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Musique internationale – Génèse du premier album d’afro fusion jazz enregistré à Maurice

Si tout se déroule selon les prévisions, le premier album d’afro fusion jazz enregistré à Maurice sera lancé dans quelques mois. Possiblement à Maurice et au Sénégal. Le bassiste mauricien Clive Govinden et le chanteur et musicien sénégalais Woz Kaly, qui en sont les producteurs — dans tous les sens du terme —, nous racontent la genèse de cet album qui a pris dix ans pour naître et qui est, selon leurs dires, « un produit musical final qui est à la hauteur des meilleurs, puisque ce sont les meilleurs musiciens, dont la crème des Mauriciens, qui ont participé à sa réalisation. »

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Nous avions fait la connaissance de Clive Govinden, l’un des bassistes les plus recherchés du milieu musical afrojazz français et belge, en 2007. Il était alors en vacances à Maurice et avait accepté de répondre à nos questions pour les besoins d’un portrait. Clive Govinden avait raconté son parcours atypique de jeune Mauricien dont les parents travaillaient à l’étranger. Au contraire des membres de sa famille qui collectionnaient les diplômes scolaires et universitaires, il décide de se lancer dans la musique, en commençant par suivre des cours dans une école de musique, sur l’insistance de ses parents, pour pouvoir entrer au conservatoire de Bruxelles.

Il découvre la guitare basse qui est, affirme-t-il, « l’instrument qui est derrière et que l’on ne remarque pas, si on n’a pas l’oreille aguerrie, mais qui est indispensable dans un orchestre puisqu’elle fait la jonction avec tous les autres instruments. Elle occupe une place névralgique dans la musique. » L’apprenti musicien se découvre aussi une passion pour la musique africaine et traîne dans toutes les boîtes et clubs de Bruxelles où se produisent les artistes et groupes africains. Cette passion lui fera abandonner ses études à Bruxelles pour monter à Paris où il va se faire une réputation de bassiste et dérocher des contrats pour jouer dans les clubs, les festivals et les tournées internationales en tant qu’accompagnateur.

« Le niveau des musiciens de jazz mauricien est, le mot n’est pas trop fort, exceptionnel. On a ici des musiciens de niveau international et on ne s’en rend pas compte »

Que s’est-il passé dans la carrière de Clive Govinden depuis 2007 ? « Comme je vous l’ai déjà dit à l’époque, je venais du jazz après des études au conservatoire de Bruxelles mais, sans doute à cause de mes racines mauriciennes, j’étais à la recherche d’une autre musique, avec plus de rythmes et de sonorités africains. J’ai continué à accompagner des groupes et des artistes, dont la chanteuse ivoirienne Dobet Gnahoré, qui m’a demandé d’arranger quelques-unes de ses chansons, arrangements qu’elle a bien aimés. J’ai tourné avec d’autres groupes et puis j’ai découvert Woz Kaly, un chanteur sénégalais qui avait longtemps vécu en France. Je l’ai découvert grâce à un batteur du groupe Ultra Marine qui faisait de l’afrojazz fusion, qu’il ne faut pas confondre avec le jazz fusion. »

Question simpliste pour les initiés mais essentielle pour le grand public perdu entre les différents styles de musique : quelle est la différence entre l’afrojazz et l’afro fusion jazz ? « L’afrojazz est né dans les années 1970 à Paris et a été rapidement adopté par des groupes comme Weather Report, Mahavishnu, Franck Zappa et d’autres. L’afro fusion jazz est une évolution naturelle de ce style musical qui est né d’un métissage de musiciens antillais et autres artistes africains qui se produisaient à Paris, comme Woz Kaly, que mon ami batteur m’a fait découvrir. Il m’a fait écouter ce que faisait ce chanteur sénégalais, qui avait déjà enregistré son premier album. J’ai été séduit par sa voix, sa manière de chanter et sa musique et je me dis qu’il faut absolument que je le rencontre. J’arrive à Paris quelque temps après, et comme le hasard fait parfois bien les choses dans le monde de la musique, Woz Kaly se produisait dans une boîte, vis-à-vis du club où je jouais dans un groupe. Nous nous sommes rencontrés, avons sympathisé, sommes devenus des amis habités par la même passion musicale. Je lui ai fait écouter les arrangements que j’avais faits pour Dobet Gnahoré et ça lui a plu. Il m’a fait écouter son premier album qui était « fine » et on a commencé à travailler et à voyager ensemble — nous jouions chacun avec plusieurs groupes en même temps. Au fil de ces engagements et des tournées, sur la route, nous avons échangé des morceaux et je lui ai proposé des arrangements sur un de ses titres, ça lui a plu et ainsi de suite. Au bout de quelque temps, nous avions de quoi faire un album avec ses chansons arrangées, mais en raison de nos engagements respectifs et du manque de financement pour l’enregistrement, nous avons mis le projet en veilleuse. »

Comment est-ce que le bassiste accompagnateur qu’est Clive Govinden est devenu producteur du deuxième album de Woz Kaly ? « Par un autre alignement des planètes qui se produit parfois dans la vie et le monde musical. » Lors d’un de ses séjours de vacances à Maurice, Clive Govinden compose un séga en l’honneur de son petit neveu et décide de l’enregistrer sur place. « J’avais déjà rencontré et, dans certains cas, joué avec des musiciens de jazz mauricien se produisant à l’étranger dans les clubs ou les tournées, comme Christophe Bertin, Momo Mananourt, Jerry Léonide, Philippe Thomas, Nessen Tiruvengadum et Menwar, entre autres : soit la crème des musiciens mauriciens. Je leur ai demandé de me donner un coup de main pour enregistrer ma première composition, et c’est là que j’ai découvert le studio Scorpio. À Paris ou ailleurs en Europe, les studios sont dans la banlieue, dans des zones industrielles. Le studio Scorpio se trouve à Petite-Rivière, dans un cadre extraordinaire : à gauche on va vers la mer, à droite on regarde les montagnes. J’ai enregistré ma première composition avec les meilleurs musiciens de Maurice dans un studio qui n’a rien à envier à ceux de Paris et d’ailleurs. Le niveau des musiciens de jazz mauricien est, le mot n’est pas trop fort, exceptionnel. On a ici des musiciens de niveau international et on ne s’en rend pas compte. Tous les musiciens que j’ai cités vous les mettez dans n’importe quel club de jazz du monde de Los Angeles aux capitales européennes et certaines villes africaines et asiatiques, ils sont acclamés, à juste titre. C’est à ce moment que je me suis dit que le deuxième album de Kozy sur lequel on travaillait depuis des années devrait être enregistré à Maurice, avec des musiciens locaux. »

« L’objectif de cet album est de montrer, en dehors du talent de Woz Kaly, la capacité de production à Maurice tant au niveau musical que technique »

Rentré à Paris, il explique son idée à Woz Kaly, qui connaissait déjà Maurice pour y avoir chanté, et la plupart des musiciens mauriciens de réputation, ou pour avoir travaillé avec eux. Le chanteur sénégalais valide l’idée du musicien mauricien et ils sortent le projet d’album des tiroirs pour le retravailler, lui donner sa final touch. Le retravailler ? J’avais compris qu’après des années de travail entre le compositeur et l’arrangeur, devenu producteur, l’album était déjà prêt.

Woz Kaly, qui a laissé Clive Govinden raconter la genèse de l’album, prend la parole. « L’album que nous avions travaillé à deux était prêt, mais au fil de nos voyages et des rencontres, d’autres musiciens ont été ajoutés à la liste de départ. On a pris le temps qu’il fallait pour faire ce qu’on voulait. Pour un musicien qui a un projet personnel comme le nôtre, c’est tout à fait différent d’une grande compagnie qui décide de faire un album. Le promoteur a un budget — quelques dizaines de milliers d’euros — contacte un artiste et des musiciens, et leur dit qu’il faut faire un album en payant les heures de travail, en finançant tous les frais. Ce qui se fait en quelques mois à la demande du client, si je peux dire. Avec ce système, on peut produire de très bons albums. C’est comme ça que ça se passe en général dans le métier et au bout de quelques mois, on a un album prêt à être lancé. Nous, on a choisi une autre méthode, plus artisanale quelque part : une initiative personnelle, des coups de cœur pour des musiques et des musiciens que nous avons intégrés à l’album, pour l’enrichir. C’est pourquoi nous avons pris du temps. Aujourd’hui on est arrivés à la version finale. On a un produit final qui est à la hauteur des meilleurs, puisque ce sont les meilleurs musiciens — dont la crème des Mauriciens, qui ont participé à sa réalisation. Ce n’est pas un produit commercial, avec des tubes sur lesquels les gens vont danser, mais un album de qualité avec différentes sonorités musicales qui nous plaisent, qui plaisent aux musiciens qui l’ont créé. C’est un album qui a pris dix ans pour naître. Mais en même temps, on a dû travailler en parallèle pour pouvoir financer sa production, pour le nourrir, sans jeu de mots. »

Quel est le titre de l’album et de quoi parlent les chansons qui en font partie ? Clive Govinden reprend la parole pour répondre : « L’album s’intitule Yay Boye, ce qui signifie « maman » en wolof, car tous les textes sont en wolof, la langue natale de Woz Kaly, une des langues, nationales du Sénégal. » Chanter en wolof ce n’est pas restreindre l’écoute de l’album à seulement ceux qui comprennent cette langue ? « Non, dans la mesure où, comme le dit justement un autre proverbe, la musique n’a pas de frontière et que l’afro fusion jazz a son public, est extrêmement écouté sur les plates-formes numériques et dans les concerts live en Europe et ailleurs dans le monde, mais surtout en Afrique. » Quels sont les thèmes des chansons de Waly Kaly ? « Les enfants de la rue, la maternité, la condition de la femme, l’amour le tout avec à chaque fois un message. Waly c’est pas du juste du la-la-la sur un fond musical lov-lov-lov. Il a des chansons qui parlent de la vie de tous les jours, des sentiments, des joies et pas forcement uniquement de ce qui se passe en Afrique. »

Où en sont-ils dans la délivrance de l’album ? La question est posée au bassiste qui est devenu producteur par la force des choses. « Effectivement, de fil en aiguille, je suis devenu le producteur, l’arrangeur et le réalisateur de cet album dans lequel j’ai investi toutes mes économies par passion, par conviction, par amour de la musique. L’objectif de cet album est de montrer, en dehors du talent de Waly, la capacité de production à Maurice tant au niveau musical que technique. Le lieu logique du lancement de l’album est Maurice puisque c’est ici qu’il a été enregistré. Le travail en studio est terminé, nous avons toutes les composantes de l’album, il nous faut maintenant trouver le label qui va l’enregistrer et le lancer à l’international. »

Est-ce que les contacts nécessaires ont été établis à ce niveau ? « Il y a deux ou trois labels qui sont intéressés et avec qui il faut aller discuter. Ils connaissent notre travail et j’espère que quand ils vont découvrir l’album ils vont le prendre. C’est une autre partie de la vie d’un album qui commence. » En attendant, Clive Govinden et Waly Koz ont profité de leur passage à Maurice pour se produire dans quelques boîtes locales et à l’Institut Français de Maurice, histoire de donner un avant-goût de l’album à venir aux amateurs de jazz et d’afro jazz fusion. Dans ce même but, les deux musiciens ont également posté sur les réseaux sociaux des clips des chansons de l’album tournés à Dakar.

En attendant la suite de la genèse de ce premier album entièrement enregistré à Maurice, terminons ce papier par une question personnelle. Où en est le premier album de Clive Govinden qui est, paraît-il, également en gestation. « Ça, c’est une autre histoire. Il est en préparation, en gestation comme vous dites. Sur mon premier album, je serai à la fois auteur, musicien et chanteur en créole. Il aura pour titre Origins, tout un symbole, mais nous aurons l’occasion d’en reparler. La priorité pour le moment est de lancer Yay Boye, le deuxième album de Woz Kaly. »

La fiche technique de l’album

Liste non exhaustive des musiciens intervervenant dans

Yay boye, nouvel album de Woz Kaly

À Maurice

— Christophe Bertin, batterie, percussion

— Maurice Manancourt et Jerry Leonide : piano

— Jallil Auckbaraullee : batterie, percussion

— Guy Noël et son quatuor à cordes

— Neriyen Veerlapin et Manish Sackrapanee : tablas

Chanteuse invitée : Vani Tirvengadum

À l’international :

— Jean-Philippe Rykiel (France) lead synth (a accompagné Youssou n Dour, Peter Gabriel, Salif Keita)

— Rhani Krija (Maroc) : percussion (Sting)

— Guimba Kouyate (Mali) : guitare

— N Goni Moussa ngoni (Mali)

— Tafa Cissé (Sénégal) : percussion

— Clive Govinden : arrangements, réalisation, guitare, claviers, basses

— Shy Lutchmunsingh et Nilay Jodhun : mixage et prise de son au Studio Scorpio

Légende pour la photo de Woz Kaly :

« Woz Kaly est né à Dakar au Sénégal en 1967. Chanteur, guitariste, auteur, interprète, il possède une voix formée à la fois par la culture wolove du Nord et la culture mandingue du Sud. Ses performances en public sont remplies d’émotion, grâce à sa capacité d’improvisation et à sa générosité sur scène. » Il s’est produit à Maurice, au Caudan Arts Centre, à la fin de l’année dernière, dans le cadre du World Voices Show

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