L’appel de Bernard Maigrot a été entendu, hier, devant la Cour suprême. C’est un avocat britannique, Matthew Sherratt, King’s Counsel, qui s’est évertué à démontrer qu’il y a eu erreur judiciaire dans cette affaire, et que Bernard Maigrot devrait être acquitté. Cet appel est entendu devant le Full Bench de la Cour suprême, composée de la cheffe-juge, Rehana Mungly-Gulbul, du juge David Chan Kan Cheong et de la juge Kesnaytee Bissoonauth.
Matthew Sherratt, KC, qui a fait une longue plaidoirie qui a duré toute une journée pour démontrer qu’il y a eu erreur judiciaire dans cette affaire, c’est-à-dire qu’une personne innocente a été condamnée pour un crime qu’elle n’a pas commis. La styliste Vanessa Lagesse avait été retrouvée morte dans une baignoire dans son bungalow à Grand-Baie le 10 mars 2001.
Après plusieurs rebondissements, étalés sur une période de plus de vingt ans, une troisième accusation avait été logée contre Bernard Maigrot le 21 février 2022 par le Directeur des Poursuites Publiques (DPP), basée cette fois-ci sur le rapport du Pr Doutremepuich, du Laboratoire d’hématologie médico-légale de France.
Après un procès en Cour d’Assises, Bernard Maigrot avait été reconnu coupable de ce meurtre le 27 juin dernier. Il avait ensuite été condamné à 15 ans de servitude pénale le 1 er aout dernier par le juge Lutchmyparsad Aujayeb.
Matthew Sherratt a expliqué d’emblée que le meurtre de Vanessa Lagesse était une tragédie mais qu’on ne devrait pas ajouter à cela une autre tragédie, notamment en envoyant un homme innocent en prison.
Pour lui, le dossier à charge de la poursuite, pris à son niveau le plus haut, est faible. Il ne repose que sur des éléments chancelants : la relation entre Bernard Maigrot et Vanessa Lagesse et l’ADN de ce dernier, qui avait été retrouvé sur deux draps dans le bungalow de la styliste.
Pour Matthew Sherratt, que quelqu’un n’ait pas mentionné qu’il avait une relation ne peut servir de base à une condamnation. D’autant plus que la poursuite n’a pu établir que Bernard Maigrot avait une motivation quelconque pour tuer Vanessa Lagesse. En outre, il n’y a pas l’ombre d’une preuve ou d’un témoignage qui placerait Bernard Maigrot dans le bungalow de Vanessa Lagesse au moment des faits.
En ce qui concerne l’ADN de Bernard Maigrot qui avait été retrouvé sur deux draps dans le bungalow de la styliste, celui-ci avait fait état qu’il avait rendu visite à la styliste le 6 mars 2001, soit trois jours avant le meurtre. Il avait aussi admis qu’il avait pris quelques verres et pris une douche chez la styliste. Ce qui expliquerait la présence de son ADN.
Il est d’avis que d’autres éléments clés ont été sciemment ignorés par la poursuite. Ainsi, il y avait la présence de l’ADN d’un homme inconnu sur une corde en nylon qui aurait servi à étrangler la styliste et sur une serviette imbibée de sang qui se trouvait dans la salle de bains. Une montre extrêmement chère avait disparu du bungalow.
Deux personnes respectables, notamment la femme de Bernard Maigrot, Isabelle Maigrot, et son amie d’enfance, Martine Desmarais, lui avaient fourni un alibi le jour du meurtre. Selon Martine Desmarais, Bernard Maigrot, sa femme et ses enfants étaient venus chez elle pour prendre un café le soir du 9 mars 2001. Ensuite, selon sa femme, ils étaient rentrés chez eux à Cap Malheureux. Celle-ci avait maintenu que son mari n’avait ensuite pas quitté la maison. Or, selon la poursuite, il se serait esquivé de sa maison pour aller commettre un meurtre pour lequel aucune motivation n’avait été démontrée.
Matthew Sherratt s’est focalisé sur l’expertise du Pr Doutremepuich, l’expert de la poursuite sur les preuves ADN. Il maintient ainsi qu’il n’y a pas eu de Timely Disclosure de la part de ce dernier en ce qui concerne ses conclusions à la défense, vu que cet expert français n’est pas familier avec les procédures en cours à Maurice, calquées sur le modèle britannique.
Selon lui, les experts en génétique, que ce soit ceux de la poursuite et de la défense, auraient dû se rencontrer et rétrécir et simplifier leur expertise pour les jurés. Or, un Phoney War a eu lieu entre experts devant les jurés. Ces derniers ont ensuite dû faire face à un énorme dossier complexe sur l’ADN. Matthew Sherratt n’a pas hésité à brandir un épais dossier devant les juges pour démontrer ce qui avait été mis devant les jurés.
Matthew Sherratt a aussi critiqué le juge Lutchmyparsad Aujayeb, qui n’a pas vraiment assisté le jury en ce qui concerne la complexité des preuves ADN. Le juge n’a pas mis suffisamment d’accent dans son Summing-Up aux jurés sur les limitations des tests ADN, qui ne donnent aucune indication quand et comment l’ADN d’un suspect peut se retrouver sur la scène de crime.
Le King’s Counsel a aussi critiqué la poursuite qui, selon le système de justice, n’est pas là pour obtenir une condamnation à tout prix.
Matthew Sherratt a conclu qu’avec le long délai qu’il y a eu dans cette affaire avant que Bernard Maigrot ne soit jugé, le fait qu’il avait été torturé et qu’il n’y a pas eu de Proper Disclosure de la part de la poursuite en ce qui concerne l’expertise du Pr Doutremepuich fait que le prévenu n’ait pas bénéficié de procès équitable dans cette affaire. Il a demandé aux juges d’annuler le verdict de la Cour d’assises et d’acquitter Bernard Maigrot.
Cet appel reprend aujourd’hui. La poursuite donnera la réplique aux arguments de Matthew Sherratt, King’s Counsel.