POÈME ET SPECTACLE | « Le marronneur aux pores d’archives » : Hymne de Zanzak Arjoon aux racines africaines métissées

Jean-Jacques Arjoon, Zanzak pour les proches, fans et intimes, ne chôme pas. Après un album, Griyo, il y a quelques mois, l’homme signe son retour. Cette fois, place à la poésie avec Le Marronneur aux pores d’archives. Soit un poème, d’un seul trait, s’étalant sur 50 pages. « Où je dialogue avec nos ancêtres africains. La conversation s’axe, invariablement, sur nos origines et traditions africaines bien solides, et les influences métisses de notre identité plurielle mauricienne, de par nos appartenances multiples – Inde, Chine, Gujerat, Tamil Nadu. » Démarche empreinte d’une originalité certaine, comme tout ce qu’entreprend Zanzak Arjoon, la publication de Le Marronneur aux pores d’archives sera soutenue d’un spectacle, Ivresse métissée, qui sera présenté au Caudan Arts Centre (CAC). Il sera mis en scène, autant qu’en musique et en tableaux, par nul autre que l’artiste franco-suisse, François Lindemann, complice, ces dernières années, de plusieurs aventures musicales avec Zanzak Arjoon. Rencontre.

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Le 7 mars prochain, le Centre La Pointe Tamarin vivra un grand moment. L’endroit accueillera quelques personnalités de marque, nommément Brigitte Masson, Alain Verny et Danielle Palmyre, pour ne citer qu’elles. L’événement : le lancement de Le Marronneur aux pores d’archives : un poème libre, se lisant d’un trait, s’étendant sur une cinquantaine de pages. « Un peu dans la veine du “Cahier d’un retour au pays natal” d’Aimé Césaire », confie l’auteur. L’objet : « C’est un dialogue, une conversation que j’ai avec des anciens qui défendent l’ancestralité, africaine, bien évidemment. Nous abordons des thématiques habituelles, mais aussi qui sont sujettes à des discussions, des remises en questions, voire des polémiques. Je ne me limite pas à énoncer et faire état… J’ouvre des débats. »

Sociologue de formation, enseignant de secondaire, plus précisément du défunt Extended Programme, homme qui choisit ses mots bien soigneusement et qu’il cisèle au gré de l’usage, Zanzak Arjoon est d’humeur batailleuse : « J’ai souvent maille à partir avec ceux pour qui l’ancestralité est un concept… figé ! Alor ki nou viv nou bann rasinn afrikin dan boukou kiksoz ki antour nou ! »

Dans une entrevue à un média en ligne, alors qu’il évoquait son album Griyo, Zanzak Arjoon récusait, justement, ce fait : «  Souvent quand certaines personnes évoquent l’ancestralité africaine, elles font appel à un stéréotype ; l’humain de peau noire, aux cheveux crépus, le gros nez, les lèvres épaisses et j’en passe. Kan zot dir afrikin, se sa zimaz la ki vini. Me mwa osi mo enn afrikin… de l’île Maurice ! Et quand je dis cela, souvent, ça ne passe pas. » Pourtant, se défend notre interlocuteur : « Maurice se situe dans le bassin du continent africain ! Nos politiques ont signé l’accord qui fait que nous faisons partie de l’Union africaine. Alors ? »

Zanzak Arjoon s’accroche fièrement et solidement à ses racines : « J’ai du sang-mêlé dans mes veines : papa était hindou et maman, créole. Ce brassage que je vis pleinement, dans chaque seconde et tout ce qui me ramène à ces essentiels, me rend encore plus convaincu de mon appartenance africaine ! » Le dialogue qui se tisse le long de la cinquantaine de pages du Marronneur aux pores d’archive, soutient encore l’auteur, « navigue, va-et-vient tel le tempo des vagues, entre ceux qui défendent dur comme fer que l’ancestralité n’a pas de place pour ce que je suis et d’autres qui partagent des veines riches comme les miennes ». L’argument chaloupe et tangue, au gré des mots révélateurs, revendiquant une identité colorée, chaude et vivante, qui évolue.

Autre « cliché » qui révolte notre artiste : « Cette perception, pire, cette conviction de certains du suicide de nos ancêtres esclaves et d’associer le Morne à cela. Le Morne est beaucoup plus que cela. » Le musicien et auteur privilégie « l’esclavicide », soit une forme de pression, meurtrière, qui a poussé ces ancêtres, en quête de liberté, assoiffés de vie et conscients de leur valeur humaine, à ces extrêmes. « Cette lecture est, à mon sens, à mes yeux, plus plausible. Et je dis même que ce courant “esclavicide” perdure toujours. Attention ! Il ne faut pas penser ni croire que c’était dans le temps et que c’est fini. Pas du tout. »

Le Marronneur aux pores d’archives ne peut se limiter à rester coincé entre les pages d’une publication qui trônerait sur une étagère dans une bibliothèque. Fort de ses frottements avec des musiciens d’ici et d’ailleurs, Zanzak Arjoon se retrouve avec « l’immense honneur que me fait François Lindemann d’adapter mon poème le temps d’un spectacle musiques/verbe ». En plusieurs tableaux, fidèle à son talent, le Suisse et toute une fine équipe (voir plus loin) présentera, le 11 mars prochain, Ivresse métisse au Caudan Arts Centre (CAC), à Port-Louis.

Par le biais de son poème, Zanzak Arjoon laisse transpirer « toute la densité culturelle qui m’anime ». Et de préciser : Mo evok Fung Pao sinwa. Mo gayn vertiz kan mo guet enn mehendi lor la po enn tifi ki pe al marye. J’ai des frissons en pensant à tous ces ingrédients. Tout cela fait de moi ce que je suis et je suis un Africain de l’île Maurice ! Je suis fier de cela et c’est ce que j’ai souhaité partager. »

Vivre notre africanité dans notre quotidien. « Traquer les éléments qui composent notre identité dans différents aspects de notre vie, autour de notre île… C’est à cela que convient les interpellations contenues dans mon poème. » Mauricien jusqu’au bout de ses pores, Zanzak Arjoon attend fébrilement l’accueil de ses mots par ceux qui s’y retrouveront…

HT

Ivresse métisse au Caudan Arts Centre

Au centre La Pointe Tamarin, les rencontres des musiciens et artistes autour de la conception et la réalisation d’Ivresse métisse sont animées. François Lindemann a réuni autour de Zanzak Arjoon, Kurwin Castel à la ravanne et aux percussions, Khughen Cunden au mridangam et percussions, Mathieu Joseph à la ravanne et la danse, Emelyn Marimootoo, à la voix, et percussions diverses, Christophe Bertin à la batterie et aux percussions, Kersley Pytambar à la contrebasse et Samuel Laval aux saxos.

« Comme exprimé dans son dernier livre, qui paraîtra simultanément au spectacle, les musiques composées et arrangées par François évoqueront les récits des vies de Zanzak abreuvées de la sève du Baobab de la Mère Afrique, s’articulant tantôt aux résurgences indiennes et créoles. Fantasmes de sons entendus avant ses naissances, instruments détournés au fil des âges et des senteurs d’épices. Rythmes issus de son cœur battant en 12/8, et d’endroits à l’envers des sens, telles les branches des filaos se prenant pour racines plantées dans le ciel, tandis que leurs branches boivent les éléments nourriciers de la terre », décrit le catalogue annonçant le spectacle.

Avis aux amateurs et friands de métissages… Le spectacle débutera à 19h30 et durera un peu plus de 60 minutes. Les billets sont déjà disponibles aux tarifs suivants : VIP : Rs 1 200 – Première : Rs 800 – Seconde : Rs 600.

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