Sam est décédé le jeudi 9 février, à l’issue d’une longue et douloureuse maladie. « Sam qui ? » doivent se demander les lecteurs âgés de moins de trente ans. Sam, tout simplement, diront avec émotion et nostalgie les lecteurs plus âgés, pour qui ce prénom évoque toute une époque mythique de leur vie. Pour les uns et pour les autres, voici un hommage mérité à Satish Kumar Samputh, surnommé « Sam », le père de la nite life mauricienne.
Nous sommes au début des années 70, dans un monde où la musique pop a succédé au rock, et où le son électrique occupe une place privilégiée dans la vie des jeunes. Trop de place, disent leurs parents, habitués à de la musique « musicale », et que les accords des solos de guitare font hurler. À Maurice, où l’on est en retard d’une dizaine d’années sur le reste du monde, on en est encore – musicalement – à Elvis Presley, Cliff Richard, et aux premières chansons yé-yé que diffuse la MBC. Les Beatles, considérés comme des révolutionnaires, et les Stones, comme des envoyés de l’enfer, sont interdits sur les pick-up familiaux.
Satish Kumar Sumputh, jeune marié, vit à Vacoas. Après avoir abandonné ses études, il a été contrôleur d’autobus avant de travailler dans le demi-gros de ses parents. En 1970, il entreprend un voyage en Europe, qui lui fait découvrir la « nite life ». Terme et concept totalement inconnus ici, où l’essentiel des distractions nocturnes se résumaient aux mariages et aux surprises-parties très contrôlés – à tous points de vue – par les parents. De retour à Maurice, Satish Kumar transforme une partie du demi-gros familial en bar où l’on vient boire de la bière en écoutant de la musique. C’est-à-dire quelques quarante-cinq-tours ramenés du voyage en Europe et joués sur un pick-up avec deux haut-parleurs bricolés.
L’ambiance est bonne, et les militaires du HMS, base britannique de Vacoas, et les clients du Casino de Curepipe y viennent en emmenant des disques. Le succès transforme la boutique de demi-gros en discothèque. Encore un terme nouveau à l’époque. La musique est jouée sur un gros magnétophone branché à deux haut-parleurs. Les lumières : des ampoules placées dans des boites de margarine, transformées en projecteurs. Le succès est immédiat, et la boîte est pleine tous les week-ends. Ce qui permet à Satish Kumar d’aller faire un tour aux USA, le temple mondial de la musique. Il ramène dans ses bagages des tonnes d’idées et, surtout, une affiche qui va devenir le symbole de toute une génération : sur fond du drapeau américain, un homme pointe du point, entouré par le slogan « Sam wants you ».
La discothèque est complètement réaménagée autour d’un letchi au milieu d’une cour intérieure. Il installe sur la scène une Citroën blanche, qui sert à la fois de décor et de cabine technique, avec des platines reliées à des haut-parleurs aux quatre coins de la discothèque. En quelques semaines Sam devient le must des noctambules mauriciens et le coeur de la nite life mauricienne, qui baptisent le propriétaire « Sam ». Tous les orchestres, tous les chanteurs de l’île qu’il faut entendre, se produisent à Vacoas. Quand il n’y a pas d’animation live, Sam propose les tout derniers tubes des hit-parades internationaux, répercutés par un matériel sonore haut de gamme. Et dont la puissance incommode les voisins, mais c’est une autre histoire…
« Il faut savoir s’occuper de sa santé »
Sam ne s’arrête pas en si bon chemin. Trois ans plus tard, il réaménage sa discothèque, entoure le letchi d’une case en verre, installe un écran géant pour y diffuser des clips, crée la première Ladies’ night où les filles ne paient pas de droit d’entrée – ce qui remplit la discothèque de garçons – et organise, bien avant la mode qui perdure jusqu’aujourd’hui, les Oldies nites.
Pendant plus de vingt ans, Sam va en réaménageant continuellement sa discothèque – une fois en faisant appel à l’architecte Maurice Giraud – et en offrant toutes les dernières nouveautés en matière de son, de lumière et de musique, pour faire danser la jeunesse mauricienne. Sam aura la période « piano-bar », la période « défilés de mode », la période « Moulin du tango », la période « Plantation », entre autres. Souvenir personnel : il est souvent arrivé à l’équipe de Week-End d’aller finir la nuit du samedi chez Sam après avoir bouclé le journal. Puis, au milieu des années 90, après 25 années de bons et sonores services, Sam décide de prendre sa retraite. « J’en avais assez de terminer mon travail à trois ou quatre heures du matin tous les jours. Arrivé à un certain âge, il faut savoir s’occuper de sa santé », déclarait-il pour expliquer sa décision.
Sam change totalement de vie, divorce et quitte Vacoas pour Rivière-Noire. La boîte de nuit est louée plusieurs fois, mais sans Sam sans Sam n’est plus tout à fait la même discothèque. Plusieurs locataires essaieront, sans y parvenir, de faire revivre Sam, et la discothèque sera finalement fermée après une série d’actions en justice, avant d’être reprise en gérance. Pendant ce temps, Sam, remarié, jouit de sa retraite bien méritée en découvrant que le jour n’est pas fait que pour dormir, et qu’il existe une vie en dehors de la nite life. Il joue au golf, fait de longues marches et travaille sur quelques projets.
En 2010, pour fêter son anniversaire, des amis avaient organisé un Sam Revival au restaurant Big Willy’s de Tamarin, afin de rendre hommage à ce visionnaire qui a marqué, musicalement, son temps. Vu le succès de cette soirée, à laquelle Sam avait assisté, ils avaient promis d’organiser le Sam Revival tous les ans. Ils n’ont pu tenir leur promesse : le jeudi 9 février, aux petites heures du matin, Sam est mort des suites d’une longue et douloureuse maladie. Avec lui se referme une page de notre histoire : celle des années d’or de la Mauritian nite life.
HOMMAGE: Sam, le père de la ‘nite life’ mauricienne
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