Enfant, Rudy Luxe s’était fait une promesse : laisser son empreinte dans la communauté. Pour y parvenir, le petit garçon de Résidence Ste Catherine, à St Pierre, savait qu’il fallait passer par la case de l’éducation.
Il l’a fait, mais en surmontant des obstacles, dont le décès de sa mère alors qu’il était encore collégien. Après avoir abandonné ses études pour travailler comme aide-maçon avec son père, il a repris le chemin de l’école et décroché son HSC puis une licence en Graphic Design.
À 31 ans, Rudy Luxe est aujourd’hui un jeune entrepreneur qui a lancé son studio d’audiovisuel dans sa cité. Il est aussi le président de Zenerasion Nou Kapav, une plateforme sociale sous l’égide de la ENL Foundation. Une chose est certaine, le jeune homme a déjà inscrit son nom dans la mémoire de sa cité pour être le seul à avoir excellé dans différents domaines.
Il a des idées qui bouillonnent dans sa tête. Ce qui n’étonne personne dans son entourage. Rudy Luxe, qui maîtrise les outils digitaux pour créer des instants mémorables, est toujours en quête de nouveautés, de ce petit truc qui va susciter l’émotion, attiser la curiosité, mais pas que ! Quand il photographie ou filme ses sujets, le jeune homme ne se contente pas de les faire poser dans des endroits au cadre idyllique. Il lui faut plus que l’effet wow ! Il trouve des astuces et crée des situations qui donnent à son travail toute la particularité recherchée. Il veut se démarquer, sortir du lot…
« Il y a encore tellement de possibilités à explorer et exploiter dans la nature. De plus, il y a des coins extraordinaires et insoupçonnés pour des séances de shooting. Je voudrais tellement trouver des personnes aventureuses qui accepteraient de sortir des cadres conventionnels pour faire des photos inédites pour marquer l’occasion souhaitée. J’ai ce petit grain de folie qui fait que la plupart du temps, ce sont des étrangers qui sont partants pour des prises insolites, par exemple plonger dans un bassin devant une cascade en tenue de mariés. Les Mauriciens sont encore hésitants. Ils n’osent pas encore à franchir le cap. Pourtant, j’aimerais tant pouvoir travailler avec plus de Mauriciens », dit Rudy Luxe.
C’est dans un petit bureau, aménagé dans la maison familiale à Résidence Ste Catherine, que le jeune homme opère son studio Immortalize Creation, le seule du genre là-bas. Sa passion pour la photographie digitale, le design, la vidéo… est indéniable. Il en est de même pour l’amour qu’il porte pour son quartier. Il aurait pu le quitter au moment où il s’est lancé dans la vie professionnelle active, quand il travaillait pour des noms connus après avoir décroché un Degree en design de l’Université de Technologie. « Ici, ce n’est pas une cité. C’est une famille », dit-il. Donc, quitter sa famille ? Non !
Un parcours à faire taire les préjugés
Rudy Luxe incarne la détermination, celle de réussir en empruntant la voie académique. Il est de ceux dont le parcours fait taire les préjugés. Il a démontré qu’un enfant de la cité peut atterrir à l’université si les conditions sont réunies et si celui-ci s’applique à fond dans ses études. Depuis qu’il est enfant, il savait que l’éducation était la clé qui lui ouvrirait des portes. À Ste Catherine, où il a toujours vécu, il est le seul à avoir fait des études supérieures. Le diplômé de l’Université de Technologie de Maurice fait la fierté de la cité. Et il la lui rend bien, notamment quand il évoque le lien entre les résidents et aussi sa participation pour le progrès social de Résidence Ste Catherine.
« J’ai eu la chance d’avoir grandi dans une cité où j’ai connu des jeux d’enfants. On a joué à la marelle sur la rue et à cache-cache dans les champs de canne. Quand je racontais cela à d’anciens collègues qui, eux, ont grandi ailleurs, ils n’en revenaient pas, ils me disaient que j’étais chanceux, car ils n’avaient pas la nature et la rue pour espaces de jeux », raconte Rudy Luxe.
« Mes voisins sont bien plus que des amis. Il y a une relation de proximité qui renforce les liens et la solidarité dans des moments difficiles. Ici on est démonstratifs quand il est question d’entre-aide. Je me rappellerai toujours du jour où on venait d’apprendre le décès de ma mère, à l’hôpital. On n’en avait même pas encore parlé dans le voisinage qu’en moins de 30 minutes les résidents étaient dans la cour et commençaient les préparatifs pour la veillée. Aujourd’hui encore, quand il nous manque quelque chose dans la cuisine, nous allons frapper à la porte du voisin. »
Malheureusement, il y a quelques années, les drogues synthétiques ont fait leur entrée dans des foyers de Résidence Ste Catherine, entraînant leur lot de conséquences et de souffrance. C’est une des raisons pour lesquelles qu’avec Zenerasion Nou Kapav, une plateforme mise sur pied sous l’égide de la ENL Foundation, Rudy Luxe s’est engagé à œuvrer pour bien-être de sa région. Président de cette plateforme, il explique que celle-ci agit comme pont entre les habitants et tout organisme extérieur qui souhaiterait implémenter ou soutenir des projets sociaux à Ste Catherine. Pour Rudy Luxe, son engagement social est un juste retour à la communauté et sa gratitude envers tous ceux qui lui ont tendu la main en croisant sa route. Il se dit reconnaissant envers chaque homme et femme qui ont cru en lui alors qu’il avait abandonné l’uniforme de SSS Marcel Cabon, où il étudiait, rangé les livres pour se mettre à la pioche et au ciment sur des chantiers de construction. Il était encore adolescent.
« Bonnes notes et médailles »
Le décès de sa mère, Ginette, à l’âge de 45 ans, avait bouleversé sa vie et ses études. « Je ne m’en suis pas rendu compte. C’est mon enseignant de biologie, qui a joué un rôle important pendant mes études au collège, qui a attiré mon attention sur les raisons de la baisse de mon niveau », confie Rudy Luxe. A l’époque, le résident de Sainte Catherine brillait en biologie tout comme en sport.
« Après la remise des diplômes à l’université, j’ai essayé de retrouver cet enseignant pour partager le nouvelle avec lui, mais en vain… » dit-il. « Ma mère aurait été fière de moi… » confie ce dernier.
« Elle était ma motivation, elle m’encourageait dans mes études et le sport », raconte Rudy Luxe. À l’école Saint-Pierre RCA, il était, affirme-t-il, « un élève turbulent » mais intelligent. « Je ramenais de bonnes notes et des médailles à la maison. Si mon père qui travaillait dur me disait tout simplement que c’était bien, ma mère, elle, avait les bons mots pour m’encourager à aller de l’avant et faire mieux. Quant à moi, je connaissais mes capacités, je me devais d’exceller dans tout ce que je faisais pour la rendre fière », dit l’infographiste.
Le départ de sa mère l’ayant profondément affecté, il réussit certes une première fois aux examens de School Certificate, mais ses résultats ne lui permettent pas d’être promu. Le collégien brillant qu’il était avait perdu ses repères et confiance en lui. La deuxième tentative aux épreuves de Cambridge donne les mêmes résultats. « J’abandonne l’école et je suis convaincu que je devais me mettre au travail. Je trouve de l’emploi dans un centre d’appels, je n’y reste que deux mois. J’avais dû mal à rester assis pendant des heures, ce n’était pas possible, c’était une torture pour moi qui suis une personne active », raconte Rudy Luxe.
Et de poursuivre : « Mon père qui travaillait comme maçon sur des chantiers m’a alors proposé de le rejoindre. J’avoue que j’étais plus à l’aise sur un chantier que dans un centre d’appels. Mais j’avais la tête ailleurs. Depuis que je suis enfant, je m’étais donné pour objectif d’accomplir des choses qui laisseraient mon empreinte. Je pensais aux études. Qui plus est, quand moi je rentrais du travail, je voyais des collégiens en uniforme et cela me renvoyait à ma réalité, un parcours académique brisé. »
Et puis, un jour… il y a eu un déclic. Alors qu’il est sur le terrain de foot de sa cité, il prend son téléphone et appelle la liaison officer de la ENL Foundation qu’il connaissait déjà. « Je lui ai dit que je voulais retourner à l’école », raconte Rudy Luxe. Soutenu financièrement par la fondation, il est admis dans un établissement privé, où il se prépare pour le Higher School Certificate. Animé par l’envie de réussir, relever le challenge qu’il s’est donné et prouver à son sponsor que celui-ci avait raison de placer sa confiance en lui, le jeune homme décuple les efforts pour rattraper les retards découlant de sa déscolarisation.
Il quitte l’école pour les chantiers
Son choix de retourner en classe n’avait pas fait l’unanimité dans sa famille. Mais sa persévérance a payé lorsque les résultats du Higher School Certificate sont tombés. Il décroche le précieux certificat haut la main, il est d’ailleurs le seul de sa cité à avoir réussi ces examens cette année-là. Son HSC en poche — il est admis à l’université de technologie où il étudie le graphic design. Il va même travailler dans la restauration en parallèle à ses études pour payer une partie des frais, l’autre partie étant assurée par son sponsor. Ne pouvant jongler avec le travail à temps partiel et l’université à plein temps, il laisse tomber la restauration et la fondation prend en charge la totalité de sa scolarité. Ses années d’études n’ont pas été sans sacrifices.
« Je ne pouvais pas envisager de simples sorties entre camarades de cours. J’empruntais même des vêtements à des amis pour aller à l’université », confie Rudy Luxe. Malgré le coût élevé d’un ordinateur portable, son père a pu lui en offrir pour ses travaux.
« Le jour de la remise de diplôme, il m’a dit qu’il s’est senti fier », confie encore le jeune entrepreneur, ému. Immortalize Creation est né après la fin d’une belle promesse professionnelle. À sa sortie de l’université, Rudy Luxe avait accumulé de l’expérience d’abord comme graphiste dans une entreprise privée, ensuite en tant que monteur/vidéaste dans une agence de communication, avant d’accepter une offre ailleurs. Toutefois, tenté par d’autres perspectives, il prend de l’emploi auprès d’une nouvelle entité, laquelle, quelques mois plus tard, décide d’interrompre sa collaboration avec lui.
« C’était le choc pour moi ! Je m’étais endetté pour m’acheter du matériel pour travailler de chez moi », raconte-t-il. Face au chômage, il fallait rebondir. Il lance son projet de photographie et presque en même temps, grâce à un ami, il devient guide nature. Pour lui, il était évident qu’il devait concilier sa reconversion avec sa passion pour la photographie, la vidéo et le montage. Petit à petit, il a proposé ses services à ceux qui souhaitaient immortaliser de manière originale, voire insolite des moments de leur vie. Lui, il continue la sienne avec le même désir : se distinguer pour ne pas décevoir sa mère, son étoile…