Tous les animaux n’ont pas la chance de trouver le foyer de leurs rêves. Alors que d’innombrables victimes d’abandon pataugent dans la misère, exposés à toutes sortes de dangers, et sont victimes d’actes de cruauté à Maurice, quelques rares animaux ont le privilège d’être adoptés grâce à la bienveillance de certains Mauriciens, ainsi que d’étrangers, et ainsi se voir offrir une seconde vie confortable, parfois même avec un cadre de vie exceptionnel auprès de leur famille d’adoption. C’est le cas de Lilly, l’une des deux rescapées de la vague d’empoisonnement sur la plage de Flic-en-Flac, en février dernier, qui a été adoptée en France où elle vit enfin une vie heureuse et épanouie au milieu du paysage normand, face à la mer, entourée de verdure.
Repérée par des bénévoles il y a environ un an sur la plage de Flic-en-Flac, Lilly fait partie de ces chiens lâchement abandonnés. La vie n’est pas facile pour les nouveaux venus qui essaient d’intégrer une meute parfois avec une agression hiérarchique. La plupart sont chassés à cause du cercle dominant. Dans le groupe, chaque membre a sa place définie et acquise. Craintive à son arrivée, elle ne se laisse pas trop approcher, ni caresser, et montre les dents. Elle y rencontre des chiens avec lesquels elle se lie d’amitié, alors que d’autres l’attaquent, la privant d’eau et la poussant à aller boire l’eau salée qu’elle trouve en creusant le sable humide. Il y a également ces gens qui lui donnent des caresses et d’autres qui la font fuir. Pour tous ceux qui sont abandonnés sur la plage ou ailleurs, c’est le début d’une intense et épuisante aventure. Leur priorité : se nourrir et survivre.
Calme, discrète et réservée, Lilly finira par s’éloigner, allant chercher la nourriture et le calme ailleurs. En face du poste de police, elle s’y sent en sécurité avec différentes personnes qui interagissent avec elle. Elle reprend confiance, se laisse approcher, change d’attitude vis-à-vis de l’humain, devient douce, affectueuse et câline avec ceux qui prennent le temps de s’intéresser à elle. Son côté insouciant et drôlement distrait rend la petite chienne unique. Elle fait fondre tous les cœurs, ceux des nourrisseurs et ceux des touristes qui lui apportent des friandises. Comme ce fut le cas pour une famille française qui séjournait à Flic-en-Flac en décembre 2022. Dès leur première rencontre avec Lilly, c’est le coup de cœur immédiat. La chienne de petite taille, qui possède un doux pelage de couleur marron et blanc et des yeux marrons clairs, est très attachante. L’idée d’adoption frôle l’esprit de Jennifer Tallone et de sa famille qui s’intéresse à son histoire, mais les procédures pour la faire venir en France sont longues et compliquées et la fin du séjour approche. Une fois rentrée chez elle, la famille ne peut s’empêcher de penser à la petite chienne et prend régulièrement de ses nouvelles.
Sur cette plage, il y avait également d’autres chiens qui étaient en attente d’adoption. Comme Junior et Sofia qui avaient déjà trouvé leurs familles d’accueil en Estonie et en France. Les démarches étaient en cours. Mais le bonheur des adoptants s’interrompt ce fameux 6 février lorsqu’une vague d’empoisonnement se répand sur la plage, tuant plusieurs chiens. Les cadavres sont confiés à la Mauritius Society for Animal Welfare (MSAW) à des fins d’autopsie, afin d’établir les causes réelles des décès. Ndlr: à ce jour, les rapports d’autopsie du Forensic Science Laboratory (FSL) ne sont toujours pas connus. Les images et vidéos sont diffusées sur les réseaux sociaux et l’affaire est reprise dans la presse. Entretemps, une ONG, le Community Sterilisation Campaign (CSC) de Linda Ambor organise une levée de fonds et propose une forte somme pour récompenser toute personne ayant des informations permettant l’arrestation du ou des coupables de ces actes de barbarie. Elle est soutenue par PAWS UK et 4 PAWS Rescue and Relocation International ainsi que par des bénévoles de Flic-en-Flac. Une candlelight est organisée sur la plage pour honorer la mémoire des victimes, mais la demande de l’installation d’une stèle offerte par l’entreprise de tombaliste de Karine Delaître-Korimbocus auprès de la Beach Authority est rejetée.
Cet horrible événement fut l’élément déclencheur pour la famille française. Jennifer et son mari décident ensemble d’accélérer les choses et organisent le rapatriement de Lilly en France, afin d’éviter qu’elle ne meure empoisonnée elle aussi et lui offrir une vie plus douce dans leur foyer. La petite chienne est très vite mise en sécurité chez All Life Matters (ALM) à Bois Rouge où elle est prise en charge par les vétérinaires et vaccinée. Pour la faire venir en France, le coût total s’élève à 700 euros, frais vétérinaires inclus.
Happy end pour la beach dog
Grâce à un couple d’accompagnateurs, la beach dog prendra l’avion le 11 mars et rejoindra l’aéroport parisien après onze heures de vol et de nombreuses heures enfermée dans une cage. Sa famille l’attend à l’aéroport, avant de repartir pour deux heures et demie de route jusqu’à la Normandie. À nouveau, contrôle vétérinaire. La famille apprend que Lilly est toute jeune, environ 18 mois, 2 ans maximum. Très vite, la petite chienne, nullement perturbée par ce changement géographique, fait la découverte de son nouvel environnement, de superbes écrins de verdure à seulement 10 minutes des falaises et de la mer, fait la connaissance des chevaux de Jennifer, joue avec les chiens Sydney, Riley et Luna, deux Staffie et une Spitz naine.
« Avec ma vieille Sydney qui a 11 ans et est cardiaque, elle ne joue pas », dit Jennifer Tallone. Elle découvre également une dizaine de chevaux en pension chez cette famille de la Seine Maritime et partage parfois leurs granulés. Jennifer ne tarit pas d’éloges à son sujet. « Elle est très intelligente. Elle a un passé compliqué et cela m’attendrit. J’ai envie de lui donner beaucoup d’amour pour qu’elle ait une belle vie. En prenant la décision de la faire venir en France, je ne savais pas du tout où j’allais, si ça allait le faire ou pas, va-t-elle être agressive ? propre ? va-t-elle tout me détruire ? Je partais à l’aveugle. Mais finalement, elle est propre, gentille et pas de bêtises… Il y a encore du chemin, mais on fera en fonction de son vécu, de sa personnalité. Je suis à l’écoute ».
Là-bas, Lilly poursuit son éducation et apprend des mots. « Elle a enregistré le « non ». Pour l’instant, elle comprend « dehors », « non », « oui », « assis », « viens », « doucement », « bisou » », raconte son adoptante. Si elle est plus proche de Jennifer, Lilly a mis du temps avant de s’habituer à Steve, le mari de Jennifer, et leur fils Noa. « Cela a mis 15 jours avec eux. Alors qu’avec moi, le contact a été plus facile et immédiat. On sent qu’elle a eu un traumatisme avec les hommes. Elle reste méfiante. Apparemment, il faut deux ans environ pour que le cerveau des chiens oublie et se remette à zéro », dit-elle.
Pour le moment, Jennifer la garde attachée en grande longe lorsqu’elle la promène dehors, parce qu’elle ne se sauve pas. Il n’y a pas longtemps, Lilly a sauté le grillage et s’est retrouvé dans les prés des chevaux, pour observer les moutons des voisins de plus près. Ses journées sont rythmées par des séances de papouilles, des promenades, des heures dans les écuries, des jeux, la découverte de la campagne verdoyante normande, des champs à perte de vue et la chasse dans l’herbe. « Quand il fait beau, elle reste dehors, elle joue, elle dort au soleil derrière les baies vitrées ou dans le panier, elle fait que ça de la journée. L’après-midi, je l’emmène aux écuries (on habite sur place). Elle regarde tout ce que je fais, elle mange des granulés avec mon cheval, on l’emmène se promener dans la campagne ou dans nos herbages », raconte sa nouvelle maîtresse.
Lilly a compris qu’elle peut vivre pleinement sa vie et, enfin, jouir d’une vie normale. Quant à Jennifer, elle tient à remercier tous les intervenants qui ont permis l’adoption de Lilly. « Tous les maillons de la chaîne sont importants et indispensables », dit elle. Tout en recommandant vivement à toutes les personnes sensibles à la cause animale de se rapprocher des associations, des nourrisseurs et des soignants. « Il n’y a pas de petits gestes : chaque attention, chaque friandise offerte, chaque caresse, chaque don et chaque adoption sont essentiels. Les animaux nous le rendent au centuple. Si seulement chacun pouvait avoir un autre regard sur la misère qui l’entoure », conclut-elle.