Dans un procès notable à la Cour d’Assises, Bernard Maigrot, homme d’affaires de 62 ans, est accusé du meurtre de Vanessa Lagesse, survenu il y a 23 ans dans son bungalow à Grand-Baie. Les événements de cette nuit de mars 2001 ont été revisités lors des récentes audiences.
La salle d’audience est marquée par une grande attention, tous les regards étant fixés sur Bernard Maigrot, dont le visage reste impassible, en attendant l’issue de cette affaire qui a marqué l’histoire judiciaire de l’île. À travers les débats des avocats et les témoignages, le procès pour homicide volontaire de Bernard Maigrot met en lumière une tragédie qui a affecté la vie de nombreuses personnes en mars 2001.
Cette affaire débute il y a vingt-trois ans, lorsque le corps de Vanessa Lagesse, une styliste renommée, est découvert dans son bungalow à Grand-Baie. Les circonstances entourant sa mort, marquées par des blessures et des indices troublants, ont rapidement éveillé les soupçons des autorités pour un coupable dans l’entourage de la victime. Mais ce n’est que maintenant, deux décennies plus tard, que la vérité semble pouvoir émerger pour la paix d’esprit des familles.
L’ouverture du procès a été marquée par les discours des avocats de la poursuite et de la défense. Me Darshana Gayan, représentant la poursuite, a exposé les preuves contre Bernard Maigrot, insistant sur la nécessité pour le jury de rester fidèle à leur devoir de rendre justice à la victime et à sa famille. Elle leur a fait comprendre qu’ils devront faire la distinction entre preuves directes et circonstancielles. La représentante du ministère public a informé les jurés que des preuves criminalistiques démontreront que l’ADN de Bernard Maigrot était présent sur les lieux. Des preuves médico-légales sur la cause du décès, notamment une fracture des vertèbres cervicales, seront également présentées. La poursuite compte établir l’existence d’une relation entre Bernard Maigrot et la victime. De plus, des contradictions dans les déclarations de Bernard Maigrot seront mises en lumière.
Aucune preuve directe
En réponse, Me Gavin Glover, représentant la défense, a remis en question la validité des preuves circonstancielles avancées par la poursuite, déclarant qu’il n’y avait aucune preuve directe et qu’il avait un alibi. Il affirme que son client est innocent et a été victime d’une machination orchestrée par les autorités. Il est d’avis que la poursuite devra établir la culpabilité de son client au-delà de tout doute raisonnable. Il compte démontrer aux jurés que les preuves qui seront apportées par la poursuite seront bien en dessous de ce critère. Il entend également prouver que ce crime ne peut être attribué à Bernard Maigrot et qu’il n’a pas été commis par une seule personne. Selon lui, plusieurs acteurs sont impliqués dans ce drame, dont certains ont déjà quitté le pays, notamment un étranger qui avait dîné avec Vanessa Lagesse juste avant sa mort.
L’avocat de la défense, Me Gavin Glover, a dénoncé ce qu’il a appelé un « Trial and Error Exercise » de la poursuite. En 39 ans de carrière, il a déclaré n’avoir jamais vu une telle situation. Il a insisté sur le calvaire vécu par Bernard Maigrot pendant toutes ces années, soulignant les interruptions de procédure à deux reprises et le non-lieu ordonné par un juge en faveur de son client. Il a maintenu que la place de Bernard Maigrot n’est pas dans le box des accusés, tout en reconnaissant que la victime Vanessa Lagesse a connu une mort atroce et que les jurés ont le devoir de rendre la vérité à la famille
Éclairage sur la relation entre la victime et l’accusé
Les témoignages des premiers jours du procès ont offert un éclairage sur la relation entre Vanessa Lagesse et Bernard Maigrot. La sœur aînée de la victime, Anne Sonia Rogers, a décrit une relation marquée par la manipulation et les mensonges. Elle a évoqué les signes de détresse manifestés par sa sœur avant sa mort.
« Elle aimait Bernard Maigrot. Elle était entière dans son amour pour Bernard Maigrot. C’était une longue relation, par intermittence. Il y avait des cassures et des reprises. Bernard Maigrot était un homme marié. Sa relation avec Vanessa Lagesse devait rester cachée. Vanessa Lagesse était très perturbée par cette relation. Elle était sous l’emprise de Bernard Maigrot dans cette relation. Elle essayait d’arrêter cette relation, mais c’était difficile. »
Le Dr Satish Boolell, médecin légiste, a apporté son expertise pour établir les circonstances entourant le décès de Vanessa Lagesse. Son témoignage sur les blessures infligées à la victime a révélé la violence précédant sa mort. Les détails de l’autopsie ont rappelé à tous la cruauté de ce crime. L’émotion a marqué chaque instant du procès. Les regards des membres de la famille de la victime et les proches de Bernard Maigrot témoignent de la profondeur des cicatrices laissées par cette tragédie sur la communauté.
Duel verbal, dilemme moral
Pendant que les avocats se livrent à un duel verbal, les membres du jury se retrouvent face à un dilemme moral. Leur décision est lourde de conséquences, car ils détiennent entre leurs mains le destin d’un homme et le réconfort d’une famille endeuillée.
Au-delà des murs de la salle d’audience, l’affaire Maigrot suscite des conversations dans tout le pays. Chacun a son opinion sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, mais une chose est certaine : la vérité devra cette fois éclater pour éclairer les aspects sombres de cette tragédie et apportant enfin une conclusion à cette histoire.
Alors que le procès se poursuit, les yeux du pays restent rivés sur la salle d’audience, attendant le dénouement d’une affaire qui restera gravée dans les mémoires. Que la justice soit rendue, que la vérité soit révélée, et que la mémoire de Vanessa Lagesse soit honorée.
23 ans après, le mystère toujours pas résolu
Dans la nuit du 9 au 10 mars 2001, la styliste Vanessa Lagesse avait été assassinée dans son campement à Grand-Baie. Aujourd’hui, 18 ans plus tard, le mystère de sa disparition tragique n’a toujours pas été résolu.
Ce 10 mars 2019 marque les 18 ans depuis la découverte sinistre de la dépouille de Vanessa Lagesse, alors âgée de 32 ans. Elle avait été mortellement agressée dans sa chambre avant d’être transportée, à moitié nue, dans sa baignoire. C’est Jayraz Sookun, son jardinier, qui avait fait la découverte macabre. Le jardinier a vu le corps de la propriétaire flottant dans sa baignoire et la police a été immédiatement mandée sur les lieux.
Un mois après, l’homme d’affaires Bernard Maigrot, qui entretenait une liaison avec la victime, avait été arrêté. Il était passé aux aveux suite à un interrogatoire musclé des hommes de l’inspecteur Raddhoa. Toutefois, lors de sa comparution devant le tribunal de Mapou, affirmant qu’il avait avoué sa culpabilité après avoir été victime de brutalité policière, il s’était rétracté.
Le cousin de la victime, Thierry Lagesse, avait lui fait l’objet de vives critiques pour avoir fait incinérer Vanessa Lagesse, dont il avait la charge de la gestion de sa fortune. Une histoire de montre donnée à la victime et qu’il avait récupérée et une rencontre avec la police au Gymkhana avaient aussi alimenté la chronique de cette affaire.
Des témoins qui disparaissent
Plusieurs témoins ont été entendus lors de l’enquête, parmi lesquels un ami, Vikram Goodye, qui est mystérieusement décédé dans un accident de la route le 15 septembre 2001. Le médecin de la famille, Nicholas Ménagé, qui avait pratiqué le premier constat de décès, est aussi mort dans des circonstances troublantes. Il faut aussi citer l’inspecteur Radhooa, l’enquêteur principal dans cette affaire, qui a lui subi les foudres d’une crise cardiaque suspecte lors d’un voyage en Afrique du Sud.
Par ailleurs, Josiane Tostée, la mère de la victime, ainsi que son second époux, Maurice, avaient aussi été arrêtés à l’époque. Ils étaient accusés provisoirement d’assassinat, mais la charge avait été par la suite rayée. Sept ans après l’assassinat de Vanessa Lagesse, ils avaient été dédommagés par l’État, de Rs 4 millions, pour arrestation illégale, arbitraire et sans aucune raison valable.
À ce jour, un seul suspect a été inculpé et provisoirement accusé de meurtre depuis le 14 avril 2003. Il s’agit de Bernard Maigrot, qui ne cesse de clamer son innocence depuis le début. L’affaire avait une première fois été déférée aux Assises le 28 novembre 2001 à la suite d’une enquête préliminaire en cour de Mapou. Le 2 juin 2008, le DPP d’alors, Me Gérard Angoh, avait accordé un non-lieu à l’accusé.
Cependant, le 23 mai 2011, Bernard Maigrot était de nouveau arrêté après que le bureau du DPP eut décidé de rouvrir l’enquête, après avoir obtenu de nouveaux rapports scientifiques provenant de l’étranger. Les autorités compétentes locales avaient confié à des laboratoires étrangers certaines données dont elles disposaient depuis l’enquête menée par la police au début de l’affaire.
Depuis, la défense de Bernard Maigrot, assurée par Me Gavin Glover, SC, ne cessait de réclamer l’arrêt de son procès… qui s’est rouvert en ce mois de mai 2024…
Enquête policière bâclée et torture
L’affaire Vanessa Lagesse a mis en lumière des pratiques troublantes au sein de la police. À l’époque, avec des allégations de brutalité et de torture émanant de l’équipe dirigée par l’inspecteur Raddhoa.
Maurice et Josiane Tostée, parents de la victime, ainsi que Martine Desmarais, Isabelle Maigrot et Bernard Maigrot, ont été victimes de traitements inhumains lors de leur détention. Même des professionnels comme le Dr Ménagé et des hommes de loi ont été touchés, tout comme Vikram Goodye, dont la mort dans des circonstances douteuses a soulevé des questions sur le comportement de la police. Le Mouvement Libération Femme avait apporté son soutien public aux victimes.
Les sévices subis, tels que la simulation de noyade et des sévices corporels, étaient destinés à obtenir des aveux forcés, conduisant à des confessions erronées et à des injustices manifestes, comme dans les cas de Maurice Tostée et Bernard Maigrot. Malgré des preuves médicales accablantes, les autorités ont souvent nié les faits, aggravant ainsi la douleur des victimes et révélant des failles dans le système judiciaire.
Les décès suspects, comme celui de M. Ramlogun en 2006, et les brutalités infligées à Cehl Meeah, avaient aussi soulevé des doutes quant à l’éthique de la police. En guise de réparation, des compensations financières ont été accordées à certaines victimes. Par exemple, le couple Tostée s’est vu attribuer Rs 4 millions en dommages, tandis que le couple Desmarais avait reçu Rs 400 000.
Cependant, les traumatismes psychologiques persistants soulignent la nécessité de rendre la police davantage responsable et de procéder à des réformes pour éviter de futures atrocités.