Après Souvenirs d’enfance, récit autobiographique dans lequel Evelyn Piat raconte des anecdotes sur son « Paradis perdu », voici le deuxième volet, Souvenirs de jeunesse. L’auteure tente de déjouer les pièges de l’oubli et met en ordre des souvenirs parfois confus et épars. Mais cette mémoire individuelle nourrit son être et lui permet de transcender le temps.
Ferret – « Notre maison ensoleillée, au toit de corail et à la balustrade immaculée, toutes portes et fenêtres ouvertes, laissait échapper, ce jour-là, la musique du quatrième concerto de Beethoven… La maison riait sous le soleil, les fleurs sentaient bon le printemps et les pétales envolées s’éparpillaient dans la lumière. Les abeilles venaient se désaltérer dans l’eau du bassin sur la terrasse. Une certaine chaleur douce nous pénétrait, La musique réveillait en notre âme des sentiments nobles qui exaltaient le Bien et le Beau. Elle avivait, en nous, le désir d’être meilleures et amplifiait notre sentiment de compassion et d’humanité. Et, de là, venait aussi le besoin de nous pencher sur les petits et les sans défenses… »
Les souvenirs autobiographiques d’Evelyn Piat n’ont, peut-être, pas la prétention de rencontrer un autre public que celui de sa famille et amis. D’où la spontanéité, la liberté d’écriture, les histoires cocasses qu’on y trouve. Nous n’accompagnerons, donc, pas son texte d’un appareil critique mais de quelques réflexions sur son écriture autobiographique. Dans Souvenirs d’enfance, Evelyn Piat présentait Ferret comme un havre de verdure au milieu des champs de cannes et nous entraînait dans des balades aux quatre coins de Maurice, illustrant ses souvenirs d’aquarelles et de photographies familiales.
Souvenirs de jeunesse révèle la même trame. Ferret et autres Riche en Eau, Pointe d’Azur, Forbach, Wolmar, Souillac, Chaland sont le théâtre des escapades, soirées familiales qui ont égayé les différents épisodes de la jeunesse de l’auteure. Raconteuse d’histoires hors pair, Evelyn Piat nous décrit le bal chez les De Chazal, les régates, le voyage à La Réunion, les cours de théâtre et ceux de musique. Tout est relatif à la formation de son identité de femme et à son cheminement spirituel. Les chapitres mentionnés développent divers thèmes : l’évocation de la famille, la célébration de la nature, l’affirmation de l’adolescente et de ses désirs, le monde du rock, des valses, des films américains.
Ces récits d’événements constituent des ruptures ou des moments de joie intense. L’écriture permet à l’auteure de déjouer les pièges de l’oubli et de rassembler des souvenirs épars avec le recul des années. Racines, souvenirs, transmission ordonnent et consolident la mémoire familiale. « Autrefois, il était très rare que les jeunes filles aillent faire des études en Europe ou ailleurs. Papa avait bien ri lorsque je lui avais demandé mille roupies pour chacune de nous deux, afin de payer nos cours à Paris ! S’il y avait porté plus d’attention, il aurait vu que nous aurions pu avoir nos chances. Un jour assises sous les arbres, dans notre joli chemin, nous nous demandions quel serait notre avenir et ce que nous deviendrions dans une quinzaine d’années. Le futur, hélas, nous révèlerait que moins de quinze après cet entretien, l’une d’entre nous ainsi que l’une de nos proches amies auraient rejoint l’au-delà. À notre immense chagrin, Magnolia et Pervenche nous quittèrent, en effet, à la même saison. Et Mouette Rêveuse, à vingt-huit ans, avait déjà perdu son mari et son enfant de quatre ans… »
En livrant son récit, Evelyn Piat n’a pas voulu faire de la philosophie, mais mettre en scène le passé, une pensée, des personnages et une narratrice qui donne naissance à des images, des révélations, des confidences. Elle montre aussi comment des personnages sont amenés à inscrire leur histoire personnelle dans des passés familiaux et sociaux dont ils ont hérité. Ces récits mémoriels susciteront, sans doute, des interrogations identitaires, des repositionnements, une reconfiguration de valeurs. Parfois fantasque, parfois discrète ou difficile, la jeunesse fait partie des souvenirs les plus tenaces qui soient. Comme beaucoup d’auteures, Evelyn Piat tente d’écrire sur ses souvenirs d’enfance, de jeunesse et ceux de la société de son époque dans un vagabondage intérieur. L’enfance et la jeunesse, parce qu’elles sont la source, l’origine, portent en elles une force qui donne bien souvent les raisons du présent.