Maurice, île aux racines multiples, vient de fêter ses 55 ans d’indépendance. Période pendant laquelle de nombreuses familles mauriciennes ont choisi d’envoyer, à la sueur de leur front, leurs enfants à l’étranger pour réaliser leurs rêves… Et d’ailleurs, l’on ne parle peut-être pas suffisamment de ces Mauriciennes et Mauriciens de la diaspora qui font, à leur manière, honneur au pays partout où ils vont.
Dans cette rubrique, nous allons à la rencontre de ces femmes et hommes qui ont décidé de faire carrière ailleurs, et brillamment d’ailleurs. Cette semaine, nous rencontrons André Ip, directeur technique/logiciel chez TKH Security, entreprise spécialisée dans le développement de systèmes électroniques intelligents de sécurité, sûreté et gestion de crise. Rien que pour vous dire, les plus grands centres de contrôle/commande et de supervision centralisée intégrant la gestion de la vidéo, la sonorisation, l’accès, l’intrusion, l’interphonie, la sécurité périmétrique, la détection automatique d’incident sur route/autoroute (DAI), etc., c’est ce geek mauricien qui les a conçus ! Rencontre.
André Ip a le rire facile. À l’île Maurice pour deux semaines de vacances et pour rencontrer quelques copains d’école, il a accepté de nous raconter son parcours des plus élogieux, même si lui estime qu’il n’a fait que son travail et qu’une chose a entraîné l’autre… Vivant à Paris depuis de longues années, André Ip s’est fait un nom dans le domaine de la surveillance et de la cybersécurité dans une bonne cinquantaine de pays sur les cinq continents. Originaire de Port-Louis, André Ip est né de parents tailleurs. « En vérité, je suis né à Glen-Park comme tous les enfants de la famille, car mon grand-père y avait une boutique sur la croisée et la sage-femme y habitait. Mais sinon, j’ai grandi dans la capitale à Chinatown », nous dit-il. Si aujourd’hui la famille habite à Quatre-Bornes, André Ip garde de précieux souvenirs de son enfance dans les rues de la capitale. « Mes parents ne savaient ni lire ni écrire, mais ils voulaient que leurs enfants réussissent. Ils ont travaillé dur pour nous envoyer faire nos études et pour gagner notre vie », dit-il nostalgique.
Ainsi, après avoir complété sa scolarité au collège Royal de Port-Louis, il s’envole pour Lyon, en France, où il complétera cinq années d’études en électronique et informatique. À Lyon, il gardera aussi d’excellents souvenirs, dont un très bon groupe de copains, le gang de Lyon24, qui se rencontre encore à ce jour. Après ses études, il s’essaiera à plusieurs boulots, d’abord enseignant puis directeur technique et développement logiciel chez Philips. « Les gens connaissent Philips pour les produits grand public, mais Philips est la première entreprise mondiale à s’être lancée dans les plateformes Video Management System (VMS), de contrôle/commande unifiée pour la sécurité électronique », dit-il. André Ip est alors embauché pour changer le paradigme de l’entreprise et développer cet écosystème, qui connaît à l’époque, comme beaucoup d’autres, la transition digitale. Le jeune Mauricien était alors chargé, en des termes très simples, d’imaginer, de créer et de développer tout le système de contrôle/commande et de supervision de la société. Avec son équipe, il a développé toute cette plateforme, quelque chose d’alors inédit. « C’était une aventure extraordinaire » avec la récompense pour son équipe d’être nommée ensuite comme « centre de compétence mondiale » pour le groupe.
Système de surveillance pour les JO de Paris
Ainsi, après 10 ans à travailler chez Philips, André Ip a vécu la transformation du monde analogique vers le digital, en direct. Le produit que proposait Philips était devenu un produit de référence mondiale et était utilisé dans les plus grands centres de contrôle. André Ip est ensuite repéré par une start-up française domiciliée en Suisse/Lausanne, qui sera par la suite rachetée par General Electric. Dans ce nouveau job, il se lance dans le développement de plateforme s’occupant de plusieurs dizaines de milliers de caméras ! Après cette aventure de presque quatre ans, il rejoint une autre start-up, pour cette fois s’intéresser aux caméras “Fisheye” à vision 360 degrés. Nous l’interrompons dans ses explications techniques pour lui demander : « Mais alors, vous étiez un peu comme Big Brother ? » À quoi il répond avec un grand éclat de rire : « Ce n’est pas que de la surveillance, mais ces systèmes sont aussi beaucoup utilisés dans la visite immersive 3D, de sites touristiques et d’achat/vente immobilier, bref à des fins marketing et vente, par exemple. » Une réponse qui nous rassure à demi, pour être honnête, mais l’entretien continue dans une ambiance bon enfant.
André Ip finit par arriver sur l’épisode de se mettre à son compte en tant que consultant indépendant. Après avoir travaillé pour de nombreuses entreprises et avec un carnet d’adresses bien rempli, il se lance dans la partie « intelligente » avec l’extraction de métadonnées dans toute séquence de vidéo. « J’ai trouvé cette plateforme d’origine russe impressionnante avec un potentiel/débouché business important. » Les Russes étaient déjà très avancés dans le domaine. En plus de stocker les images, elles étaient analysées en temps réel pour y extraire des métadonnées pour agir en conséquence. Un système qui peut sembler effrayant, mais qui est pourtant utilisé dans les systèmes de passeports numériques notamment, ou pour identifier les zones d’attroupement ou encore acte interdit, etc. « C’est une aide à la supervision, pour faire simple ». Encore une fois, des explications qui peuvent effrayer le citoyen lambda, mais qui restent inoffensives pour les professionnels du domaine.
Bref, le logiciel en main, André Ip décide de contacter IBM et devient en un rien de temps consultant du géant informatique et de Cisco, spécialisée dans le matériel réseau (routeur/commutateur Ethernet). Elle s’est depuis largement diversifiée dans les logiciels et services, notamment la cybersécurité. L’idée était de proposer une « offre mondiale » avec les meilleurs composants du marché, à savoir serveur, réseau, logiciel et services associées. Après 10 longues années de déploiement mondial, il décide de se poser, à cause de quelques problèmes de santé, « on m’a proposé de prendre dans un premier temps le poste de consultant technologie au siège aux Pays-Bas, et par la suite la direction technique France du groupe TKH Security. Je ne développe plus, mais je suis plus sur le terrain avec les clients. » À savoir que TKH Security fournit des produits matériels et logiciels dans tous les secteurs et marchés verticaux pour la supervision électronique.
« Faire l’audit
technique des
CCTV mauriciens… »
« À ce jour, le plus grand centre d’affaire d’Europe est contrôlé/supervisé par notre plateforme ». D’ailleurs, il explique qu’en vue des Jeux Olympiques de Paris 2024, ils ont été sollicités pour sécuriser et renforcer plusieurs grands sites sensibles en Ile-de-France. Bref, la vie d’André Ip n’est pas de tout repos, et c’est cela qui lui plaît. « J’ai connu l’analogique, le numérique et maintenant je suis en plein dans la troisième vague “DATA” révolutionnée par la mobilité, l’Internet Of Things (objet connecté) et l’Intelligence artificielle. » Pragmatique et surtout pointilleux, le Mauricien a construit sa carrière et sa réputation sur son professionnalisme et sa passion pour apprendre de nouvelles choses.
« Ce domaine est comme une horloge de précision, il faut être cohérent dans tout ce qu’e lon fait. » Ce dernier nous confie qu’il serait ravi de pouvoir partager ses connaissances aux Mauriciens, qui ont le potentiel mais pas les moyens. « Les gens veulent de la résolution 4K en sécurité (comme au cinéma) par exemple, parce que c’est un peu un effet de mode, alors que franchement, le Full HD est amplement suffisant ! Plus vous voulez des choses sophistiquées, plus vous devez augmenter certains paramètres », dit-il. Des paramètres qui coûtent en termes de financement, mais aussi en termes de ressources et puissance de calcul. Nous lui demandons, par la même occasion, s’il souhaiterait jeter un coup d’œil à nos caméras de CCTV… « Je serai enchanté de le faire, car lors de cet appel d’offres, j’ai été contacté/sollicité pour y répondre. Franchement, j’aimerais qu’on m’appelle pour faire l’audit d’un point de vue purement technique et constructif. Je pense que j’aurai beaucoup de choses à dire. »
À quelques années de sa retraite, André Ip croit en la jeunesse mauricienne et surtout son potentiel. « L’île Maurice n’est pas forcément en retard, mais il n’y a pas l’environnement et l’écosystème pour faire éclore, encourager la réflexion et création. J’ai eu la chance de travailler pour de grosses entreprises. Tout ce que j’ai appris, c’est dans ces environnements-là que je l’ai appris. C’est ainsi que j’ai pu évoluer. À Maurice, c’est sûr qu’il y a des gens brillants. Il faudrait penser à travailler davantage pour donner les outils qu’il faut à cette jeunesse pour innover et créer. »