Avec des pertes annuelles de Rs 1,4 milliard et des injections de Taxpayers’ Money de Rs 1,5 milliard par an, la Banque mondiale brandit un scénario pessimiste du déclin de cette industrie d’ici 2030/40
Des No-Regret Policy Actions, comprenant un prix rémunérateur pour la bagasse, l’introduction de la Farm Technology, l’accent sur la production de sucres spéciaux et une réduction d’Export Logistics Costs, privilégiées
Le 15 juillet 2021, le ministre de l’Agro-Industrie, Maneesh Gobin, avait apposé un non catégorique à la publication de ce document portant sur des réformes à être apportées au secteur cannier. Et cela, malgré les demandes de plus en plus pressantes des opérateurs pour que les conclusions préconisées par la Banque mondiale soient débattues. Mais depuis hier et suite à une récente décision du Conseil des ministres, la Mauritius Sugar Cane Sector Review – Policy Note, un document de la Banque mondiale en date du 19 décembre 2020, est du domaine public. Le ministre en a fait une présentation officielle devant des partenaires de l’industrie, hier matin, au Caudan Arts Centre. Un diagnostic accablant: cette industrie, qui jadis était le secteur phare de l’économie, court le risque d’un déclin inévitable d’ici dix vingt ans. Et cela, si des mesures d’urgence ne sont pas mises en pratique.
Pour tirer ce secteur de cette tendance de déclin, la mission, menée par Diego Arais, Lead Agriculture Economist au nom de la Banque mondiale, qui a mené de vastes consultations avec tous les stakeholders entre août et novembre 2020, propose une série de No-Regret Policy Actions en quatre volets, dont un prix plus rémunérateur pour la bagasse entrant dans la génération d’énergie électrique, l’introduction de la Farm Technology, l’accent sur la production de sucres spéciaux ou encore la réduction d’Export Logistics Costs.
Devant le souhait unanime à l’effet qu’il faut tout déployer pour sauver l’industrie sucrière “in its current sector size”, le rapport de la Banque Mondiale souligne que ‘’under the current production levels and structure, a simultaneous implementation of the most impact policy changes can increase the probability of the sector turning a profit over the coming ten years”. Force est de constater qu’actuellement, le secteur cannier essuie des pertes annuelles de Rs 1,4 MD sur les opérations, tout en bénéficiant d’injection de fonds publics, précisément de la Taxpayer’s Money, de l’ordre de Rs 1,5 MD chaque année, pour survivre. La mise en garde est sans appel: “The results of the competitiveness analysis show that no single public policy or programme can get the sector out of the red.”
À la page 14, le document rendu public après 14 mois identifie, en ordre de priorités, “the key policy reforms and sector changes that would need to be introduced in order to have a modest likelihood of sector viability: (i) increase the price paid for generating electricity from bagasse; (ii) decrease the sugar logistics and export costs; (iii) expand the revenues generated from the sale of specialty sugars; (iv) lower labor costs; (v) improve the efficiency of sugarcane farms; (v) allow the pass-through of market signals throughout the value chain; and (vii) increase the level of taxpayer support to the sector.”
La Banque mondiale concède que “these policy changes have different degrees of implementation difficulty and timelines, but without all these simultaneous changes, it is difficult to foresee the sector maintaining its current structure and size over the coming decade.” Pour la Banque mondiale, la formule magique chiffrée pour revenir en territoire de profitabilité comprend, comme ingrédients simultanés, à “(i) increase the price paid for electricity from bagasse to the equivalent of HFO; (ii) reduce labor costs by 40%; (iii) increase the share of specialty sugars sold to 50%; (iv) increase the share of high-tech farms to 95%; and (v) save at least Rs 200 million per year on sugar export costs.”
Mais très vite, les auteurs de ce rapport se rendent compte du caractère délicat et Politically Unsustainable de certaines des propositions, comme la réduction du coût de la main-d’oeuvre de 40%. Ils ajoutent que le dernier exercice de Voluntary Retirement Scheme s’est soldé par des coûts de l’ordre de 94 millios d’euros, soit autour de Rs 4 MD. Le rapport s’est ainsi engagé dans une évaluation du coût du “support to small sugarcane farmers and workers to transition ouf of the sector”.
Les paramètres du Rightsizing Scenario pour assurer la viabilté de l’industrie cannière se traduisent dans le concret en des pertes d’emploi variant de 800 à 2 000 employés et le retrait de quelque 3 000 à 6 000 petits planteurs du circuit cannier. Pour assurer le départ volontaire de ces employés, le coût s’élèverait entre un minimum de Rs 1,2 MD et Rs 3 MD, le tout financé des fonds publics.
Au titre des petits planteurs, la proposition de compensation porte sur Rs 75 000 par hectare sous culture de canne. Ainsi, la Banque mondiale fait comprendre que “this amount would be enough to push them into viability by allowing for on-farm technology improvements; while for those smallholders that have manual harvesting systems and are operating in marginal lands, this amount could serve as investment into transitioning to other economic activities. This amount seems appropriate given the annual losses of Rs 1,4 billion that the sector faces and the Rs 1,5 billion in annual taxpayer transfers that has been observed in the past years.”
La Banque mondiale se dit également consciente qu’un consensus général peut être difficilement dégagé sur l’ensemble de ces mesures. Sur la base des consultations engagées lors de la mission en 2020, le rapport indique que “the variables that seem easiest and fastest to implement, with the largest impact include: (i) reducing sugar export-related costs and (ii) increasing the price of bagasse.” Par contre, “the remaining impactful changes may take more time and would be more difficult, such as (i) reducing the share of sugarcane produced in high-tech farms; (ii) increasing sugars sold (as a percentage of total sugar value); and (iii) reducing labor costs.”
Après analyse des différentes options, la Banque Mondiale est arrivée à la conclusion que “the government of Mauritius faces a unique challenge and opportunity in helping the sugarcane sector transition to a competitiuve position.” Pour cela, deux voies principales sont identifiées, à savoir le statu quo en terme d’envergure du secteur sucre mais avec l’adoption de “significant policy reforms and sector-level changes” ou le Rightsizing de ce secteur avec accent sur la production de sucres spéciaux susceptibles de générer des prix rémunérateurs à l’exportation.
S’appuyant sur les séquelles de l’actuelle pandémie, la Banque mondiale maitient que “Mauritius has an opportunity to take advantage of the current COVID-19 crisis and reduce its high dependence on the global economy for its sugarcane, food imports, and tourism revenues, further promoting the generation of energy from local renewable sources and of local food production.”
Toutefois, le choix à faire ne semble pas aussi évident que cela car “abandoned sugarcane lands can present an opportunity for the country to help avoid a food crisis and continue to power the country on a more sustainable footing. Yet, the appetite for reform might also be curtailed by the economic crisis triggered by COVID 19, uncertainties about tourism recovery, and the implications for further public support given the reduced fiscal space.”
Néanmoins, la Banque mondiale affirme que la conjoncture économico-sanitaire devra permettre de faire avaler la pilule amère. “Covid-19 is limiting the fiscal space to support the sector, while it is an opportunity to push for in-depth reforms that may have not been politically viable during normal times”, indique la note au chapitre des Key Messages de cette agence internationale d’aide au développement.
Avec l’étape d’hier de la présentation du rapport en deux volumes, le ministre de l’Agro-Industrie a lancé des consultations avec les partenaires de l’industrie cannière pour la mise en oeuvre de cette réforme en profondeur, tout en s’appesantissant sur le fait que “c’est un document consultatif.” Il a ajouté qu’ “il y a des mesures qui ont été déjà adoptées comme pour le prix révisé à la hausse de la bagasse aux producteurs canniers ou encore la construction d’un warehouse avec un terrain alloué par Landscope Mauritius. S’il y a lieu d’approfondir d’autres mesures, nous ferons appel à la Banque mondiale encore une fois pour des études complémentaires”, a-t-il déclaré en substance.
Mais le fait demeure que le statu quo n’est pas de mise vu qu’au terme du constat de la Banque mondiale, le prix du sucre ne représente aujourd’hui que 75% de celui de juillet 2017 et que pour les dix prochaines années, il ne faudra pas s’attendre à des ajustements à la hausse. “This has prompted an increase in public sector (taxpayer) support in recent years to fill the gap produced by the drop in sugar revenues. Public expenditures supporting the sugarcane sector were 1.12% of the total Government budget (Rs 1.5 billion of a total public budget of Rs 133 billions) in 2018, and double the budget allocation to the sector in 2017”, ajoute la Policy Note.
Ces dernières interventions financées des fonds publics n’ont pas été en mesure de renverser la tendance, à savoir une réduction annuelle de quelque 2 000 hectares de terre sous canne au cours de ces deux dernières décennies avec une baisse drastique dans le nombre de petits planteurs, passant de 27 000 en 2004 à quelque 12 000.
Par ailleurs, le coût de production de la tonne de canne pour cette dernière catégorie de planteurs est supérieur à celui du Corporate Sector dans la fourchette de 16% à 26%. Les derniers chiffres de la Chambre d’Agriculture indiquent que les petits planteurs représentent 19% de la superficie sous culture de la canne “meaning that roughly, a fifth of cane supply is of this structurally higher production cost structure.”
De quoi rendre encore plus délicate cette transition vers une réforme en profondeur pour sauver la filère cannière au cours des dix prochaines années…