’URA d’être le régulateur sans la promulgation de l’Electriciy Act 2005 et la modification de la CEB Act 1963.
Dans la forme, nous pouvons donc dire que cela va donc dans le bon sens en ce qu’elle garantit aux consommateurs une tarification de l’électricité au plus juste. Et en garantissant aux producteurs privés un mécanisme de fixation de prix d’achat qui reflète totalement les conditions socio-économiques de chacune des filières de production d’électricité. Si dans la forme, une transition est enclenchée, c’est bien dans le détail des deux nouvelles lois qu’il faut entrer pour comprendre l’articulation de la relation future entre l’URA et le CEB.
Le ministre a annoncé qu’il reviendrait à l’URA de décider des tarifs d’électricité. Pensez-vous que ces tarifs devront être révisés ?
Comme partout à l’international, dans un cadre régulateur qui se respecte, c’est bien à l’autorité que revient la charge de déterminer les conditions économiques nécessaires à ce que toute la filière électricité fonctionne correctement de l’amont à l’aval. En amont, il est important que l’URA examine les conditions entre un producteur privé et l’entité qui a le droit d’acheter de l’électricité (jusqu’ici le CEB). Il est aussi important que l’URA examine les conditions de gestion du réseau électrique par le CEB, seule entité qui a la responsabilité de la transmission et distribution de l’électricité. Enfin, l’URA examine aussi les conditions de vente de l’électricité du CEB vers les trois types de consommateurs que nous connaissons à Maurice : industriel, commercial, et résidentiel. Si on reprend le contexte mondial cité plus haut, le secteur de l’électricité doit absolument transitionner vers un modèle décarboné alliant la digitalisation et la décentralisation. C’est pourquoi, en 2021, l’URA aura une grande responsabilité de concilier la tarification de vente de l’électricité au regard de ce nouveau contexte. L’autorité devra se prononcer sur le fait d’une possible augmentation des tarifs. Là où il faut entrer dans le détail, c’est sur le point que le ministère a déjà annoncé que l’URA aura tout d’abord une première responsabilité, décalant ainsi dans le temps (non défini) la responsabilité de la tarification. En effet, le Strategic Plan 2018 dit clairement que l’URA procédera d’abord au “licensing framework”. Ce qui consiste à délivrer des permis d’opération aux différents acteurs du secteur. Le ministre précise qu’il faudra donner du temps, et des ressources humaines complémentaires pour que l’URA examine correctement le modèle économique de ce secteur.
En ce sens, le “licensing framework” est intéressant puisqu’en même temps qu’elle délivre des permis, l’URA va récolter une entrée financière annuelle (licensing fee), lui permettant ainsi de devenir une institution autonome financièrement. Il est aussi important de mettre en perspective qu’un régulateur doit donner les éléments tangibles sur le modèle économique du secteur de l’électricité. C’est son rôle d’être transparent. S’il faut annoncer une hausse, ou une baisse, l’URA le fera sur la base de faits argumentés. Par la suite, il appartiendra toujours au ministère de donner des orientations stratégiques pour soutenir une augmentation des tarifs. Lorsque l’URA délivre le constat en toute transparence, c’est au ministère que revient la décision finale. À chacun sa responsabilité.
Est-ce que ces nouvelles législations stimuleront la production de l’énergie renouvelable, de l’énergie propre, etc. ?
Lancé en août 2019, et repris dans le Budget 2020, ce projet a pour objectif national d’atteindre 40% d’énergies renouvelables d’ici 2030 dans le “mix” électrique. Il s’agit là de quasiment doubler cette part en dix ans en mobilisant plus de Rs 35 milliards d’investissements. Avant les nouvelles lois, Business Mauritius avait déjà demandé la mise en œuvre d’une planification de ces investissements afin de donner de la visibilité aux opérateurs économiques. Nous savons qu’il faut atteindre 40%, mais nous ne disposons d’aucune information sur la mise en œuvre. Il est important de comprendre l’écosystème des différentes filières d’énergies renouvelables sur notre territoire insulaire. Depuis deux à trois ans, il n’y a pas eu de signaux précis sur les appels d’offres du CEB pour les centrales de grandes capacités dans le solaire ou l’éolien. De même, la situation n’est pas claire sur les segments intermédiaires (medium scale) et résidentiels (small scale) où les différents “Schemes” développés par le CEB sont lancés mais pas attribués avec des conditions à préciser (installation, consommation, vente). Si de grosses compagnies continuent à vivre tant bien que mal grâce à leurs assises internationales, les plus petites structures locales font face à des difficultés importantes. Ces professionnels se sont structurés pendant plus de dix ans par leurs propres moyens pour assurer une filière sur le marché mauricien. Au niveau de Business Mauritius, nous travaillons avec ces acteurs au sein du Club des entrepreneurs de la transition énergétique. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins où les bonnes décisions doivent être prises pour la pérennité de ce savoir-faire qualifié.
La transition énergétique est en enjeu crucial pour la résilience socio-économique du pays. Pendant la période de confinement lié à la COVID-19, nous avons bien vu que l’autonomie énergétique est tout aussi importante que la sécurité alimentaire. Nous devons viser plus haut que 40% si nous réalisons que notre économie devra absorber les différents prochains chocs annoncés par le dérèglement climatique à l’échelle mondiale. Et le nouveau cadre régulateur ne permet pas de donner plus de visibilité aux opérateurs. Jusqu’à présent, les principaux débats que notre Club a régulièrement exposés étaient d’un côté le prix d’achat de l’électricité entre le producteur indépendant et le CEB, et de l’autre, la capacité d’un consommateur d’être aussi un producteur par les moyens décentralisés de système solaire PV.
L’Electricity Act 2020 et la CEB Act 2020 sont clairement en cohérence avec le “licensing framework” de l’URA. Il y aura bien un cadre légal pour tous les acteurs du secteur. Par contre, dans l’opérationnalisation à venir, il reste encore à clarifier la relation de travail entre l’URA et le CEB concernant l’achat de l’électricité en provenance d’un détenteur d’un permis de génération. Business Mauritius a mis en évidence ces points de clarifications sur la coordination entre les deux institutions.
Certes, les commentaires du ministre le 15 décembre au Parlement donnent quelques voies de clarification, mais la phase d’opérationnalisation sera très importante pour savoir si le nouveau cadre légal est favorable aux énergies renouvelables.
Est-ce l’autoconsommation devrait être encouragée ?
Dans le secteur résidentiel, l’autoconsommation devrait être complètement la norme. Un particulier qui voudrait investir dans une installation solaire PV pour sa maison devrait pouvoir le faire sans attendre la parution d’un “Scheme SSDG” par le CEB. Il y a une inadéquation entre le moment de décision du particulier (phase de construction par exemple), le moment de l’appel du CEB (en général un cycle de deux à trois ans) et le moment de l’autorisation du CEB qui peut prendre plus de 12 mois après le dépôt du dossier. Le principe d’autoconsommation à travers le monde consiste à laisser le choix d’investissement aux particuliers. Il faut un “open desk” pour le SSDG et non pas un “Scheme” qui apparaît et disparaît tous les trois ans avec des modalités qui varient entre-temps. Pour le segment des bâtiments commerciaux et industriels, l’autoconsommation est aussi à discuter au niveau des modalités. Ce sont là autant de questions qu’il serait maintenant nécessaire de travailler avec le ministère et l’URA. A priori, dans le nouveau cadre légal, il appartient à l’URA de fixer le National Grid Code et de délivrer les “guidelines” au Single Buyer Licence (SBL délivré uniquement au CEB). L’URA délivre son analyse et ses recommandations au ministère. Et le ministère donne les orientations de la politique générale.
Que comprend-on par “bulk supply of electricity” ?
Dans l’Electricity Act de 2005, le “bulk supply of electricity” allait dans le sens du développement de “smart micro-grid” à l’heure où le marché mondial tend vers le modèle de gestion décentralisée de la production et consommation d’électricité. Un détenteur du permis “bulk supply” avait des activités de transmission et distribution de l’électricité dans le but de vendre à un “eligible customer”, ce dernier ayant un permis de ce type délivré par l’URA.
Le nouveau “scope” de service de l’électricité est défini dans le CEB Act 2020 comme « generation, transmission, system operation, distribution or procurement of electricity ». De même, la notion d’“eligible customer” est supprimée dans l’Electricity Bill, ce qui empêche donc la fourniture de l’électricité d’un “holder of a generation licence or bulk supply licence” vers un consommateur désigné par l’autorité. C’est par exemple un modèle qu’on aurait pu avoir au sein des Smart Cities. Ou encore dans un système de production et de vente d’électricité verte pour la mobilité électrique. Le “bulk supply of electricity” est donc remplacé par le “Single Buyer Licence” délivré uniquement au CEB. D’après les commentaires du ministre au Parlement, il s’agirait d’une période transitoire à la fin de laquelle d’autres entités que le CEB pourrait obtenir le SBL.