Denis Antoine, 39 ans bientôt, est soudeur dans une usine de transformation alimentaire. Il est aussi un artiste autodidacte extraordinaire qui vient de découvrir son potentiel. Il y a 3 ans, il s’est mis à travailler l’acier inoxydable autrement pour arriver à créer des œuvres uniques en leur genre. C’est ainsi que dans son garage à Résidence NHDC de Geoffroy Bambous, transformé en atelier, un impressionnant rhinocéros est né.
L’esthétisme présent atteste la qualité du travail de cet homme incroyablement talentueux, passionné de soudure. Et qui mérite la reconnaissance. Lui, l’enfant déscolarisé après le primaire, appelé à travailler dès l’âge de 12 ans, est en train de vivre avec émerveillement une expérience qu’il savoure à chaque fois que des yeux admiratifs s’écarquillent devant ses créations.
C’est une pièce unique qui en jette dont dispose Denis Antoine dans son salon. Impossible de ne pas s’attarder sur ce rhinocéros en acier inoxydable qui suscite l’admiration tant le travail réalisé est de qualité. De loin déjà, il impressionne.
De près, c’est un travail d’orfèvre en 3D qui s’offre au regard admirateur et qui laisse sans voix. Les mensurations du bijou : largeur 1 mètre 40 cm, hauteur 80 cm au garrot, avec une masse d’environ 70 kilos. Des branches de différentes dimensions, de 6 à 8 mm, qui s’entrelacent par un soudage au TIG et à l’arc, donnent forme à cet animal imposant et font deviner ses muscles. 37 barres d’acier inoxydable ont été utilisées pour sa conception. Des feuilles par endroits sont pour rappeler que la structure est une évocation de branches, de bois pour un animal qui a pour habitat la savane. L’inox plat donne les cornes et d’autres caractéristiques qui font du rhinocéros un animal unique, dégageant une force à repousser les plus téméraires. L’ensemble est une réalisation artistique qui mérite indéniablement d’être exposée là où sa valeur sera appréciée et reconnue.
À deux reprises, le rhinocéros en inox de Denis Antoine a quitté son salon de la NHDC de Bambous pour être vu ailleurs, l’année dernière. C’était le temps d’une exposition de quelques jours à Lakaz Flanbwayan et d’une autre beaucoup plus longue au parc de Casela.
Déscolarisé après le primaire, l’art lui offre une autre chance
Renaissance, c’est ainsi que Denis Antoine a intitulé son rhinocéros. Ce choix n’est pas un hasard. D’une part, le rhinocéros noir est en voie de disparition. Pour son interprétation de l’animal, l’artiste soudeur a choisi de travailler une matière qu’il aime particulièrement, l’acier inoxydable, pour donner une autre naissance, voire, rendre hommage à l’imposant mammifère. « L’inox, comme une femme, requiert de la délicatesse. Il faut le travailler doucement, car c’est une matière difficile à souder », dit Denis Antoine. Et d’autre part, parce que cette renaissance est aussi la sienne.
Lui l’enfant qui, trop tôt, est passé par des épreuves pour croire qu’un avenir est possible. L’adolescent qui n’a jamais mis les pieds au collège et qui a dû travailler à 12 ans pour faire bouillir la marmite. L’homme qui a dû se battre pour ne pas trébucher et pour s’accrocher à la vie… L’art lui a donné une chance, celle de prouver ce qu’il est capable de faire. C’est-à-dire sortir le meilleur de lui-même. Denis Antoine est un autodidacte, un talent à l’état brut et insoupçonné. Au bout de ses doigts, il y a de l’or… Pas seulement parce qu’il connaît la valeur de ses œuvres, mais parce que de ses mains, il arrive à créer des merveilles. « Il y a tellement de choses qui se passent ici. Tout est là », dit il en montrant sa tête. Les idées se bousculent… Depuis qu’il a commencé à réaliser des objets d’art en métal, Denis Antoine n’a plus envie de s’arrêter.
« J’adore la soudure ! »
Denis Antoine, est en t-shirt et bleu de travail. Il est soudeur et fier de l’être. « J’adore la soudure ! » dit-il d’emblée. L’idée de transformer le métal, de le rendre malléable et de l’ajuster à sa guise le séduit. La soudure est dans ses gènes. « Mon arrière grand-père, mon grand père et mon oncle étaient soudeurs. Enfant, c’est ma grand-mère qui m’a élevé. Elle était mon pilier jusqu’à son décès quand j’avais 20 ans. Mais quand j’ai arrêté ma scolarité après le primaire, je n’ai pas eu le choix que de travailler. J’ai été tour à tour maçon, coupeur de canne, mo’nn travay dan boulanzri, dan koltar… jusqu’au jour où mon oncle m’a demandé de travailler avec lui. »
Il fait son apprentissage de la soudure sur le tas, avant d’être embauché par le département de la maintenance d’une usine spécialisée dans la transformation alimentaire. Il se souvient de la première fois qu’il avait conçu une moto miniature. « J’avais récupéré des chutes de métal que j’ai assemblé pendant les pauses au travail. » Cela remonte à quelques années à peine. Les yeux écarquillés de ses collègues attestaient, alors, de leur réaction remplie d’admiration.
« Le rhino et moi avons des traits de caractère en commun »
De la moto, il est passé à une petite voiture, puis un poisson: pas petit celui-là, ensuite est arrivé le rhinocéros, et après une lampe, une guitare, un hibou, un réveil, une table et encore… Tout cela, en trois ans. Entretemps, il y a eu la tête du Tyrannosaurus rex, qui trône sur un socle, n’étant autre qu’une boîte de vitesse de voiture. « Je récupère aussi des pièces en métal ou autres pour les intégrer dans mes conceptions », dit l’artiste.
C’est peu avant le premier confinement que l’habitant de Bambous s’est investi dans ses projets. « J’avais du temps libre et je ne voulais pas tourner en rond », raconte-t-il. Inspiré par le rhinocéros, il prend place dans son garage qui lui sert d’atelier et se met à travailler sur sa conception.
« Je trouve que le rhino et moi avons des traits de caractère en commun. À le regarder, il paraît agressif, mais il est doux », dit-il. Il lui a suffi d’une photo et d’un dessin réalisé par sa belle-soeur, Félicia, pour démarrer son travail. « Je ne sais pas dessiner », confie-t-il encore. Mais cela n’est pas un handicap et c’est sans maquette qu’il a conçu son œuvre. « Il y a eu beaucoup d’essai… Mo’nn kase refer », concède-t-il. Au final, après des heures et des week-ends de travail et de persévérence, c’est un chef-d’œuvre qui a pris forme.
« Ma grand-mère aurait été fière de moi ! »
C’est par l’intermédiaire d’un ami également sculpteur et habitant Bambous, Bleck Lindor, et d’une plateforme d’artistes, que Denis Antoine a pu exposer son rhino. Marqué par les critiques positives et admiratives, il se souvient aussi de la réaction de ceux qui ont exprimé leur surprise lorsqu’ils ont appris qu’il est l’auteur de Renaissance.
« Ils n’en revenaient pas et pensaient que c’était l’œuvre d’un étranger, et non de moi », raconte-t-il. « Je reconnais que je suis encore étonné de ce que j’ai pu réaliser sans aucune formation. Il m’arrive d’observer longuement le rhinocéros en me disant que ma grand-mère aurait été fière de moi ! Je suis certain qu’elle était à mes côtés pendant tout le temps que je l’ai conçu », confie Denis Antoine, ému.
« Je dois me perfectionner, apprendre à définir une structure pour avancer dans mes travaux artistiques », poursuit-il. Après le rhinocéros, son prochain objectif est le roi de la jungle. Il pourra, sans aucun doute, compter sur son épouse Marie Claude pour le soutenir.