Pour son troisième album Sadela (ces deux-là en créole), le duo romand The Two, né d’une rencontre entre Yannick Nanette et Thierry Jaccard, propose un voyage musical dans les Mascareignes. Plus qu’une esthétique nouvelle, leur album, enregistré et arrangé sous la direction de David Donatien, fait défiler des pièces aux multiples couleurs, en écho à l’imaginaire de la « créolisation » du monde, suivant le poète Edouard Glissant.
Retour sur dix ans de carrière : le Mauricien Yannick Nanette quitte son île natale pour étudier les arts visuels en Suisse. Mais sa route prend une autre direction lorsqu’il rencontre Thierry Jaccard à son arrivée à Sierre, ville suisse. Les deux musiciens partagent la même passion pour le blues et cheminent ensemble avec leurs guitares dans les petits clubs et sur les grandes scènes. Plus de 800 concerts en Europe, aux États-Unis et au Canada, ainsi que deux albums, avant de plonger dans les racines créoles, la langue, l’histoire. Un voyage qui les entraînera dans le blues, le maloya, le séga, issus de l’esclavage. Une envie aussi d’explorer une nouvelle esthétique, de nouveaux paysages sonores, de nouvelles couleurs et textures.
Durant le confinement, Yannick Nanette est confronté à la maladie de son père et se rend régulièrement à son chevet. En quarantaine, il se concentre sur ses textes, chants et guitare, laissant les rythmiques à Thierry Jaccard. Au cœur d’une expérience intime et douloureuse, « c’est une cascade de mots qui est sortie de lui… Et quand j’ai lu ses textes, vu leur profondeur, c’était évident que l’album, ça serait ça. Tout faisait sens…», dira Thierry Jaccard en entretien. La nostalgie du pays, la famille, l’amour, la vie, la mort sont les grands thèmes que l’on trouve sur Sadela, un album de dix titres servi par une écriture intime au rythme de la guitare acoustique. Avec Mama Nette, Emy, Tiombo, Fam kouma ou, c’est l’ambiance chaleureuse de la vie dans l’océan Indien qui est portée à nos oreilles. « Ki pe fer, ki pe cuit ? Savate dan lipie, saler là-bas manque mwa… mo savate kote ? Ici mo pe pense mo pei… »
Sadela révèle la nostalgie de la vie insulaire. Le nouvel album du groupe The Two se signale par son ambiance d’une absolue cohérence de bout en bout : compositions originales en créole distillant leur charme doucement mélancolique sous les pas du soliste Yannick Nanette, au lyrisme inné, au timbre de voix chaud, relevé d’une pointe de vibrato qui donne sa pleine mesure expressive au disque. Et l’on trouve des images (Maurice), des sons (le créole) et des sensations qui serrent le cœur. La créolité stimule l’imaginaire fiévreux de ces guitaristes expressifs.
Les fructueuses rencontres entre Maurice et l’Europe sont toujours l’occasion d’explorer de nouveaux paysages sonores. Yannick Nanette et Thierry Jaccard sont parvenus à créer un univers sonore par une production acoustique, innovant et cohérent, combinant les multiples influences (blues, maloya, séga) dans une sorte de fusion ultime. Un disque d’une grande poésie qui fait défiler des pièces aux multiples couleurs (créolité, esclavage, l’esthétique du label) avec une émotion toujours palpable. La tranquillité du phrasé de Yannick Nanette, la mélodie de ses compositions, jouant sur les couleurs et les textures, les rythmes et les harmonies font que le disque évolue tel le continuum d’un rêve éveillé grâce à la gravité de la voix. Ce n’est pas un virage musical mais l’envie d’explorer l’ailleurs, de traduire la complexité du monde contemporain à l’ère des identités transnationales et des mouvements de population.