C’est le Directeur des Poursuites Publiques (DPP), Me Rashid Ahmine, qui a donné en personne la réplique, hier, en Cour d’Appel aux arguments avancés par Matthew Sherratt, King’s Counsel, l’avocat de Bernard Maigrot. Le Full Bench de la Cour suprême, composé de la cheffe-juge, Rehana Mungly-Gulbul, du juge David Chan Kan Cheong et de la juge Kesnaytee Bissoonauth, a consacré la séance à entendre la réplique de la poursuite aux arguments avancés par la défense de Bernard Maigrot.
Bernard Maigrot avait, en effet, interjeté appel après qu’il avait été reconnu coupable l’année dernière du meurtre de la styliste Vanessa Lagesse, crime pour lequel il avait été condamné à 15 ans de servitude pénale. Vanessa Lagesse avait été retrouvée morte dans son bungalow à Grand-Baie le 10 mars 2001.
Ci-dessous, les principaux points avancés par Me Rashid Ahmine.
L’ADN de Maigrot en ligne de mire
L’ADN de Bernard Maigrot avait été retrouvé sur deux draps dans le bungalow de la styliste, selon le rapport du Pr Doutremepuich, du Laboratoire d’hématologie médico-légale de France, ce qui avait motivé le Bureau du DPP à loger une troisième accusation contre Bernard Maigrot. Or, celui-ci avait fait état qu’il avait rendu visite à la styliste le 6 mars 2001, soit trois jours avant le meurtre, qui avait été perpétré dans la soirée du 9 mars, visite qui expliquerait la présence de son ADN.
La défense avait fait ressortir que le Pr Doutremepuich aurait dû dire dans son rapport que la présence de l’ADN de Bernard Maigrot sur les draps n’expliquait ni quand ni comment cet ADN s’est retrouvé là , une mention qui serait en conformité avec les lignes directrices internationales émises aux experts en génétique qui témoignent en Cour. Pour la défense, cette attitude a potentiellement conduit les jurés à une conclusion erronée.
Toutefois, se basant sur plusieurs affaires précédentes, Me Ahmine a argumenté que la loi n’exige pas d’un expert cette mention, et que le juge Lutchmyparsad Aujayeb, qui avait présidé le procès de Bernard Maigrot, avait bien expliqué ce point aux jurés.
Il a également soutenu que selon les preuves qui ont été présentées aux jurés, c’était à eux de décider si l’ADN de Bernard Maigrot présent sur les lieux y était déjà le 6 mars 2001, ou n’y était que le 9 mars, la date du meurtre.
Le Pr Doutremepuich avait procédé à un protocole de lavage suivant les directives du Forensic Science Laboratory (FSL). Ce protocole était destiné à tester si l’ADN pouvait résister à un lavage dans un lave-linge. La poursuite voulait démontrer que l’ADN aurait été détruit par le lavage effectué par la bonne de Vanessa Lagesse si jamais Bernard Maigrot expliquait la présence de son ADN par sa présence au bungalow de Vanessa Lagesse dans les jours précédant le crime. Or, malgré que ce test ne s’était pas révélé concluant, et que l’expert avait lui-même admis son manque de fiabilité, le juge Aujayeb l’avait déclaré comme admissible devant les jurés, conduisant potentiellement les jurés à une conclusion erronée.
Mais Me Ahmine a fait ressortir que le juge avait mentionné aux jurés que ce test n’avait pas été concluant et de ce fait, aucun préjudice substantiel n’a été causé à la défense.
Duty of Disclosure de la poursuite
La défense avait fait ressortir que le rapport du Pr Doutremepuich n’avait pas été divulgué à la défense. Ce point avait été soulevé devant le juge Benjamin Joseph, qui devait initialement présider le procès contre Bernard Maigrot. Le juge avait retenu que la non-divulgation de ce rapport à la défense le rendait inadmissible en Cour.
Toutefois, le procès avait été relogé par la suite devant le juge Aujayeb, qui avait décidé de le maintenir. Pour la défense, ce dernier aurait dû mettre fin au procès pour abus de procédure.
Me Ahmine a fait ressortir que le rapport du Pr Doutremepuich était prêt en 2011. La police voulait confronter Bernard Maigrot aux nouvelles preuves ADN contre lui mais sans lui divulguer le rapport. Or, c’est le prévenu lui-même qui avait refusé cette confrontation.
Me Ahmine, se basant sur des précédents, a argué que la poursuite n’avait aucune obligation légale de divulguer le rapport au suspect à ce stade de l’enquête, mais devait seulement l’informer du contenu. Selon lui, le Duty of Disclosure ne devient effectif qu’après qu’une accusation a été logée pour permettre au revenu de se défendre.
Me Ahmine s’est aussi attaqué à la thèse de vol qui aurait mal tourné, comme mise en avant par la défense, qui s’était basée sur le fait qu’une montre très chère avait disparu. Le DPP a ainsi fait ressortir qu’aucune preuve n’a été apportée qu’il y avait eu un quelconque cambriolage. Car même si cette montre avait disparu, le Dr Satish Boolell, médecin légiste, qui s’était rendu sur la scène du crime, avait découvert des bagues très chères qui n’avaient pas été touchées. Pour Me Ahmine, il est étrange qu’un cambrioleur ait volé une montre sans toucher à ces bagues. D’ailleurs, le premier enquêteur principal dans cette affaire avait éliminé la thèse du cambriolage car il n’y avait aucun signe d’effraction ou de désordre.
Maintien de la condamnation
Plusieurs irrégularités et autres abus de procédure ont aussi été mis en avant par la défense dont le long délai qu’il y a eu dans cette affaire avant que Bernard Maigrot ne soit jugé, le fait qu’il avait été torturé et le fait qu’il n’y a pas eu de Proper Disclosure de la part de la poursuite en ce qui concerne l’expertise du Pr Doutremepuich. Pour la défense, le prévenu n’a ainsi pas bénéficié d’un procès équitable.
De son côté, Me Ahmine a mentionné une section de la Criminal Appeals Act, connu dans le jargon légal comme Proviso, qui fait état que la Cour peut maintenir une condamnation si elle considère que le prévenu est réellement coupable, nonobstant irrégularité ou vice de procédure avant ou pendant le procès. Il a demandé aux juges d’appliquer cette section et de maintenir la condamnation de Bernard Maigrot, même s’ils retiennent qu’il y a eu abus de procédure ou erreur du juge pendant son Summing-Up.